La prise en compte de la question du genre dans l'aménagement du territoire
- Session : 2022-2023
- Année : 2023
- N° : 497 (2022-2023) 1
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Question écrite du 10/03/2023
- de AHALLOUCH Fatima
- à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
Le 8 mars prochain se déroulera la journée internationale pour le droit des femmes. Le mois de mars sera aussi marqué par le festival des femmes organisé à Charleroi. L'objectif de cet événement est de sensibiliser les participants à la déconstruction du patriarcat. À cet égard, une interview très intéressante de la présidente du Conseil consultatif égalité femmes-hommes de Charleroi, Margaux Joachim, a été publiée récemment dans le journal L'Avenir.
Margaux Joachim fait une rétrospective sur le chemin parcouru depuis son intronisation. De nombreuses avancées ont vu le jour, je peux ici en citer quelques-unes : mesures de sensibilisation des jeunes à l'égalité des genres, ouverture d'un centre de prévention des violences sexuelles ou encore déploiement d'un réseau de protection des victimes de harcèlement en rue.
Néanmoins, cette prise de conscience collective se heurte encore à des obstacles tangibles, le premier étant la difficulté à acter la nécessité d'une approche intégrée de la dimension de genre. Ce n'est qu'en adoptant une approche transversale dans l'action politique que les femmes pourront faire valoir leurs droits.
Cette approche est indispensable et son absence construit une inégalité de fait entre les hommes et les femmes. Margaux Joachim met en avant un aspect précis pour illustrer ce propos.
La Ville de Charleroi, tout comme l'immense majorité des villes belges, a été aménagée essentiellement par des hommes. Ce biais induit de nombreuses conséquences pour les femmes qui sont ainsi occultées d'un espace public qui n'a pas été modelé pour ou par elles. L'espace public, loin d'être neutre, favorise l'insécurité subie ou ressentie par les femmes qui sont de manière régulière victimes d'insultes, d'agressions.
La récurrence de ces événements démontre que l'espace public est investi différemment selon le genre et, encore plus préoccupant, que l'espace public tel qu'il a été pensé favorise ou du moins ne limite pas ces violences.
Quelles sont les mesures prises pour intégrer la dimension de genre dans l'aménagement du territoire ?
Monsieur le Ministre mène-t-il des expériences pilotes à ce sujet ?
Existe-t-il une concertation avec les communes pour favoriser de tels projets ?
Dispose-t-il d'un cadastre qui fait l'état des lieux des différentes communes wallonnes et de leur prise en considération de l'aspect genré dans l'aménagement de leur territoire ?
Réponse du 03/04/2023
La question du genre est, en effet, une dimension qu’il est primordial d’intégrer. C’est pourquoi, début de la législature, notre gouvernement a intégré la question du genre dans la Déclaration de politique régionale et, ensuite, dans le plan « Genre » 2020-2024 du Gouvernement wallon. Ces deux documents ont lancé une dynamique d’engagement à intégrer la dimension de genre dans chaque domaine et donc, naturellement, dans l’aménagement du territoire.
Ainsi, le Plan « Genre » souligne combien l’espace public est généralement pensé pour et par les hommes et combien l’espace public peut être un lieu chargé d’un ou de sentiments d’insécurité, de rejet ou d’invisibilité pour les femmes, les personnes à mobilité réduite, les personnes non genrées. Pour lutter contre l’inégalité de l’usage de l’espace public et contre son inadéquation, j’ai dès lors été chargé, de plusieurs actions, dont une concerne directement l’aménagement du territoire et l’urbanisme : « Renforcer l’équilibre homme-femme dans la composition des commissions consultatives de l’aménagement du territoire et de mobilité ».
Cela me permet ainsi de répondre à la première interrogation, relativement à ce qui est fait concernant l’aménagement du territoire pour la question du genre. La réforme de la partie décrétale du CoDT est actuellement en cours et dans le cadre de la modification de la partie réglementaire qui va suivre, des modifications sont prévues afin d’y intégrer davantage la question de genre.
Il convient de souligner que certaines communes, notamment en milieu rural, éprouvent des difficultés à trouver un nombre suffisant de membres pour constituer une CCATM.
Par conséquent, afin de garantir une répartition plus équilibrée hommes-femmes, il sera proposé de modifier l’article R.I.10-2 du CoDT.
Si lors du premier appel à candidatures dans le cadre du renouvellement ou d’établissement d’une CCATM, les candidatures émanant du genre homme ou du genre femme sont inférieures à 40 % des candidatures reçues, le collège communal sera tenu de lancer un second appel.
Par ailleurs, dans un souci d’anticipation, il est proposé de modifier l’article R.I.10-4 du CoDT afin d’inciter le collège communal à procéder au renouvellement partiel de la commission communale lorsque la réserve de candidats est épuisée ou que les candidatures de la réserve émanant du genre homme ou du genre femme sont inférieures à 40 % des candidatures de la réserve.
De plus, avec mon administration, nous avons travaillé à intégrer de nombreuses réponses à l’inégalité de l’espace public dans le cadre de l’actualisation du schéma de développement du territoire dont le projet va être soumis à l’adoption du Gouvernement dans les prochains jours.
En effet, plusieurs travaux, notamment réalisés par des acteurs comme l’ASBL Garance, l’IWEPS, le SPF intérieur, le Conseil wallon de l’égalité hommes-femmes et le CESE ont pointé notamment la nécessité de :
- promouvoir la sécurité dans les espaces publics par le contrôle social, la visibilité, le travail sur la luminosité, le son ou encore des espaces sans coins ou virages abrupts ;
- limiter les espaces mono-fonctionnels tels que les quartiers essentiellement commerciaux ou administratifs ;
- aménager des espaces verts qui soient attrayants et qui favorisent les contacts sociaux sans qu’un groupe ne domine un autre ;
- travailler à l’accessibilité et particulièrement à l’aménagement des espaces dédiés aux déplacements des modes actifs, des PMR ou des personnes accompagnant des enfants ;
- travailler sur les modes de déplacements afin de rendre accessibles et sûrs les espaces piétons et les transports en commun qui sont majoritairement, notamment à cause du déséquilibre des charges dans le travail parental, utilisés par les femmes ;
- accorder de l’attention à limiter la sexualisation des femmes dans l’espace public.
Dans l’actualisation de la révision du SDT, les éléments relatifs à la question du genre se retrouvent plus spécifiquement au sein de l’objectif CC5 « Développer des espaces publics de qualité, conviviaux et sûrs ». Parmi les enjeux et les principes de mise en oeuvre, je peux notamment citer les suivants :
- l’espace public est conçu en vue d’éviter les biais de genre et d’assurer le sentiment d’adhésion ;
- les aménagements des espaces publics sont confortables et tiennent compte de la diversité des usagers et des usages (bancs, eau potable, sanitaires, stationnement pour vélos, et cetera) ;
- l’aménagement des espaces publics tient compte de la temporalité (soirée, journée, différentes saisons) et leur multifonctionnalité est promue ;
- les processus de participation ou de co-constructions sont mis en place pour les projets d’aménagement d’espaces publics structurants.
Sur la question des modes de transports, là aussi, le projet de schéma de développement du territoire attire l’attention sur divers éléments qui pourront faciliter la création d’un espace public non genré. Ainsi, sont notamment proposés, entre autres, les principes de mise en œuvre suivants :
- les réseaux de transport en commun sont organisés en fonction des profils de mobilité des services et des équipements et tiennent compte des personnes à mobilité réduite ;
- l’espace public est conçu et aménagé pour faciliter et sécuriser la marche et le vélo. Les infrastructures piétonnes et cyclables sont continues, maillées, confortables et sécurisées ;
- l’espace public est aménagé pour permettre l’accessibilité et le confort de tous les usagers (personnes à mobilité réduite, piétons, utilisateurs de micromobilités, cyclistes, automobilistes, et cetera), selon leur capacité à se déplacer, leur genre, leur âge, et cetera.
Enfin, plus globalement, il est important de mentionner que, à travers le SDT, est exprimée la volonté de renforcer les centralités et d’y renforcer la mixité des fonctions. Cette mixité est une des pièces maitresses pour lutter contre l’inégalité de l’espace public de manière générale.
Enfin, en ce qui concerne les mesures prises pour intégrer la dimension de genre dans l’aménagement du territoire, l’honorable membre évoque le fait que la Ville de Charleroi a lancé son propre plan genre. Dans ce plan, la Ville souligne sa volonté de créer un espace public égalitaire et d’entamer un dispositif d’urbanisme genré. Cela passerait, entre autres, par l’augmentation des infrastructures urbaines portant le nom de femmes.
Concernant la question des expériences pilotes, avec mon administration, les maisons de l’urbanisme ont réalisé, en 2022, des activités avec des adolescents dans le cadre du programme PADE pour démocratiser la réflexion urbanistique et d’aménagement du territoire et la rendre accessible aux jeunes. La possibilité a été donnée aux jeunes, nombreux à utiliser les modes de transport en commun ou les modes de déplacement actifs, de s’exprimer sur l’aménagement du territoire. À l’avenir, une telle expérience pourrait être généralisée et viser aussi d’autres publics comme les femmes, les seniors et les personnes à mobilité réduite.
Concernant maintenant la concertation entre mon administration et les communes pour favoriser des projets d’aménagement du territoire non genrés, je souhaiterais relever deux éléments :
- l’intégration par la DAOV de la question de genre dans le cadre de la Politique intégrée de la ville. Ce point étant de la compétence de mon collègue, le Ministre Collignon, je renvoie l’honorable membre vers lui pour plus d’information ;
- la réalisation, à Namur, par la Ville et par la Direction extérieure de Namur, du quartier des casernes. Le projet qui est en cours de réalisation et d’achèvement est le premier quartier en Belgique construit en intégrant la dimension de genre. Ce fait a même été relevé dans la recherche académique.
En effet, à la suite des démarches exploratoires réalisées de 2015 à 2017 par Garance ASBL à Namur, la Ville et le Fonctionnaire délégué ont intégré de nombreuses recommandations émanant des femmes directement. Ainsi, le projet a intégré les éléments suivants :
- la transparence des espaces publics, du parc et des bâtiments afin de créer un contrôle social ;
- la mise en place d’un vrai quartier multifonctionnel et générant du passage à différentes heures (palais de justice, logement, halle, bibliothèque, musée, bureaux…) et ce dans un quartier comprenant déjà des restaurants, quelques bureaux et administrations, le Conservatoire et l’ Hôtel Ibis ;
- la présence d’un point d’eau ;
- un accès piéton aisé, des jeux d’enfants et de nombreux lieux d’attente et de pause comme des bancs ;
- un accès parking sécurisé.
Enfin, mon administration n’a pas connaissance d’un cadastre faisant l’état des lieux des différentes villes et communes concernant la prise en question du genre dans l’aménagement de leur territoire.
Cependant, avec les réformes du SDT et du CoDT, toutes les communes de Wallonie seront encouragées à décliner les objectifs et les principes du SDT au sein de leur schéma de développement communal ou pluricommunal. Dès lors, dans le principe de subsidiarité, tous les éléments mis en place dans ces documents comme la multifonctionnalité, la création d’espaces publics sécurisés et accessibles pourront être pris en compte par l’ensemble des communes de notre territoire.