L'impact environnemental du salage des routes
- Session : 2012-2013
- Année : 2013
- N° : 535 (2012-2013) 1
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Question écrite du 25/03/2013
- de TROTTA Graziana
- à HENRY Philippe, Ministre de l'Environnement, de l'Aménagement du Territoire et de la Mobilité
Pour l'hiver 2012-2013, 138.000 tonnes de sel ont jusqu'à présent été déversées sur les routes par les services régionaux de déneigement. L'hiver 2011-2012 ayant été plus doux, seulement 47.000 tonnes de sel avaient été utilisées.
En plus du coût économique que cela représente pour les autorités, l'utilisation d'une telle quantité de sel n'est pas neutre pour l'environnement, dans la mesure où la neige fondue et le sel ruissellent, s'infiltrent et se retrouvent dans les nappes phréatiques et dans les cours d'eau, ce qui n'est pas sans conséquence pour la biodiversité. L'impact peut être d'autant plus fort que la concentration forte de sel peut, en cas de fonte brutale, arriver brusquement dans les nappes et cours d'eau.
Monsieur le Ministre peut-il apporter des précisions sur l'impact environnemental du salage des routes ? Y a-t-il un suivi de cet impact au sein de son département ? Quelles sont les alternatives et dans quelle mesure leur impact environnemental a-t-il été examiné ? Au sein des pays nordiques, le déversement de sable (sablage) est une technique très utilisée. Si cette technique n'est pas neutre non plus pour la biodiversité, quel est plus précisément son impact écologique ?
Réponse du 24/06/2013
Comme l’indique l'honorable membre, que la quasi-totalité des quantités de sel de déneigement se retrouve dissoute dans l'eau et suit donc le cheminement de cette eau. Celui-ci peut être naturel (infiltration dans les sols vers les nappes phréatiques, ruissellement sur les sols jusqu’aux cours d’eau) ou anthropique (via divers systèmes de collecte (égouts, collecteurs, bassins d’orage…). Suivant le cheminement de l'eau, les sels dissouts peuvent donc se retrouver à différents endroits : dans la solution du sol et in fine dans les végétaux, dans les eaux de surface, dans les eaux souterraines, dans les stations d'épuration. Il est probable également que les sels se retrouvent partiellement dans les sédiments, les produits de curage des avaloirs, les égouts, les collecteurs, les bâches de pompage et les boues des stations d'épuration.
Les voies d'évacuation sont nombreuses et l'impact environnemental de l'utilisation des sels de déneigement, s'il semble ne pas poser de problèmes au niveau de la qualité des eaux souterraines et des eaux de surface, la situation est moins claire en ce qui concerne la qualité des sols et la biodiversité. En effet, on observe fréquemment que les propriétés des sols sont affectées dans une bande située de 10 à 15 mètres de part et d'autre des voiries et que les strates arbustive et herbacée qui s’y développent présentent des signes d’affaiblissement et/ou de dépérissement (éclatement des cellules végétales dû à une augmentation des pressions osmotiques, dessèchements racinaires…). Il convient aussi de ne pas négliger le transport éolien des sels (qui peut entraîner le sel jusqu’à plus de 400 mètres).
Risque de pollution des eaux souterraines et mesures de protection
Le danger de pollution des nappes phréatiques par les sels de déneigement doit être relativisé. Le réseau de surveillance de la qualité des masses d’eau souterraine indique bien quelques impacts très ponctuels à proximité immédiate des grands axes autoroutiers (E411 à Wanlin, E40 à Chaîneux, E42 à Lommersweiler p.ex). Toutefois, les teneurs moyennes en chlorures qui y sont enregistrées n’ont jamais excédé la norme de potabilité fixée à 250 mg Cl/l.
La plupart des contaminations actuelles des eaux souterraines par les chlorures remontent au passé et trouvent leur origine dans l’enfouissement de déchets ménagers et industriels, ainsi que dans les rejets de certaines activités industrielles (chimie minérale).
Face à un polluant aussi soluble dans l’eau, il importe de rester vigilant car la pollution d’une masse d’eau souterraine par les chlorures ne serait en pratique pas facilement résorbable. C’est pourquoi, dans le cadre de la transposition de la directive 2006/118/CE, le Gouvernement wallon a adopté le 12 février 2009 les dispositions suivantes (qui vont au-delà du prescrit européen) :
* adopter une valeur seuil plus stricte pour les chlorures (150 mg Cl/l) pour préserver le bon état des masses d’eau souterraine vis-à-vis de ce paramètre ;
* considérer les chlorures comme un polluant pertinent dont la présence excessive est due aux activités humaines. Ceci entraînera désormais la mise en œuvre de mesures appropriées pour limiter les pertes et les rejets dans les eaux souterraines.
Impact sur les eaux de surface
Sur base des données issues du réseau de surveillance de la qualité des eaux de surface (environ 400 sites de contrôle), on constate que la norme existante pour les chlorures (soit 250 mg Cl-/l : norme de qualité de base exprimée en valeur médiane sur une base annuelle) est globalement respectée sur l’ensemble du réseau au cours de la période 2000-2012, les prélèvements effectués entre le 01/08/2012 et le 20/03/2013 (couvrant la période hivernale 2012-2013), révèlent que seulement 0,8 % des résultats d’analyse (soit 8 échantillons sur un total de 1 033) excédaient la norme des 250 mg Cl-/l (1). Ces résultats ne traduisent pas nécessairement les effets des épandages de sels de déneigement puisque les dépassements de la norme sont observés quasi exclusivement dans des cours d'eau recevant de nombreux rejets d’eaux usées industrielles, comme la Sambre, l'Espierres, le Pas à Wasmes ou encore la Rhosnes.
Même si les épandages de sel de déneigement ne semblent pas a priori provoquer de dépassements des normes, le réseau d’alerte AQUAPOL (qui mesure la qualité de certains cours d’eau en continu) enregistre toutefois des augmentations de la conductivité électrique (et donc de la concentration en sels dans l’eau) lors des périodes de fonte des neiges.
Dans le cadre de la de la mise en œuvre de la Directive-cadre sur l'Eau et plus particulièrement de la révision des objectifs de qualité, il est prévu que les chlorures soient pris en compte dans la définition du "bon état" de la masse d'eau.
En 1994, une étude intitulée "Influence des fondants routiers sur la qualité chimique et biologique de la Wimbe" réalisée par le CEBEDEAU (en collaboration avec le MET et la DGRNE pour le compte du Fonds des Routes) a permis d’évaluer l’impact du lessivage des fondants routiers sur la qualité chimique et biologique de la rivière. Elle a aussi permis d’analyser les aspects quantitatifs ainsi que la dynamique du processus de lessivage des sels.
Cette étude indique que, globalement, les concentrations en sels susceptibles d’affecter le milieu aquatique sont en général relativement élevées. Jusqu’à 1 000 mg de sel/l, certaines espèces sténo et oligohalines peuvent disparaître mais on n’assiste pas à des perturbations majeures de la chaîne trophique, ni de la structure et du fonctionnement de l’écosystème aquatique. En effet, cette limite de salinité n’induit pas une disparition totale des espèces mais plutôt un remplacement des populations en place par d’autres espèces plus tolérantes aux fortes concentrations en sels. À partir de 2 000 mg/l, certains effets néfastes peuvent se faire sentir au niveau des organismes aquatiques (saumons, crapauds…).
Toutefois, dans l’ensemble, on peut admettre qu’une concentration de l’ordre de 3 000 mg CaCl²/l ne présente pas d’effets toxiques directs pour la faune et la flore aquatiques. Pour information, le pic absolu de concentration en chlorures dans les eaux wallonnes (soit 1 731 mg/l) a été enregistré en juin 2005 dans le Rieu du Pas à Wasme.
Par ailleurs, l'étude a démontré que, même si les épandages de fondants sur l’E411 induisent des élévations très marquées de la teneur en chlorures dans les eaux de la Wimbe – jusqu’à 15 fois la valeur prise pour référence (11,8 mg/l) – ces perturbations de très faible durée (quelques heures) restent acceptables et ne sauraient, selon les données bibliographiques, modifier sensiblement le fonctionnement biologique de la rivière.
En outre, les effets enregistrés sont considérés comme des effets maximaux puisque les eaux de ruissellement ne transitaient pas par un bassin d’orage lorsque l’étude a été réalisée. Enfin, cette étude a montré que les influences sur la faune, la microflore et la macroflore pouvaient être considérées comme négligeables, voire nulles.
Étant donné l'impact très limité des épandages de sels de déneigement sur la qualité des eaux de surface et des eaux souterraines, il n’apparaît pas utile de réaliser des études complémentaires de plus grande envergure sur le sujet. En ce qui concerne les milieux non aquatiques aucun effet délétère suffisamment significatif n'a été mis en évidence à l'heure actuelle en Wallonie pour déclencher des études approfondies en lien avec d’éventuels problèmes de salinisation.
L’utilisation d’autres matériaux (sable, gravillons, copeaux de bois…) comme alternative au salage des routes
Par rapport aux sels de déneigement, le sable (composé principalement de quartz et d’oxydes de fer et d’aluminium) présente en effet l’intérêt d’être chimiquement inerte, ce qui semble a priori plus favorable d’un point de vue environnemental.
Toutefois, il ne faut pas occulter les effets probables liés à la présence de particules de sable en suspension dans les cours d’eau (colmatage des branchies des poissons p.ex.), ni l’augmentation des quantités de sédiments qui pourraient en résulter et dont les effets négatifs sur les habitats et les écosystèmes aquatiques sont bien connus (altération des zones de fraie p.ex.). Les avantages et les désavantages environnementaux du sablage des routes en période hivernale n’a pas encore fait l’objet, d’une étude chiffrée approfondie en Wallonie, qui me permettant d’apporter davantage de précisions sur le sujet.
Il faut aussi mentionner que l’utilisation du sable risque de poser des problèmes d’ordre technique, en particulier au niveau des stations d’épuration, alors que les sels de déneigement ne semblent pas affecter les processus biologiques d’assainissement des eaux usées. Le service technique de la SPGE confirme le fait que les petites particules de sable usent prématurément les équipements électromécaniques des stations de pompage et d’épuration (ce qui nécessite une fréquence d’entretien plus régulière). Il arrive aussi que des pompes se bouchent à cause d’une accumulation de sable.
(1) L’EPA a fixé le seuil de toxicité chronique à 230 mg Cl-/l et le seuil de toxicité aiguë à 860 mg Cl-/l.