Les enseignants victimes de handicaps et oubliés de l'AWIPH
- Session : 2014-2015
- Année : 2015
- N° : 519 (2014-2015) 1
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Question écrite du 13/05/2015
- de GAHOUCHI Latifa
- à PREVOT Maxime, Ministre des Travaux publics, de la Santé, de l'Action sociale et du Patrimoine
J'interroge aujourd'hui Monsieur le Ministre concernant une incompatibilité entre une norme communautaire et régionale. Une incompatibilité qui a des conséquences sur le quotidien de personnes atteintes d’un handicap et de maladies chroniques.
Aujourd'hui, un enseignant atteint d'un handicap qui ne lui permet pas d'assumer pleinement sa fonction serait en situation de discrimination en regard de travailleurs sous un autre statut. Un enseignant ne pourrait bénéficier d'une intervention de l'AWIPH nécessaire au maintien de son emploi, alors qu'il est bien atteint d'un handicap.
Les Médiateurs de la Communauté française et de la Région wallonne ont d'ailleurs tous deux pointé ce problème dans leurs rapports respectifs déjà en 2008 et 2010.
Je reprends ici le propos du Médiateur de la Région wallonne qui expose en page 67 de son rapport de 2009-2010 : « Il est recommandé la concrétisation rapide de nouvelles normes permettant d'affecter les interventions de l'AWIPH en matière de maintien à l'emploi des enseignants atteints d'un handicap. ».
Depuis, aucune mesure n'a été prise. Or il me revient des cas significatifs d'enseignants qui, en cours de carrière, tombent en situation de handicap ou contractent un problème de santé chronique sans pouvoir percevoir une aide et ainsi concrétiser leur envie de continuer à travailler. Leurs revendications ne sont pas énormes, si ce n'est de pouvoir bénéficier par exemple d'un aménagement de l'horaire de travail avec compensation financière.
L'AWIPH joue son rôle en versant la compensation au pouvoir organisateur. Mais pour peu que celui-ci refuse l'aménagement de temps de travail et la compensation financière qui va avec, la personne n'a tout simplement d'autre choix que de prendre des congés "maladie" pour des raisons pratiques. Cette situation pousse certains enseignants en situation de désarroi.
J'ai récemment interrogé la ministre de l'Éducation à ce propos, puisque le blocage provient des écoles. Elle me répond : « Lorsque le handicap ou la maladie chronique ne nécessitent qu'un aménagement de poste de travail, les instances régionales AWIPH et son pendant en Région bruxelloise essaient d'apporter des aménagements raisonnables avec les pouvoirs organisateurs d'enseignement. ».
Monsieur le Ministre a-t-il connaissance d'une telle problématique ? Des cas similaires ou plaintes lui sont-ils revenus ? Quel est le rôle de l'AWIPH dans la reconnaissance du handicap des enseignants? L'AWIPH peut-elle intervenir pour que dans les faits on respecte la volonté d'un enseignant de continuer à faire son métier avec des aménagements possibles ? Comment éviter que les pouvoirs organisateurs bloquent ces aménagements ?
Réponse du 04/06/2015
Je me permets tout d'abord de rappeler les principes sur lesquels repose l'intervention de l'AWIPH en matière de soutien à l’ajustement des situations de travail :
- un travailleur qui rencontre des difficultés pour réaliser ses fonctions du fait d'un handicap peut demander à son employeur une adaptation de ses conditions de travail. Il peut, le cas échéant, formuler explicitement des propositions en ce sens ;
- l'employeur est tenu de faire le maximum pour donner suite à cette demande, et ce tant en raison de la législation sur le bien-être au travail que de la législation antidiscrimination, qui prévoit que l'absence d'aménagement raisonnable pour une personne handicapée est une discrimination. L'aménagement doit être raisonnable : il doit être efficace (dans ce cas, permettre d'assumer les tâches essentielles de la fonction), il ne doit pas entrainer un coût excessif (mais entre autres choses, les possibilités d'intervention des pouvoirs publics sont prises en compte pour l'apprécier), il doit être compatible avec le fonctionnement de l’entreprise ou du service, etc. L'employeur pourra être tenu de proposer un changement des tâches du travailleur, mais pas pour autant de développer une nouvelle activité ou de proposer un poste surnuméraire ;
- tant l'employeur que le travailleur peuvent se tourner vers leur service de prévention et de protection au travail pour examiner avec ce service les possibilités d'adaptation des conditions de travail. Ils peuvent aussi se tourner vers l'AWIPH en vue d'être conseillés.
- l'employeur peut demander à l'AWIPH (entre autres) de l'aider à assumer le coût des mesures qu'il met en place, et ce bien entendu dans les limites des dispositions légales. Cette intervention peut prendre la forme d'une prime de compensation qui, si les conditions d'intervention sont rencontrées, couvre le coût des mesures prises par l'employeur, à concurrence d'un maximum de 45 % du coût salarial à charge de l'employeur. On note que c'est bien l'employeur qui introduit la demande et bénéficie de l'intervention, même s'il doit obtenir l'accord du travailleur par rapport à sa demande ;
- au cas où l'employeur ne satisfait pas aux demandes du travailleur, celui-ci peut intenter une action vis-à-vis de son employeur. Au cas où l'AWIPH ne donne pas satisfaction à l'employeur, celui-ci dispose de plusieurs voies de recours vis-à-vis de l'AWIPH.
La situation des enseignants est certes un peu particulière, mais elle n’est pas plus spécifique que celle de nombreux autres travailleurs.
Ainsi, les mesures envisagées pour un enseignant doivent lui permettre d'exercer l’essentiel de sa fonction et doivent être compatibles avec les règles de fonctionnement des écoles. Par exemple, un enseignant peut solliciter, en raison de son état de santé, de ne travailler que le matin. Mais si la chose est acceptée sous réserve qu’il participe aux conseils de classe organisés occasionnellement après quatre heures ou à des formations qui se dérouleraient sur une journée complète, cela serait à juste titre considéré comme rendant problématique l'exercice des tâches essentielles de sa fonction. De même, il ne serait pas concevable qu’un enseignant prenne une pause et laisse ses élèves sans surveillance. Si de telles mesures sont parfois envisageables dans certaines professions, il est de nombreux métiers où ce n’est pas le cas. Ce n’est donc pas spécifique à la fonction d’enseignant.
Si je comprends bien la situation évoquée, il s’agirait d’un enseignant qui souhaiterait travailler moins d’heures, être rémunéré en conséquence, et obtenir de l’AWIPH une compensation financière pour la perte de ses revenus. L’AWIPH n’a pas pour mission de faciliter cela. Elle n’accorde pas d’interventions financières aux travailleurs handicapés, mais à leurs employeurs. En particulier, elle n’accorde pas de revenu de remplacement aux travailleurs qui sont, momentanément ou définitivement, partiellement ou totalement, éloignés de leur activité professionnelle habituelle.
La Fédération Wallonie-Bruxelles, employeur des enseignants d’un des réseaux d’enseignement, ou pouvoir subsidiant des enseignants des autres réseaux, peut rémunérer des enseignants qui exercent d'autres fonctions (dans le cadre d'une mission bien déterminée), de même qu'elle peut rémunérer – à certaines conditions – des enseignants nommés privés de charge du fait de l'organisation de l'enseignement, ou en situation de maladie, voire de disponibilité en raison de leur état de santé. Elle a élargi récemment l'éventail des mesures possibles suite à l'adoption d'un décret (du 11 avril 2014). Il s’agit par exemple de la possibilité pour un enseignant mis en disponibilité en raison de son état de santé, de pouvoir reprendre le travail à temps partiel. Il existe par ailleurs diverses mesures qui, même sans être spécifiquement dédiées aux enseignants handicapés, peuvent leur venir en aide. Je pense par exemple à des mesures renforçant le taux d’encadrement de certains groupes d’élèves. Elles sont conçues en fonction des besoins des élèves et non des enseignants. Concernant la situation évoquée, il ne m'appartient pas de prendre position quant aux mesures effectivement applicables, je renvoie plutôt vers ma collègue Ministre de l'Enseignement au sein du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Il faut souligner que ce sont des mesures prises dans le respect de la réglementation et de l'organisation de l'enseignement qui peuvent contribuer à solutionner le problème de l'enseignant dont la situation est évoquée. Une intervention éventuelle de l'AWIPH en faveur de la Fédération Wallonie-Bruxelles n'est pas a priori une condition de leur mise en œuvre.
Enfin, je rappellerai que l’AWIPH n’a pas uniquement pour mission d’accorder des aides financières, mais aussi de contribuer à l’intégration professionnelle des personnes handicapées par d’autres biais : conseil, information, sensibilisation, etc. Elle cherche à améliorer les situations de travail des travailleurs handicapés, pas à accorder un maximum d’interventions financières à leurs employeurs. Néanmoins, dans le cas des enseignants, elle peut, à certaines conditions, accorder des interventions pour des adaptations matérielles des conditions de travail. Elle peut informer et conseiller les parties (l’enseignant, la direction de l’école, …) quant à des mesures qui pourraient être envisagées – sans pour autant qu’un financement de sa part soit une condition à leur mise en œuvre. Elle peut servir de médiateur entre ces parties au cas où elles peinent à trouver un terrain d’entente, au même titre que d'autres (Médiateur, Centre pour l'égalité des chances, organisation syndicale, service externe de prévention et de protection, ...).
Enfin en ce qui concerne les moyens d’action, si un pouvoir organisateur refuse de mettre en œuvre les aménagements demandés malgré le fait que ceux-ci ne lui imposeraient pas de charge indue, si la négociation et la médiation (par exemple de l’AWIPH) n’aboutissent pas, l’arsenal législatif a prévu diverses voies de recours, notamment dans le cadre de la législation sur le bien-être au travail ou de celle qui interdit la discrimination. Notons que dans ce cadre, l’AWIPH n’est pas partie au conflit entre le travailleur et son employeur.