La discrimination sur le marché de l'emploi en Wallonie
- Session : 2016-2017
- Année : 2017
- N° : 292 (2016-2017) 1
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Question écrite du 18/05/2017
- de LEGASSE Dimitri
- à TILLIEUX Eliane, Ministre de l'Emploi et de la Formation
Nous fêtons cette année les 10 ans des lois anti-discrimination. C’est un bon moment pour en tirer le bilan en ce qui concerne leur application en Région wallonne.
Si Unia se félicite que ces lois étaient ambitieuses, selon des experts indépendants les arrêtés royaux censés concrétiser les dispositifs légaux n’ont jamais été adoptés.
Madame la Ministre peut-elle brièvement me dresser un portrait de la situation de la discrimination sur le marché de l’emploi en Région wallonne ?
Comment la situation a-t-elle évolué depuis 10 ans ?
Sur ce sujet précis, comment se passe la concertation-coopération avec les institutions fédérales ?
Toute discrimination basée sur un des 19 critères dits « protégés », repris en annexe est interdite par la législation antidiscrimination (lois fédérales, décrets et ordonnances) et punissable. Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, est compétent pour 17 de ces 19 critères.
La législation fédérale antidiscrimination, datant de 2003, a été réformée en 2007, notamment afin d’assurer une meilleure efficacité des instruments fédéraux en matière de lutte contre les discriminations.
Trois lois distinctes en sont issues :
la loi antiracisme du 10 mai 2007 modifiant la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ;
la nouvelle loi antidiscrimination du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ;
la loi spécifique sur le genre du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les hommes et les femmes.
Le citoyen belge est également protégé contre les discriminations au niveau des Régions et des Communautés.
Au niveau de la Région wallonne, il existe deux décrets.
Le Décret du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination, en ce compris la discrimination entre les femmes et les hommes en matière d’économie, d’emploi et de formation professionnelle.
Le Décret du 11 décembre 2013 portant assentiment à l’accord de coopération du 23 juillet 2012 entre l’autorité fédérale, les Régions et les Communautés visant à créer un Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations.
Par ailleurs, six décrets de la Fédération Wallonie-Bruxelles portent également sur le territoire de la Wallonie.
En février 2009, en vue de la mise en œuvre du décret du 6/11/2008, des protocoles de collaboration ont été signés entre le Gouvernement wallon, d’une part, UNIA et l’IEFH, d’autre part.
Ceux-ci confèrent à UNIA et à l’IEFH, la compétence pour :
1. traiter les situations individuelles relatives aux discriminations ;
2. rendre des avis et recommandations aux autorités régionales et mener la conduite d’études sur les thématiques liées à la lutte contre les discriminations ;
3. organiser l’information et la sensibilisation du public et du personnel des services du Gouvernement wallon et des services qui en dépendent.
Par ailleurs, UNIA est invité aux réunions du Consortium « Diversité », soutenu par mon département, en tant qu’observateur. Il y apporte son expertise et participe activement au réseautage des acteurs actifs dans le domaine de la lutte contre les discriminations et la promotion de la diversité.
Au niveau de l’emploi, les pratiques discriminatoires peuvent intervenir à différents stades d’une relation de travail : à l’étape du recrutement ou de la sélection, durant l’exercice du contrat de travail et à la fin du contrat de travail.
Globalement, le marché du travail présente une dualité, entre les emplois primaires, aux conditions de travail favorables, et les emplois secondaires, aux conditions plus précaires. Chaque segment se caractérise différemment en termes d’aspirations des travailleurs, de méthodes de recrutement et sélection, de niveaux de rémunération, de fidélisation à l’employeur, etc. Les pratiques discriminatoires viennent se greffer à cette dualité existante. En effet, les discriminations se produisent sur le marché de l’emploi déjà structurellement segmenté selon divers critères, que l’on retrouve parmi les critères protégés par la loi antidiscrimiation. Le marché de l’emploi est segmenté verticalement : c’est le plafond de verre que rencontrent, le plus souvent, les femmes et les populations d’origine étrangère. Il est aussi dit ethnostratifié, ce qui fait référence à la répartition inégale des professions et salaires entre les différents groupes ethniques.
En termes d’évaluation, l’article 52 de la loi fédérale antidiscrimination prévoit une évaluation de l’application et de l’efficacité des trois lois fédérales par les Chambres législatives. En février 2017, Unia a publié un rapport d’évaluation de la loi antidiscrimination et de la loi antiracisme de mai 2007.
Il est disponible via le lien suivant : http://unia.be/files/Documenten/Publicaties_docs/Evaluation_2e_version_LAR_LAD_Unia_PDF_(Francophone).pdf
Ce rapport est axé sur l’aspect réactif de la lutte contre les discriminations (respect de la loi, protection et accès à la justice) et il se limite à la législation fédérale contre le racisme et les discriminations, même s’il y a des points de convergence avec certaines compétences régionales.
Dans le cadre de ce rapport, Unia fournit une ventilation des signalements reçus et des dossiers ouverts par domaine de la vie sociale dans lequel se déroulent les faits signalés.
L’emploi est l’un des deux domaines les plus concernés par les discriminations signalées à Unia. Il est utile de rappeler qu’Unia ne rend pas compte de discriminations basées sur le sexe et la langue. Voir graphique en annexe.
* Les services fédéraux et régionaux de l’inspection du travail (Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale – service d’inspection Contrôle des lois sociales, Vlaams Departement Werk en Sociale Economie – afdeling Toezicht en Handhaving, Inspection sociale wallonne, Inspection de l’Emploi de la Région de Bruxelles-Capitale) sont des instances de contrôle qui peuvent apporter une contribution essentielle à l’application effective de la législation antidiscrimination. Ce rôle de l’inspection du travail est, d’une part, proactif – exercer des contrôles d’initiative du respect de la législation antidiscrimination – et d’autre part, réactif – examiner les plaintes relatives à des discriminations individuelles ou collectives. Unia met cependant en évidence que les contrôles réactifs réalisés auprès d’employeurs ou de bureaux de sélection après un signalement auprès d’Unia ou directement auprès de l’inspection du travail ne fournissent généralement pas d’éléments suffisamment probants. Ces contrôles prennent pourtant du temps et de l’énergie et sont très contraignants pour l’entreprise ou l’organisme public qui en fait l’objet. Unia juge indispensable d’investir davantage dans des contrôles ciblés et proactifs de la législation antidiscrimination, réalisés à l’initiative des services de l’inspection du travail, et de renforcer les moyens d’investigation et de poursuite du ministère public.
* Concernant l’âge en tant que critère de discrimination, Unia constate que les problèmes signalés se situent surtout dans un contexte de travail et plus précisément d’accès à l’emploi.
* Unia rappelle, études à l’appui - voir entre autres les résultats de l’enquête EU-MIDIS (2007), le Baromètre de la diversité Emploi (2012) et le Baromètre de la diversité Logement (2014) (www.unia.be) -, que la réforme de la législation antiracisme et antidiscrimination exerce un impact extrêmement limité sur des mécanismes structurels et systématiques de discrimination.
* Unia recommande une politique ciblée d’égalité des chances et une politique plus proactive de contrôle et de respect de la législation.
Unia publie également des rapports d’études statistiques comme le Baromètre de la diversité. Le dernier rapport date de 2012 et comporte un volet « Emploi ». Le prochain est prévu en 2018.
L’état des lieux qui y est dressé porte sur le comportement de la société belge envers certaines catégories de la société, caractérisées par leur origine, leur âge, leur handicap, leur orientation sexuelle, etc. (degré de discrimination), ses attitudes vis-à-vis de ces publics (degré de tolérance), ainsi que le degré de participation de ces publics à la société.
L’instrument qu’est le monitoring socio-économique mesure l’importance de l’ethnostratification du marché de l’emploi. Il a pour but de donner une image de la situation des personnes sur le marché de l’emploi, en fonction de leur origine et de leur parcours migratoire.
Grâce à la collaboration d’Unia, du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale, du Registre national, de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale, de la Commission pour la protection de la vie privée et d’experts, un rapport a été produit en 2013, et un autre en 2015. Ce dernier porte sur des données allant de 2008 à 2012.
Le monitoring repose sur l’analyse de la position des personnes sur le marché du travail selon deux variables construites : l’origine de la personne (combinant les variables nationalité et nationalité à la naissance de l’individu et de ses parents) et son historique migratoire (combinant les variables nationalité et nationalité à la naissance de l’individu et de ses parents, pays de naissance de l’individu et de ses parents - et éventuellement de ses grands-parents -, date d’inscription au Registre national et date d’obtention de la nationalité). Ces variables ont permis de mettre en avant les inégalités et la hiérarchisation des positions socio-économiques sur la base des origines, et ceci dans certains cas, au-delà des différences de genre, d’âge ou de région de résidence.
Bien que les données remontent à 2012, Unia souligne différents éléments.
* L’accès à l’emploi est plus limité pour les groupes d’origine étrangère.
* Une fois que ceux-ci acquièrent un emploi, des inégalités se marquent en termes de qualité d’emploi.
* Le risque de chômage est plus fréquent et la sortie du chômage plus limitée pour ces groupes.
* Le fait d’être né en Belgique, d’avoir obtenu la nationalité belge ou de résider plus longtemps sur le territoire, a certes un impact sur la position sur le marché du travail en atténuant quelque peu les écarts avec les personnes d’origine belge, mais ne modifie pas notoirement la distribution des positions sur le marché du travail.
* Le monitoring présente ainsi le taux d’activité des personnes de 18 à 60 ans selon leur historique migratoire, en opposant les résultats des Belges à ceux des personnes d’origine étrangère, qu’ils aient acquis ou non la nationalité belge. Dans les trois régions du pays, les taux d’activité des personnes d’origine étrangère sont inférieurs à ceux des Belges d’origine. En Wallonie, le taux d’activité des personnes d’origine belge est de 73,5 %. Parmi les personnes d’origine étrangère, ce sont celles originaires d’un pays de l’UE-14 et de l’UE-12 qui ont les taux les plus élevés (respectivement 65,3 % et 61,5 %).
Les taux d’activité les plus faibles sont observés pour les personnes originaires du Proche/Moyen-Orient et d’autres pays européens avec des taux inférieurs à 45 %.
En termes de coopération entre les institutions fédérales et régionales, un projet commun aux services publics régionaux de l’emploi (SPRE) est en cours d’élaboration au sein de Synerjob depuis plusieurs semaines.
Après avoir reçu une délégation d’Unia à la demande de certains SPRE, ceux-ci ont convenu d’introduire une demande conjointe auprès du datawarehouse de la BCSS pour pouvoir disposer de la donnée décrivant l’origine des personnes.
Dans l’état actuel de préparation, cette donnée ne serait pas incorporée au descriptif du demandeur d’emploi et ne serait pas traitée comme une nouvelle variable de la statistique décrivant la réserve de main-d’œuvre, mais permettrait d’ajouter cette dimension à des analyses ponctuelles portant, par exemple, sur l’évaluation de certains dispositifs, afin de mesurer des corrélations entre certaines mesures et d’éventuelles discriminations liées à l’origine des personnes.
Force est de constater que la législation belge antidiscrimination constitue une réelle avancée, mais que la lutte contre les discriminations doit figurer au plus haut rang des priorités des autorités, car les inégalités gagnent du terrain.