L'alcoolisme chez les seniors
- Session : 2019-2020
- Année : 2020
- N° : 111 (2019-2020) 1
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Question écrite du 18/02/2020
- de KAPOMPOLE Joëlle
- à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
L'alcoolisme peut toucher chacun d'entre nous, des plus jeunes aux plus âgés. Ainsi, il semblerait que les seniors ne soient pas épargnés par cette addiction dont les conséquences peuvent être dramatiques.
Madame la Ministre dispose-t-elle de données statistiques et/ou d'études relatives à ce domaine ? Quelle est son analyse de cette situation ?
Envisage-t-elle d'intégrer cette problématique dans le cadre de la table ronde relative aux aînés qu'elle compte organiser ?
Réponse du 13/03/2020
La consommation abusive d’alcool est reconnue comme une maladie. Elle présente des risques pour la santé physique (chutes, fractures, affections cardio-vasculaires …), psychique (troubles cognitifs, confusion, anxiété …), d’isolement social ou encore de risques liés à l’interaction entre alcool et médicaments, notamment les somnifères. Elle n’épargne pas les seniors, comme l’honorable membre le relève dans sa question.
Comme le relate très justement le site Internet aide-alcool.be, la question de l’alcoolisme chez les seniors est sans aucun doute aussi sensible que pour les jeunes. La réalité de ces publics cibles est néanmoins différente.
Le Service de Santé mentale ALFA a d’ailleurs très justement exprimé cette différence : la consommation d’alcool chez les personnes âgées est un sujet peu connu, voire même parfois tabou.
Selon le SSM ALFA, plusieurs raisons expliquent ce phénomène : tout d’abord, la consommation d’alcool chez ce public est moins visible : les conséquences sociales étant moins nombreuses (arrêt de travail, retrait de permis, agression, et cetera) et le réseau social entourant les personnes âgées étant parfois plus restreint, la consommation d’alcool chez ce public a tendance à passer à la trappe.
De plus, la majorité de la population a tendance à minimiser la consommation d’alcool chez ce public, comme si ce n’était pas dangereux pour les personnes âgées ou encore comme s’il était trop tard pour les aider. Finalement, la littérature s’est peu penchée sur cette question. Elle met en évidence une réelle difficulté des professionnels à déceler les signes d’une consommation problématique.
D’autres pathologies liées à l’âge peuvent en effet présenter les mêmes conséquences physiques (troubles de la mémoire, difficultés de concentration, chutes, et cetera) et rendent le diagnostic difficile.
De cette lecture, il ressort que la consommation problématique d’alcool chez les personnes âgées est finalement plus difficile à déceler que chez les jeunes, et, qu’avec l’âge, elle pourrait engendrer davantage de risques, ce qui doit attirer notre attention et notre vigilance.
Il existe peu de données statistiques ou d’études en la matière, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau régional, mais quelques informations ont pu être glanées, notamment dans le Résumé psychiatrique minimum et l’enquête de santé par interview :
- en 2017, dans les hôpitaux psychiatriques wallons, il y a eu 12 séjours hospitaliers pour problèmes de dépendance à l’alcool (code DMS IV 303.9) chez des personnes âgées de 75 ans et + (7 hommes et 5 femmes) pour un total de 4 059 séjours hospitaliers (2 537 hommes et 1 522 femmes) (données du RPM 2017) ;
- selon la dernière enquête nationale de santé 2018, la consommation problématique d’alcool concernerait 4,5 % des hommes de 75 ans et plus et le « binge drinking » (boire vite et beaucoup) 0,4 % des hommes de cette tranche d’âge. Cette proportion est de 11,7 % chez les 45-54 ans et de 12 % chez les 55-64 ans ;
- 0.6 % des jeunes boivent au quotidien versus 11 % des 45-54 ans et 17.7 % des 75 ans et plus. Il est vrai que la consommation d’alcool s’installe progressivement (informations issues du graphique présent dans l’Enquête de santé Belgique, 2018) ;
- les problèmes de surconsommation diminuent graduellement avec l’âge sauf au sein du groupe 55-64 ans qui représente la plus grande proportion de surconsommateurs (10,6 %), (enquête de santé Belgique, 2018. Voir : https://his.wiv-isp.be/fr/SitePages/Rapports_complets_2018.aspx).
Pour comparer, une étude suisse de 2018 a montré qu’en Suisse, 7,5 % des personnes âgées de 65 ans ont une consommation problématique d’alcool. Parmi celles-ci, deux tiers ont une consommation d’alcool installée de longue date et un tiers développe une consommation d’alcool problématique lors du passage à la retraite, ce dernier engendrant un bouleversement important en termes de rôle social et d’organisation du temps libre dorénavant à disposition. Cette consommation excessive peut aussi être liée au deuil, aux troubles du sommeil ou encore à l’isolement social. Cette étude conclut que : « Dans le cadre d’une politique de prévention, il serait intéressant de sensibiliser les professionnels de la santé, ainsi que l’environnement des personnes âgées, au repérage précoce. Des formations adressées aux acteurs concernés permettraient de promouvoir davantage les formes d’accompagnement et de soutien pour les personnes qui en ont besoin. Couplées à des adaptations structurelles, qui permettent la promotion d’un contexte plus favorable au repérage, elles peuvent contribuer à améliorer la qualité de vie des personnes concernées, notamment à travers la consommation contrôlée et la réduction des risques. Ceci devrait permettre également de limiter les effets néfastes de l’isolement et de diminuer les risques d’accidents qui seraient associés à une consommation inadéquate d’alcool. » (Savary J.F., Cornut M. et Marin A.P. (2018, Groupement Romand d’étude des addictions, 57p.)
Il est certain que les conclusions du rapport suisse évoqué ci-avant peuvent très certainement nous inspirer.
Prochainement, une autre source viendra compléter notre connaissance du sujet, à savoir, un rapport réalisé par l’ASBL Eurotox dont un chapitre sera consacré à la prévention et à la réduction des risques auprès des personnes âgées (Stévenot, Caraël & Hogge (2020). Bonnes pratiques en matière de prévention et de réduction des risques liés à l’alcool. Bruxelles : Eurotox.).
De manière générale, la littérature nous permet de dire que les seniors présentent une sensibilité plus élevée aux effets négatifs de la consommation d’alcool. En effet, leur métabolisme fonctionne moins bien et le buveur âgé risque d’avoir plus de problèmes de coordination, de mémoire et d’équilibre. Le risque de chute est donc accru, ce qui représente un danger pour le résident en maison de repos (Cap retraite, 2017, voir : https://www.capretraite.fr/blog/maisons-de-retraite/lalcool-maison-de-retraite-liberte-vs-securite/) ou la personne âgée à domicile.
De plus, l’association de nombreux médicaments avec l’alcool peut provoquer de graves effets secondaires (Moore, A. A., Whiteman, E. J., Ward, K. T. (2007). Risk of combined alcohol/ medication use in older adults. Am J Geriatr Pharmacother, 5(1) :64–74).
En milieu d’hébergement collectif, les points suivants méritent d’être identifiés :
- il n’existe pas de réglementation en matière de consommation d’alcool dans les établissements d’hébergement et d’accueil des aînés en Wallonie ;
- l’institutionnalisation représente un événement-choc dans la vie des aînés, la tentation de commencer ou d’augmenter une consommation d’alcool préexistante s’avère une alternative de réponse à la tristesse et aux difficultés qui accompagnent ces nouvelles pertes (Paille, F. (2013). Personnes âgées et consommation d’alcool. Alcoologie et addictologie, 61‑72.) ;
- la consommation problématique d’alcool chez les personnes âgées est rare en institution, mais dangereuse en raison de comorbidités, de symptômes et de médicaments spécifiques (Sacco, P., Burruss, K., Smith, C., Kuerbis, A., Harrington, D., Moore, A. A. and Resnick, B. Drinking behavior among older adults at a continuing care retirement community: affective and motivational influences. Aging & Mental Health, 19(3): 279–289.) ;
- le défi des directeurs de MR est de trouver un équilibre entre liberté et sécurité. La MR est d’abord un lieu de vie qui doit assurer une continuité de la vie à domicile. Le petit verre de rouge servi avec le repas est un plaisir que de nombreuses personnes âgées accueillies en maison de repos souhaitent pouvoir conserver. Le tout est de trouver un équilibre par rapport à la vie en communauté, en termes de comportements ;
- les règlements d’ordre intérieur (ROI) des MR ne sont pas clairs et les équipes soignantes se sentent démunies face à la question du « faut-il interdire ou pas ? » lorsqu’il s’agit d’ancrer la gestion de la consommation dans une réelle politique institutionnelle (Cap retraite, 2017, voir : https://www.capretraite.fr/blog/maisons-de-retraite/lalcool-maison-de-retraite-liberte-vs-securite/) ;
- une prise en charge spécifique peut être réalisée dans le projet de vie individualisé (PdVI) du résident.
Plus largement, la Wallonie dispose d’un éventail de services ou de dispositifs auxquels il peut être fait appel :
- le médecin généraliste est souvent le premier à constater les effets de la consommation et à veiller à sa prise en charge sur le plan somatique, voire psychique ;
- dans le cadre de la première ligne de soins, un financement aux maisons médicales est octroyé chaque année, notamment pour des projets de santé communautaire relatifs à prévention de l’alcoolisme ;
- la Wallonie soutient la Société scientifique de médecine générale (SSMG) dont le projet porte sur la mise en place d'une démarche en médecine générale visant le dépistage d’une consommation problématique ;
- outre le dépistage et le rôle central du médecin généraliste, les personnes qui souffrent d’un problème d’alcool, peuvent se tourner vers les services d’aide et de soins spécialisés en assuétudes agréés par la Région wallonne qui bénéficient annuellement de subventions afin de mettre en place un accompagnement psycho-social destiné aux personnes sujettes à des problèmes de dépendance, en ce compris la dépendance à l’alcool. Ces services sont actuellement au nombre de 26 répartis sur l’ensemble du territoire wallon ;
- dans le cadre des compétences transférées, certains projets financés par le Fonds de lutte contre les assuétudes sont poursuivis tel le projet Freedom porté par l’ASBL CAAT, qui vise à l’implémentation d'un projet de sevrage à domicile de personnes alcoolodépendantes ou encore l’ASBL Alfa citée plus haut, qui développe un site internet d'aide en ligne pour les personnes alcooliques et leur entourage ;
- la prise en charge en milieu hospitalier est également une réalité, tant sur le plan somatique que psychique, voire psychiatrique ;
- certaines MRS accueillent des patients atteints du syndrome de Korsakoff, avant l’âge de 60 ans, vu leur perte d’autonomie ;
- enfin, parmi les centres de revalidation transférés à la Wallonie, il existe au moins une initiative qui accueille en partie ce public. Il s’agit d’un centre de postcure nommé l’Espérance à Thuin. Celui-ci gère les patients alcooliques, qui doivent être sevrés au moment de l'admission dans l'établissement.
Mais le sujet de l’alcoolisme transcende tous les niveaux de pouvoir. Plusieurs projets de protocoles d’accord ont d’ailleurs été soumis à la CIM Santé, par le passé, sans résultat, tant les enjeux économiques pèsent dans la balance. Nous avons cependant bien conscience de la gravité du problème et de la nécessité d’intervenir dans ce cadre spécifique. Mon engagement sera maintenu, notamment au travers du dialogue avec les acteurs de terrain et le soutien des initiatives existantes.