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La perte de terres cultivables suite à l'obligation d'instaurer un couvert végétal permanent (CVP)

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 148 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 09/11/2022
    • de ANTOINE André
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    Un décret de 2019 relatif à la protection de la ressource en eau qui prévoit que, lorsqu'une terre de culture borde un cours d'eau, un couvert végétal permanent est respecté sur une largeur de six mètres à partir de la crête de la berge.

    L'entrée en vigueur de cette nouvelle disposition a des conséquences importantes pour tout un secteur puisque cette disposition ne s'accompagne d'aucune compensation financière des frais engagés pour la mise en place et la gestion de ce couvert.

    La mesure s'applique depuis octobre 2021, mais une tolérance avait été accordée jusqu'au 31 mai 2022. Madame la Ministre a déclaré récemment que pour le restant de cette année, il y aura des avertissements et, en 2023, les sanctions seront à coup sûr de mise. Selon le Ministre Borsus, Madame la Ministre et lui se seraient concertés pour avoir convenu ce qui suit en ce qui concerne la cartographie :
    - d'une part, pour les troisièmes catégories, il faut d'abord que la cartographie soit clairement en place et notifiée avant qu'il n'y ait la moindre sanction ;
    - d'autre part, pour ce qui n'est pas cartographié ni classé, dont les cours d'eau de plus petite dimension pour lesquels il est plus difficile encore d'établir la cartographie, Madame la Ministre aurait convenu qu'il n'y aurait pas de sanction tant que la cartographie n'aura pas été établie, et que le Gouvernement soit saisi par l'administration du fait que cette possibilité de cartographier est possible.

    Selon elle, quels seront les délais pour établir une révision de la cartographie ? Un calendrier est-il programmé ? Des changements majeurs sont-ils à prévoir ? Va-t-elle reprendre les fossés de drainage ainsi que les cours d'eau non classés dans cette dernière ?

    Quels seront, à terme, les moyens de contrôle dont disposeront ses services pour assurer concrètement le respect de cette règle sur le terrain ?
  • Réponse du 14/12/2022
    • de TELLIER Céline
    Un couvert végétal permanent de 6 mètres de large doit en effet être en place le long des cours d’eau bordant une terre de culture depuis le 1er octobre 2021.

    Cette mesure correspond à un décret adopté lors de la précédente législature, par le Gouvernement et par l’ensemble du Parlement en 2019. C’est une mesure essentielle pour l’atteinte du bon état des masses d’eau d’ici 2027 portée par mon prédécesseur. Depuis mon entrée en fonction, les organisations agricoles ont mis en avant plusieurs fois la difficulté de sa mise en œuvre et celle-ci, en commun accord avec le secteur, a été accompagnée d’une période de transition et de plusieurs mesures de compensation et soutien, que j’ai déjà plusieurs fois présentées dans cette commission.

    C’est cependant très loin d’être la première imposition faite aux agriculteurs le long des cours d’eau. Depuis 1974, l’accès du bétail est interdit sur à peu près 50 % des cours d’eau classés wallons, depuis 1991, il est interdit d’épandre des fertilisants à moins de 10 mètres des cours d’eau, distance ramenée à 6 mètres en 1999 dans le PGDA. Enfin, depuis 2014, il est interdit d’épandre des pesticides sur ces mêmes 6 mètres.

    L’interdiction d’épandage de fertilisants fait également partie de la conditionnalité agricole (transposition de la directive nitrate) depuis 2005 et depuis 2012, fait aussi l’objet de la BCAE « bande tampon le long des cours d’eau » de la PAC.

    La mise en œuvre de mesures le long des cours d’eau n’est donc pas neuve…

    Je voudrais également objectiver et nuancer l’affirmation selon laquelle l’obligation de couvert végétal permanent le long des cours d’eau aurait des conséquences financières importantes pour le secteur agricole.

    En effet, le linéaire de berges de cours d’eau le long de terres arables représente un peu plus de 4 000 km en Wallonie. À concurrence de 6 mètres de large, cela représente donc un peu plus de 2 500 hectares, soit 0,6 % de la superficie de terres arables. Si l’on y regarde d’un peu plus près, l’étude RIVES a montré qu’en réalité, les cultures étaient en moyenne déjà situées à 1,5 mètre de la crête de berges, ce qui réduit la superficie concernée aux ¾ de celle initialement calculée.

    On peut se rendre compte ensuite que plus de 10 % des terres arables étaient déjà occupées par les mesures agro-environnementales de type tournière ou bande aménagée, et que 10 autres % étaient occupés par des prairies temporaires. On descend donc sous 1500 hectares et largement sous 0,4 % des superficies de terres arables. L’importance est donc relative, l’honorable membre en conviendra.

    D’autre part, en matière de compensation financière, le revenu par hectare se compose, d’une part, de la production commercialisée, mais aussi, d’autre part, des aides publiques.

    Au niveau des aides publiques, non seulement les aides de base comme le paiement de base, le paiement redistributif et, encore cette année, le paiement vert, restent entièrement accessibles, mais de surcroît, les agriculteurs peuvent bénéficier sur ces bandes de paiements supplémentaires telle la MAEC tournière et, demain, l’éco-régime maillage écologique. À ce propos, j’ai obtenu lors des récentes discussions sur la PAC en Gouvernement une augmentation non négligeable du montant de l’éco-régime maillage écologique et donc de la valorisation des CVP et autres éléments du paysage favorables à la biodiversité dans le cadre de la future PAC. Il est donc erroné de dire qu’il n’y a pas de soutien financier à la mise en place de cette mesure indispensable à la protection de nos masses d’eau dont je ne dois pas lui rappeler le mauvais état général.

    Au niveau de la production et de la marge brute, je viens à l’instant de lui rappeler qu’il est interdit de fertiliser sur ces six mètres depuis... 31 ans et qu’il est interdit d’y épandre des produits phytopharmaceutiques depuis 8 ans. Les économistes agricoles ont donc calculé que la perte de marge brute était très faible, voire nulle sur ces 0,4 % de superficie des terres arables, ce qui relativise encore davantage l’importance sur le plan économique de cette mesure pour le secteur.

    J’en viens maintenant à la question du périmètre d’application. L’obligation de mise en place d’un couvert végétal permanent reste bien d’application sur tous les cours d’eau, tel que prévu par le décret. Je le répète, tout comme le Gouvernement et le Parlement précédent, c’est une mesure essentielle pour l’atteinte du bon état des masses d’eau d’ici 2027.

    Comme pour toute mesure environnementale, la situation de terrain prime en cas de contrôle. Le Département de la Police et des Contrôles du SPW ARNE, avec lequel j’ai encore eu des échanges suite à une visite de terrain effectuée avec des agriculteurs fin octobre, est bien conscient de la mise en œuvre progressive de la mesure. Cette année 2022 étant considérée comme transitoire, le plan de contrôle a été établi de manière à commencer sur les cours d’eau pour lesquels il n’y avait pas de doute permis, tels que les cours d’eau navigables et les cours d’eau de 1re et 2e catégories. Les cours d’eau non classés contrôlés n’étaient donc pas ciblés, mais présents sur les parcelles de producteurs ayant également des cours d’eau classés de 1re et 2e catégorie et n’ayant pas fait l’objet de remarques par les agriculteurs.

    À propos de la discussion que nous avons eue avec mon collègue Willy Borsus et nos collègues de gouvernement, elle concernait plus spécifiquement l’application de la conditionnalité agricole dans le cadre de la nouvelle PAC 2023-2027. En effet, dès lors que le CVP est une législation obligatoire à appliquer, il était logique d’inclure dans la conditionnalité des aides agricoles le respect de cette disposition. Contrairement aux contrôles classiques de l’application de la législation CVP qui s’effectuent directement sur le terrain – comme pour les autres législations d’ailleurs, ceux relatifs à la conditionnalité passent par des contrôles satellitaires. Sur ce volet, nous avons en effet convenu de mesures transitoires permettant le contrôle de la mesure en fonction de l’état d’avancement de la consolidation des outils cartographiques existant.

    À cet égard, je rappelle que la cartographie est purement indicative et que, dans tous les cas, c’est la réalité de terrain qui prévaut, comme pour toutes les mesures en vigueur concernant les cours d’eau et notamment les interdictions d’épandage de fertilisants et de pesticides qui sont d’application depuis longtemps. Une base cartographique de l’ensemble du réseau hydrographique (de tous les cours d’eau, navigables, classés, non classés) existe déjà sur Wal-on-Map et sur Pac-on-Web et les travaux des cartographes sont en cours pour l’affiner encore.

    Dans le respect de l’esprit du décret, et c’est un des objectifs principaux de l’amélioration de la cartographie, il convient de distinguer d’une part les cours d’eau non classés qui, comme leur nom l’indique, sont bien des cours d’eau et doivent donc se voir appliquer la législation, et d’autre part les fossés de drainage, qui, en vertu de la définition de cours d’eau dans le Code de l’Eau, n’en sont pas. C’est essentiellement là-dessus que portent les éventuels litiges. Dans le doute, c’est bien le principe favorable à l’agriculteur qui est mis en œuvre. Pour rappel, les agriculteurs ont eu la possibilité dès octobre 2021 via un outil mis en ligne par la DCENN et par la suite via leur déclaration de superficie, de confirmer la mise en place d’un CVP ou de faire une remarque si la situation de terrain ne correspondait pas à ce qui était référencé sur la cartographie. Chacune de ces remarques est en cours d’analyse auprès de l’administration. Nous profitons aussi des retours de terrain des agriculteurs qui ont été recueillis en ce début d’année pour affiner les données.

    Dans le cadre de la conditionnalité agricole, cette norme sera, dans un premier temps, contrôlée sur le terrain à concurrence du même pourcentage que les autres normes de conditionnalité. Dans un délai de deux à trois ans sans doute, les orthophotoplans et images satellitaires permettront un contrôle administratif à 100 %, dispensant de la plupart des contrôles de terrain. C’est pour permettre ce contrôle de la conditionnalité via images satellitaires qu’il est nécessaire d’affiner la cartographie et qu’il a été décidé en gouvernement d’agir en deux temps, avec des pénalités activées dès 2023 sur les cours d’eau navigables et les cours d’eau non navigables de 1re et 2e catégorie, d’une part ; et un système d’alerte avec avertissement des agriculteurs (sans sanction) sur les cours d’eau de 3e catégorie et les cours d’eau non classés, d’autre part, le temps que la cartographie soit consolidée.

    En conclusion, je suis donc en train de faire respecter, dans une approche pragmatique et néanmoins ambitieuse, une législation votée par le Parlement en 2019 à l’initiative de mon prédécesseur, législation indispensable pour la qualité de notre eau. Je le fais sur base d’un dialogue centré sur la réalité de terrain de nos agriculteurs – que j’ai d’ailleurs rencontré récemment – et celle de nos cours d’eau, représentés par mon administration. J’espère avoir l’honorable membre à mes côtés pour défendre notre patrimoine naturel qui en a bien besoin, au bénéfice de l’ensemble des acteurs wallons, en ce compris nos agriculteurs.