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Le projet "Katabata" au Groenland

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 257 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 17/11/2022
    • de LEONARD Laurent
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Lancé en juillet 2020, le projet « Katabata » de l'ULiège vient d'être validé par les données des trois stations météo implantées, il y a deux ans, au sud du Groenland.

    Nous avons déjà eu l'occasion d'en discuter à son lancement et Monsieur le Ministre se montrait, alors, intéressé, mais prudent.

    Avec la crise énergétique que nous traversons, ce projet éolien offrirait des avantages non négligeables : la production et l'utilisation d'une énergie renouvelable, une indépendance face au gaz russe, des prix moins prohibitifs que ceux que nous subissons actuellement…

    Des questions doivent encore être résolues comme, notamment, l'acheminement de l'électricité produite jusqu'en Europe.

    Les chercheurs de l'ULiège vont dorénavant s'atteler à la recherche d'industriels prêts à investir. La presse évoque un investissement initial nécessaire de 10 milliards d'euros.

    Au vu des derniers développements, quelle analyse Monsieur le Ministre porte-t-il sur le projet liégeois ?

    A-t-il eu, récemment ou au cours de ces deux dernières années, des contacts avec l'ULiège ?

    La Région pourrait-elle investir dans ce projet qui semble prometteur ?
  • Réponse du 29/12/2022
    • de HENRY Philippe
    Le projet « Katabata » semble en effet avoir donné un verdict sans équivoque : il y a du vent au Groenland. Au-delà, faut-il directement envoyer des développeurs éoliens envahir un des derniers territoires vierges de la planète comme ça sur base de données de quatre stations météorologiques ? Je souhaiterais tempérer quelque peu l’enthousiasme relayé assez largement par quelques éléments plus factuels.

    Je ne nie évidemment pas la qualité de la démarche scientifique et de l’analyse faite des résultats obtenus. Je pense que les équipes en charge du projet sont extrêmement compétentes. Ce que je reproche un peu dans la communication faite, c’est que l’étude, aussi bonne soit-elle, ne donne qu’une estimation extrêmement grossière de la réalité probable.

    Pour les besoins de ma réponse, je vais prendre en parallèle le projet européen « New European Wind Atlas » cofinancé par la Wallonie en 2016. Ce projet, d’un budget global de 13 millions d’euros auquel des budgets additionnels équivalents ont été apportés par le Gouvernement américain, visait à l’établissement du potentiel éolien en Europe. À toutes fins utiles, l’honorable membre trouvera le résultat de la carte sur ce lien : https://map.neweuropeanwindatlas.eu/

    Cette carte a été établie sur base de données météorologiques multiples et variées historiques, sur les données météorologiques d’éoliennes de grande puissance des partenaires industriels du groupe et de modèles mathématiques de plusieurs laboratoires de recherche.

    Des campagnes de mesure de vent ont été réalisées en Scandinavie, en Allemagne, en Espagne et au Portugal.

    L’exercice ayant été le plus poussé au Portugal avec une vingtaine de stations de mesures, plusieurs lidars, des lâchers de ballon-sonde… Tout cela pour définir une carte en trois dimensions avec un niveau de fiabilité que le promoteur de projet a jugé insuffisant.

    Le potentiel éolien d’un site aussi complexe que celui au Groenland ne permet certainement pas de se fier aux données de quatre stations météorologiques placées à quelques mètres de hauteur dans un terrain aussi complexe que celui du Groenland et alors que les nacelles des éoliennes seront situées parfois à plusieurs centaines de mètres de hauteur dans des courants très différents de ceux mesurés.

    Il y a bien un potentiel, c’est une évidence que je ne nie pas, mais il est difficile de croire qu’un modèle mathématique puisse valider aussi facilement un potentiel. Je pense qu’il ne faut donc pas être aussi optimiste que celui avancé. Pas sans des études additionnelles, pas sans qu’une campagne plus précise de la qualité de celle du New European Wind Atlas n’ait été réalisée.

    Au-delà de la question éthique que constituerait l’exploitation de ce site naturel exceptionnel se poseraient des questions techniques élémentaires. C’est bien beau de construire de mettre en œuvre des éoliennes aussi loin de tout, mais comment assurer l’acheminement de l’électricité produite et, surtout, des volumes produits ?

    Placer une série de câbles semble à écarter pour des raisons de coûts.

    Aussi l’équipe du projet privilégie-t-elle de le transporter sous forme de molécules physiques. L’idée est intéressante, mais cela heurte malgré tout à certains problèmes de logistiques. À nouveau à cause des volumes. Volumes qui nécessiteront immanquablement une flotte de transport très importante. Flotte qui devra être propre au passage afin d’éviter une augmentation substantielle des émissions du transport maritime.

    Trois options se présenteront et tournent autour de l’hydrogène et de ses dérivés.

    Liquéfaction de l’hydrogène et transport. Le coût énergétique d’une telle option est gigantesque par rapport à l’énergie transportée. Elle est envisageable, mais la flotte de transport d’hydrogène liquide devra être intégralement constituée et adaptée pour le maintien à l’état liquide de l’hydrogène.

    La production de gaz de synthèse par capture atmosphérique du CO². Le transport de LNG (gaz naturel liquéfié) est plus facile, car la température de liquéfaction du gaz naturel est plus élevée. Mais j’attire l’attention sur deux éléments. Le premier est la nécessité de mettre en place une série d’usines de méthanation avec le personnel qui sera nécessaire pour les faire tourner. Le second, c’est le rendement énergétique lié à la capture atmosphérique de CO². Je pense que n’importe quel économiste disqualifierait une option économique avec un rendement global de moins de 1 %. Pour faire très simple, 100GWh produits au niveau des éoliennes donneraient 1GWh d’énergie restituée. Tout simplement parce que le rendement de la capture atmosphérique de CO² est trop faible en l’état actuel des technologies. L’alternative pourrait être de transporter le CO² par bateau jusqu’au Groenland et de ramener du méthane de synthèse.

    Troisième option, qui nécessiterait aussi la construction d’usines et la présence de personnel, mais qui offrirait un rendement plus intéressant, la synthèse d’ammoniac. Option trop souvent écartée, mais qui offre néanmoins quelques avantages industriellement.

    Personnellement, même si je salue évidemment la démarche, je pense qu’il existe encore techniquement trop de contraintes pour affirmer qu’il s’agit d’une solution robuste. Surtout que des vents de ce type, on en trouve dans des zones plus faciles à exploiter et à raccorder au réseau sans avoir nécessairement à recourir à une logistique particulièrement lourde. Je pense, par exemple, à l’Ecosse ou à la façade maritime de la Scandinavie qui offrent indéniablement des solutions plus réalistes.