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Les financements consacrés au volet "pertes et préjudices"

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 258 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 17/11/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Alors que la COP27 a démarré à Charm el Cheikh en Égypte, la Belgique a noué un programme de collaboration avec le Mozambique pour aider la population de ce pays du sud de l'Afrique à mieux se protéger aux conséquences du changement climatique.

    C'est une première fondation essentielle étant donné l'inclusion d'un volet « pertes et préjudices », une question au cœur des négociations en cours à la Conférence de l'ONU sur les changements climatiques.

    D'ailleurs, chez nous, la Wallonie avait déjà annoncé par le passé des moyens spécifiquement consacrés au financement des dégâts irrémédiables dus aux changements climatiques. Notre région est l'une des seules à l'avoir fait, avec l'Écosse, et le Danemark.

    Il s'agirait pour la Région wallonne de se positionner clairement dessus et de se montrer ambitieux afin de faire écho aux préoccupations internationales, notamment pour les pays en voie de développement.

    D'ailleurs, la session de la Commission de l'énergie, du climat et de la mobilité du Parlement wallon du 7 novembre 2022 contient une question orale de mon collègue, M. Desquesnes, à ce propos.

    Quels sont les moyens financiers spécifiquement dédiés au volet « pertes et préjudices » par le Gouvernement wallon ? Quel est le cadre légal consacré à ce volet ?

    Serait-il judicieux d'aller encore plus loin sur ce volet étant donné la hausse de risques vis-à-vis des événements climatiques qui viendraient à émerger dans les années à venir ?

    Quelle est la position de Monsieur le Ministre ?

    En tenant compte du récent accord établi entre la Belgique et le Mozambique, bien que ce soit une matière fédérale, il est à noter que la Région bruxelloise y joue un rôle ! Est-ce que la Région wallonne y joue également un rôle particulier ?

    Comment la Région wallonne, compte tenu de son positionnement sur ce volet, entreprend son action internationale ?

    Quels sont les partenariats que la Région a pu établir par le passé ?

    Y a-t-il des perspectives de collaboration avec d'autres pays où la Région serait concernée ?
  • Réponse du 23/12/2022
    • de HENRY Philippe
    Depuis 2010, l’Agence wallonne de l’air et du climat (AWAC), dans le cadre de son programme de partenariat climatique et solidaire avec le Sud (anciennement programme Fast Start), a soutenu financièrement et encadré la mise en œuvre de 47 projets bilatéraux visant aussi bien l’atténuation que l’adaptation au changement climatique. J’ai moi-même été, dès 2010, le précurseur du déploiement de ces projets en Afrique, lors de mon premier mandat en tant que ministre du Gouvernement wallon ayant le climat et l’énergie dans ses attributions, en établissement un partenariat entre la Wallonie et l’Afrique (Bénin, Burkina Faso, Burundi, République démocratique du Congo, Rwanda et Sénégal).

    Le Gouvernement wallon a par ailleurs choisi, chaque année depuis quelques années, de contribuer au fonds multilatéral IRENA, en faveur du déploiement des énergies renouvelables dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. La Wallonie a ainsi contribué financièrement aux activités d’IRENA à hauteur d’un million d’euros par an depuis 2017, ce qui porte sa contribution à ce fonds à 6 millions d’euros.

    De plus, dans son programme de financement climatique avec le Sud pour l’année 2022, la Wallonie a instauré une convention avec l’agence belge de développement (ENABEL) visant notamment à équiper en panneaux solaires photovoltaïques avec stockage d’électricité, les laboratoires de villes de quatre pays bordant le lac Tanganyika, dans le cadre du projet de gestion intégrée des ressources en eau dans la région des Grands Lacs (projet LATAWAMA).

    Le mécanisme de financement climat international vise à ce que les pays les plus riches soutiennent les pays les plus vulnérables face à la crise climatique, en leur donnant les moyens de s’adapter aux conséquences du réchauffement (adaptation) et de se développer sans explosion de leurs émissions de carbone (atténuation). L’accord de Paris a formalisé le montant collectif de 100 milliards USD par an dès 2020 pour soutenir les pays du Sud face à l’urgence climatique. Lors de la dernière COP, il est aussi prévu que l’engagement collectif devra être rehaussé en 2025, partant du montant plancher de 100 milliards USD annuels (Décision - 1/CP.21 Adoption de l’Accord de Paris – point 53).

    Comme expliqué plus haut, ces promesses financières ne sont pas une question de charité, mais bien une obligation morale et contractuelle face à une dette existante. Considérées comme une pierre angulaire de l’Accord de Paris, elles ont par ailleurs permis l’adoption d’un accord universel, sous réserve du respect des principes d’équité et de responsabilités communes, mais différenciées. Il n’est effectivement pas envisageable de maintenir le réchauffement planétaire sous 1,5°C voire 2°C, tel que fixé dans l’Accord, sans un soutien technologique et financier clair de la part des États qui ont contribué historiquement au problème.

    Parallèlement au financement climat international et plus particulièrement aux besoins grandissants en matière d’adaptation se pose la question des dommages irréparables et irréversibles causés par le réchauffement. En effet, dans son dernier rapport, le GIEC établit que les limites de l’adaptation ont déjà été atteintes dans une multitude de situations et qu’une série de conséquences des changements climatiques sont d’ores et déjà irréversibles (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), « Summary for Policymakers » [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, M. Tignor, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem (eds.)], in Climate Change 2022: Impacts, Adaptation, and Vulnerability, 2022). Ces cas de figure sont appelés « pertes et préjudices » dans le jardon onusien, sans qu’il existe pour autant de définition officielle de ce que recouvre précisément ce concept. Cette lacune mène à de nombreuses difficultés, notamment en matière d’assistance concrète et de financement. Cependant, la littérature scientifique est en pleine évolution et permet d’en dessiner progressivement des contours plus clairs. Parallèlement, le Mécanisme de Varsovie (instauré lors de la COP19 en 2013) a également pour fonction de renforcer les connaissances et la compréhension sur l’enjeu des pertes et préjudices, notamment en investiguant les lacunes et assurant une collecte et un partage de données pertinentes. Notons en outre que le comité exécutif de ce mécanisme coordonne également cinq groupes thématiques, qui couvrent l’ensemble des secteurs de la problématique, dont par exemple la question des déplacés climatiques, question essentielle lors qu’on parle de pertes et préjudices (les différents groupes de travail sont : groupe d'experts sur les événements à évolution lente ; groupe d'experts sur les pertes non économiques ; groupe d'experts techniques sur la gestion globale des risques ; groupe d'experts sur les déplacements ; groupe d'experts sur l'action et le soutien).

    Le concept de pertes et préjudices désigne le plus souvent les effets des changements climatiques qui ne peuvent être évités par le biais de l’atténuation (à savoir la réduction rapide et efficace de nos émissions de gaz à effet de serre) et de l’adaptation (les mesures permettant de s’adapter aux effets du réchauffement, par exemple en construisant des digues ou en adoptant des pratiques agroécologiques). On pense ici à certaines communautés côtières des tropiques qui ont perdu des écosystèmes entiers de récifs coralliens qui contribuaient autrefois à assurer leur sécurité alimentaire et leurs moyens de subsistance et à les protéger contre les ouragans. Ou à celles et ceux qui ont dû abandonner leurs foyers et sites culturels localisés dans des quartiers de faible altitude en raison de l’élévation du niveau de la mer. Une différence est faite entre les pertes et dommages qualifiés d’économiques (pouvant être compris comme la perte de ressources, de biens et de services qui sont généralement commercialisés) et de non économiques (ce qui n’est pas commercialisé, comme la perte de biodiversité et de systèmes écosystémiques, de patrimoine culturel, atteinte à la santé mentale, les connaissances autochtones et locales, et cetera). Ces derniers sont bien sûr beaucoup plus difficiles à évaluer et à chiffrer (German Development Institute, « Non-economic Loss and Damage: Addressing the Forgotten Side of Climate Change Impacts »). On parle aussi de pertes « tangibles » ou « intangibles ». On distingue aussi les pertes et préjudices issus de catastrophes violentes et spontanées (telles qu’un ouragan ou une de graves inondations) des événements climatiques plus lents et pernicieux (tels que l’élévation du niveau des mers ou la désertification). Il ne fait aucun doute que les limites de l’adaptation ont malheureusement déjà été dépassées dans de nombreux pays, les conséquences du changement climatique étant déjà bien visibles, voire significatives, et trop souvent irréversibles. La question des dommages irréparables causés aux populations des pays en développement ne peut plus être ignorée et ne peut être reléguée au second plan. Nous devions par conséquent prendre nos responsabilités et agir.

    Ce que j’ai fait. Ainsi, comme l’honorable membre le sait, la Wallonie s’est positionnée comme pionnière aux côtés de l’Écosse, lors de la COP26 à Glasgow où j’ai annoncé le 13 novembre 2021 une contribution de 1 million d’euros pour le renforcement des mesures « Pertes et préjudices » pour l’année 2022.

    Cette dynamique naissante, renforcée par la mise à l’agenda des négociations du financement des pertes et préjudices, a généré une émulation palpable puisque lors de cette COP27, en parallèle des discussions formelles, on a également pu constater une salve d’annonces volontaristes sur la thématique. Ainsi, de l’Irlande en passant par l’Allemagne, la France, l’Écosse, la Wallonie, le gouvernement fédéral de Belgique ou encore le Canada, ce sont à présent plusieurs centaines de millions de dollars qui ont été mis sur la table pour les pertes et préjudices au cours de la COP27.

    Je salue bien sûr le projet de 2,5 millions du gouvernement fédéral pour les pertes et préjudices au Mozambique. Sa volonté de se positionner en allié des pays du Sud sur la problématique des pertes et préjudices est positive et procède d’une dynamique inspirante et encourageante. Toutefois, la Région wallonne n’y joue aucun rôle, puisqu’en Wallonie, nous n’avions pas attendu l’initiative du gouvernement fédéral pour nous positionner clairement et démontrer notre ambition en matière de pertes et préjudices.

    En effet, lors de sa séance du 15 juillet 2022, le Gouvernement de Wallonie, au sein de son programme de financement climat international pour l’année 2022, a adopté un projet d’accord conclu entre la Région wallonne et the United Nations Office for Project Services (ci-après « UNOPS »). Cet accord porte sur une contribution de la Wallonie sous forme de don, d’un montant d’un million d’euros, versé au CVF&V20 Joint Multi Donor Fund, de manière spécifique, pour financer uniquement le programme exclusivement dédié aux Pertes et Préjudices, le CVF & V20 Loss and Damage Funding Program (ce programme est intégré dans les activités stratégiques du fonds, ci-après repris dans la nomenclature de l’UNOPS : 2.3. Trigger Catalytic Financing of V20 Climate Action, Activity 2.3.5 V20 Loss and Damage Funding Program, - Plan de travail 2020 – 2025). Cet accord a donc ensuite bien entendu été signé et la contribution de la Wallonie a d’ores et déjà été honorée.

    Le Forum des pays les plus vulnérables ou CVF (« Climate Vulnerable Forum », en anglais) est un partenariat international de pays particulièrement vulnérables au réchauffement de la planète. Il est composé de 58 membres, issus des régions d’Afrique, d’Asie, des Caraïbes, d’Amérique latine et du Pacifique et représente quelque 1,4 milliard de personnes dans le monde. Ce Forum sert de plate-forme de coopération Sud-Sud, permettant aux gouvernements participants d’agir ensemble pour faire face au changement climatique mondial. Le V20 est quant à lui le Groupe des Vingt Vulnérables, qui regroupe les Ministres des Finances du CVF. Le CVF et le V20 ont ainsi créé un fonds conjoint, le CVF & V20 Joint Multi Donor Fund. La vision du CVF & V20 Joint Multi Donor Fund vise, dans son ensemble, à réduire les menaces et à renforcer la protection des pays et des communautés les plus vulnérables face au changement climatique.

    Le travail du CVF & V20 Joint Multi Donor Fund est structuré en deux axes de travail distincts, mais interdépendants, l’un concentré sur le CVF, avec un accent sur la politique climatique et environnementale, et le second concentré sur le V20, avec un accent économique et financier. Le Fonds finance des activités stratégiques, des partenariats et des collaborations visant à promouvoir l’action climatique, ainsi que la coopération Sud-Sud, et à soutenir les nations et les pays les plus menacés par le changement climatique, représentés par le CVF et le V20. En outre, ce fonds soutient la mise en œuvre de l’UNFCCC, de l’accord de Paris et des objectifs de développement durable des Nations unies en dotant les pays les plus vulnérables au changement climatique, des mécanismes et des outils nécessaires pour promouvoir une action climatique efficace, englobant les domaines de l’adaptation, de la résilience et de l’atténuation du changement climatique. Le Fonds travaille, selon les cas, aux niveaux national, régional et mondial, sur les besoins immédiats et à long terme des pays et des communautés les plus vulnérables, en soulignant l’impact direct et indirect de l’action climatique sur leurs trajectoires de développement. De ce travail, il devrait résulter des améliorations durables en matière d’infrastructure administrative, législative et institutionnelle des pays cibles, ainsi qu’un soutien à la mise en œuvre de l’action climatique en vue d’atteindre les objectifs mondiaux. Lorsque cela se révèle nécessaire et pertinent, les organisations spécialisées des Nations Unies, les banques multilatérales de développement, les institutions de financement de la lutte contre le changement climatique et d’autres organisations internationales sont engagées en tant que partenaires clés dans la poursuite des priorités et des activités du Fonds.

    Une des nombreuses activités soutenues par ce fonds est le « V20 Loss and Damage Funding Program » qui est, comme son nom l’indique, un programme exclusivement dédicacé aux pertes et préjudices qui désigne les dommages irréversibles du changement climatique qui ne peuvent être évités par le biais de l’atténuation et de l’adaptation. Ce nouveau programme de financement du fonds était adéquat et pertinent, car il vise le versement rapide de dons à petite échelle, directement aux communautés locales touchées par les effets du changement climatique des 58 États membres du CVF-V20. La Région wallonne a donc souhaité, au travers du programme 2022, renforcer ce programme en effectuant une contribution d’un million d’euros au CVF & V20 « Joint Multi Donor Fund », mais ce don est entièrement affecté au « V20 Loss and Damage Funding Program ».

    La Wallonie a donc décidé de contribuer à ce programme de financement « pertes et préjudices » du CVF&V20, pour cinq raisons principales :
    - le caractère précurseur du V20 Loss and Damage Funding Program ;
    - le caractère exemplatif du V20 Loss and Damage Funding Program ;
    - le fait qu’il s’agisse de dons versés rapidement et directement aux communautés locales touchées par les effets néfastes du changement climatique ;
    - la fiabilité du Fonds, dont notamment la gestion financière qui est assurée par the United Nations Office for Project Services (UNOPS) ;
    - la qualité des experts du CVF Expert Advisory Group.

    Si l’année dernière, à la COP26, la Wallonie montrait l’exemple en débloquant un million d’euros pour donner l’impulsion, cette année, j’ai décidé de doubler le financement. J’ai en effet l’intention de consacrer 2 millions d’euros aux pertes et préjudices, de manière à poursuivre la dynamique initiée l’année passée aux côtés de l’Écosse et d’amorcer une montée en puissance au niveau de ce travail pionner et solidaire. J’envisage en outre la poursuite du soutien financier au CVF & V20 Joint Mutli Donor Fund, ce qui permettra de continuer à aider efficacement, rapidement et directement les communautés locales touchées par les dommages irréparables du changement climatique et qui manquent cruellement de soutien financier. Au-delà de ce premier volet « financement d’un fonds » tel que le V20 Loss and Damage Funding Program, au demeurant totalement nécessaire pour faire face à l’urgence des besoins exprimés sur le terrain par les communautés locales, et répondre de manière adéquate en délivrant des fonds rapidement, ce que ne permet pas l’établissement d’un nouveau mécanisme de financement structurel (Finance Facility ou Fonds), mon administration est actuellement occupée d’explorer d’autres pistes tout aussi concrètes pour acheminer l’aide directement aux communautés locales, eu égard à leurs besoins exprimés sur le terrain.

    Elle se penche également sur la pertinence de nourrir le réseau international de réflexion-action sur le volet « pertes et préjudices », via les résultats d’études, de recherche-action ou encore d’études de cas.