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L’exemple du village de Feldheim en Allemagne et la décentralisation en matière d'énergie

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 265 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 18/11/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Alors que toute l'Europe s'interroge sur la maîtrise du prix de l'électricité et du gaz, que le citoyen ne cesse de s'appauvrir pour devoir faire face aux besoins primaires, le village allemand de Feldheim, situé entre Berlin et Leipzig, reste serein et s'acquitte d'une électricité au prix de 12 centimes le kWh !

    Les habitants de ce village ont réussi l'exploit d'être autonomes avec le renouvelable en électricité, mais aussi en chauffage, ce depuis plus de 10 ans !

    La solution est très simple et s'ancre dans la décentralisation, les habitants étant propriétaires de leurs réseaux : câbles pour l'électricité et tuyaux pour le chauffage ! Ils apportent tous les jours la preuve que le renouvelable est la seule énergie capable de faire baisser le prix, pas le gaz ou le nucléaire !

    Il s'agit aussi d'une gouvernance pensée étape par étape, avec une responsabilisation des citoyens, incluant leurs soutiens financiers, celui de l'Union européenne et de l'État fédéral allemand. Aujourd'hui, le village produit 250 millions de kilowattheures par an et n'en consomme qu'un million !

    Pour le maire du village, Michael Knape, « la transition écologique ne se fera que par la multiplication de projets décentralisés » et « avec moins de bureaucratie ». Il indique que ce modèle est « évidemment transposable » ailleurs même si « chaque commune est différente ».

    Monsieur le Ministre connaît-il l'exemple de Feldheim et que lui inspire cette autonomie liée à la décentralisation ?

    Quels éléments de réflexion et quelles conclusions en tire-t-il ?

    Un Feldheim wallon est-il imaginable ?

    Au regard des législations en cours, quels obstacles ce village wallon devrait-il affronter pour y parvenir ?

    D'autres difficultés que juridiques sont-elles également identifiables ? Lesquelles ?

    La crise énergétique que nous vivons n'est-elle pas le moment idéal pour permettre des expériences pilote, pour oser emprunter des chemins insuffisamment explorés et changer les paramètres les plus conservateurs ?

  • Réponse du 23/12/2022
    • de HENRY Philippe
    Le projet de Feldheim a débuté en 1995 et est le résultat d’une collaboration entre une autorité publique, des citoyens et un promoteur. Il se compose actuellement de 55 éoliennes, une ferme solaire, une unité de biométhanisation avec cogénération et d’une unité de stockage. N’ayant pu racheter ou louer le réseau d’électricité public à la société de services publics régionale E.ON, les villageois, avec le soutien financier de l'UE, ont décidé de construire leur propre réseau d'électricité parallèle et de chauffage urbain. Ces derniers alimentent les 37 habitations, 3 fermes, 2 entreprises et 2 autorités locales.

    D’un point de vue contextuel, et même si les directives européennes réglant le marché s’appliquent tant en Allemagne qu’en Wallonie, force est de constater que l’organisation des acteurs du secteur électrique y est largement différente de celle qui existe en Région wallonne. En effet, notre territoire comporte 5 gestionnaires de réseaux de distribution totalement « unbundlé » alors que l’Allemagne comporte près de 900 gestionnaires de réseaux de distribution qui sont pour la plupart des services municipaux qui alimentent mois de 10 000 clients. Ces GRD sont « intégrés ». Cette différence, autorisée par la directive pour les entreprises qui alimentent moins de 100 000 clients, permet déjà à elle seule d’expliquer l’éclosion d’un tel projet, car une entreprise peut à la fois y être producteur, fournisseur et distributeur.

    En ce qui concerne la Région wallonne, l’unbundling est complet et les activités liées au réseau électrique sont encadrées par le décret du 12 avril 2001 (décret électricité) et ses arrêtés d’exécution dans lequel est transposée la directive relative au marché.

    Ainsi, l’article 26 §1er alinéa 2 du décret électricité prévoit que « Tous les clients finals sont éligibles. Ils sont exclusivement alimentés par un réseau exploité par un gestionnaire de réseau, sauf exception relevée dans le décret pour un réseau privé, un réseau fermé professionnel ou une ligne directe ainsi qu'un projet pilote, autorisé par la CWaPE conformément à l'article 27, constituant un réseau alternatif au réseau public exploité par un gestionnaire de réseau ou visant à tester la généralisation d'un nouveau principe de tarification des réseaux de distribution » et l’article 2 23°ter, prévoit que le Gestionnaire de réseau est « le gestionnaire d'un réseau de distribution et/ou le gestionnaire du réseau de transport local désigné conformément aux dispositions du chapitre II ».

    Donc en « régime standard », un client final doit être connecté au réseau de distribution, opéré par un gestionnaire de réseau non intégré et désigné par le Gouvernement.

    À côté du régime standard, il existe les réseaux alternatifs. Conformément au décret, et donc à la directive, la création de ce type de réseaux est soumise au respect de plusieurs conditions et il ne peut alimenter qu’un petit nombre de clients résidentiels employés ou associés au propriétaire du réseau. Le recours à cette disposition ne permettrait donc pas de reproduire le projet de Feldheim.

    De même, un tel projet ne pourrait avoir lieu au sein d’un réseau privé, car ceux-ci sont interdits sauf pour 4 cas de figure tels que l’utilisation temporaire, les habitats permanents repris sur la liste du GW …

    Dès lors, un tel projet pourrait être établi dans deux cas.

    Il pourrait être un projet-pilote qui permettrait de tester une distribution d’électricité spécifique. Pour ce faire, il devrait être autorisé par la CWaPE et ce pour une durée limitée et sans avoir pour objectif d’éluder des taxes … Le projet MIRACCLE en cours d’analyse en vue d’introduire une demande d’autorisation de projet-pilote, envisage la distribution d’électricité en courant continu selon un réseau spécifique.

    L’autre piste est celle de la communauté d’énergie (renouvelable ou non).

    Mais dans ce cas, l’électricité devrait être véhiculée par le réseau public. En effet, l’article 35undecies §1er dernier alinéa prévoit que « Les communautés d’énergie n’ont pas le droit d’être propriétaires de réseaux ni de les établir, de les acheter, de les louer ou de les gérer ».

    Cette disposition, prévue par la directive, s’inscrit en droite ligne du décret que l’honorable membre avait adopté lorsqu’il était Ministre en charge de l’Énergie et qui prévoyait déjà que le partage d’énergie se fasse via le réseau public de distribution ou de transport local.

    Dans les deux cas, l’objectif de solidarité est d’éviter que les coûts d’entretien et de développement du réseau ne se reportent sur un nombre plus en plus faible de consommateurs, les autres développant leur propre réseau pour éluder des coûts.

    Et ce d’autant plus que le réseau est suffisamment développé en RW. En cas de zones totalement non desservies par le réseau, cela ferait sens, mais cela ne semble pas être le cas en Région wallonne. Dès lors, le risque pourrait être que ce genre de réseau de distribution privé se développe dans des zones fortement peuplées, amenant à un coût d’exploitation de réseau fort bas par personne desservie, et laissant le réseau public desservir les zones les moins densément peuplées, amenant de facto à un coût pour ses utilisateurs plus important.