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L’évolution du projet "Katabata" par l’Université de Liège et ses enjeux opérationnels, énergétiques et économiques à long terme

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 267 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 18/11/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Lors de la Commission énergie du 13 juillet 2020, Monsieur le Ministre donnait des éléments de réponses à M. Olivier Bierin sur le projet scientifique « Katabata » de l'Université de Liège.

    Lancé il y a 2 ans par des chercheurs de l'Université de Liège, le projet « Katabata » vise à implanter 10 000 éoliennes au sud du Groenland.

    À la suite de l'utilisation du modèle MAR en simulation, trois stations météorologiques ont été installées à divers endroits afin de mesurer en temps réel la capacité des vents catabatiques du Groenland.

    Si les données mathématiques sont confirmées, c'est tout un hub énergétique éolien qui pourrait voir le jour et alimenter le continent européen !

    « Katabata » va maintenant nécessiter des campagnes de mesures plus précises. Le Professeur Damien Ernst suggère la construction d'un projet plus global tel que la construction d'un port, une ville, des terminaux de liquéfaction de gaz, etc. L'investissement initial avoisinerait les dix milliards d'euros.

    Il y a aussi un enjeu opérationnel sur le long terme qui est celui du rapatriement de l'énergie qui serait produite par ces éoliennes vers l'Europe. Deux stratégies existent telles que la pose de câbles électriques au fond de la mer, jusqu'à l'Europe (« Global Grid »), et la transformation de cette électricité en molécules riches en énergie.

    Monsieur le Ministre est-il au courant des derniers développements de « Katabata » ?

    La Région est-elle attentive à la question de l'exploitation énergétique de cette portion de territoire avec les autorités groenlandaises ?

    Qu'en est-il de l'enjeu opérationnel et la faisabilité technique ?

    La Région est-elle attentive, voire active sur ces aspects ? Quid de l'implication d'autres acteurs économiques ?

    Quel est le soutien politique/financier que la Région wallonne pourrait apporter à ce projet ?

    Va-t-on participer même partiellement à l'investissement mentionné ?

    Qu'en est-il au regard des ressources minérales découvertes dans le même secteur ?



  • Réponse du 29/12/2022
    • de HENRY Philippe
    Le projet « Katabata » semble en effet avoir donné un verdict sans équivoque : il y a du vent au Groenland. Au-delà, faut-il directement envoyer des développeurs éoliens envahir un des derniers territoires vierges de la planète comme ça sur base de données de quatre stations météorologiques ? Je souhaiterais tempérer quelque peu l’enthousiasme relayé assez largement par quelques éléments plus factuels.

    Je ne nie évidemment pas la qualité de la démarche scientifique et de l’analyse faite des résultats obtenus. Je pense que les équipes en charge du projet sont extrêmement compétentes. Ce que je reproche un peu dans la communication faite, c’est que l’étude, aussi bonne soit-elle, ne donne qu’une estimation extrêmement grossière de la réalité probable.

    Pour les besoins de ma réponse, je vais prendre en parallèle le projet européen « New European Wind Atlas » (NEWA) cofinancé par la Wallonie en 2016. Ce projet, d’un budget global de 13 millions d’euros auquel des budgets additionnels équivalents ont été apportés par le Gouvernement américain, visait à l’établissement du potentiel éolien en Europe. À toutes fins utiles, l’honorable membre trouvera le résultat de la carte sur ce lien : https://map.neweuropeanwindatlas.eu/

    Cette carte a été établie sur base de données météorologiques multiples et variées historiques, sur les données météorologiques d’éoliennes de grande puissance des partenaires industriels du groupe et de modèles mathématiques de plusieurs laboratoires de recherche.

    Des campagnes de mesure de vent ont été réalisées en Scandinavie, en Allemagne, en Espagne et au Portugal. L’exercice ayant été le plus poussé au Portugal avec une vingtaine de stations de mesures, plusieurs lidars, des lâchers de ballon-sonde… Tout cela pour définir une carte en trois dimensions avec un niveau de fiabilité que le promoteur de projet a jugé insuffisant.

    Le potentiel éolien d’un site aussi complexe que celui au Groenland ne permet certainement pas de se fier aux données de quatre stations météorologiques placées à quelques mètres de hauteur dans un terrain aussi complexe que celui du Groenland et alors que les nacelles des éoliennes seront situées parfois à plusieurs centaines de mètres de hauteur dans des courants très différents de ceux mesurés.

    Il y a bien un potentiel, c’est une évidence que je ne nie pas, mais il est difficile de croire qu’un modèle mathématique puisse valider aussi facilement un potentiel. Je pense qu’il ne faut donc pas être aussi optimiste que celui avancé. Pas sans des études additionnelles, pas sans qu’une campagne plus précise de la qualité de celle du NEWA n’ait été réalisée.

    Au-delà de la question éthique que constituerait l’exploitation de ce site naturel exceptionnel se poseraient des questions techniques élémentaires. C’est bien beau de construire de mettre en œuvre des éoliennes aussi loin de tout, mais comment assurer l’acheminement de l’électricité produite et, surtout, des volumes produits ?

    Placer une série de câbles semble à écarter pour des raisons de coûts. Sauf, peut-être, vers le Canada.

    Aussi l’équipe du projet privilégie-t-elle de le transporter sous forme de molécules physiques. L’idée est intéressante, mais se heurte malgré tout à certains problèmes de logistiques. À nouveau à cause des volumes. Volumes qui nécessiteront immanquablement une flotte de transport inimaginable. Flotte qui devra être propre au passage afin d’éviter une augmentation substantielle des émissions du transport maritime.

    Trois options se présenteront et tournent autour de l’hydrogène et de ses dérivés.

    Liquéfaction de l’hydrogène et transport. Le coût énergétique d’une telle option est gigantesque par rapport à l’énergie transportée.

    Elle est envisageable, mais la flotte de transport d’hydrogène liquide devra être intégralement constituée et adaptée pour le maintien à l’état liquide de l’hydrogène.

    La production de gaz de synthèse par capture atmosphérique du CO². Le transport de LNG (gaz naturel liquéfié) est plus facile car la température de liquéfaction du gaz naturel est plus élevée. Mais j’attire l’attention sur deux éléments. Le premier est la nécessité de mettre en place une série d’usines de méthanation avec le personnel qui sera nécessaire pour les faire tourner. Le second, c’est le rendement énergétique lié à la capture atmosphérique de CO². Je pense que n’importe quel économiste disqualifierait une option économique avec un rendement global de moins de 1%. Pour faire très simple, 100GWh produits au niveau des éoliennes donneraient 1GWh d’énergie restituée. Tout simplement parce que le rendement de la capture atmosphérique de CO² est trop faible en l’état actuel des technologies. L’alternative pourrait être de transporter le CO² par bateau jusqu’au Groenland et de ramener du méthane de synthèse.

    Troisième option, qui nécessiterait aussi la construction d’usines et la présence de personnel, mais qui offrirait un rendement plus intéressant, la synthèse d’ammoniac. Option trop souvent écartée, mais qui offre néanmoins quelques avantages industriellement.

    Personnellement, même si je salue évidemment la démarche, je pense qu’il existe encore trop de contraintes pour affirmer qu’il s’agit d’une solution réaliste. Et ce, tant à court ou moyen terme. Surtout que des vents de ce type, on en trouve dans des zones plus faciles à exploiter et à raccorder au réseau sans avoir nécessairement à recourir à une logistique particulièrement lourde. Je pense, par exemple, à l’Écosse ou à la façade maritime de la Scandinavie qui offrent indéniablement des solutions plus réalistes.

    Maintenant, si l’honorable membre me demande si la Région est prête à investir pour une nouvelle campagne d’étude poussée de la qualité offerte par NEWA, je lui répondrais qu’il serait indéniablement utile que nous en soyons. Nous disposons d’excellents laboratoires météorologiques, d’excellents centres de recherche en dynamique des fluides et il serait dommage de ne pas les mettre à contribution dans une étude plus poussée qui évaluerait la faisabilité et le risque technique au développement d’éoliennes de très haute puissance dont le sommet serait à plus de 200 mètres.

    Je me permets une dernière réflexion sur sa remarque concernant l’exploitation du sol. Le Groenland, qui dispose d’une autonomie constitutive lui permettant de valoriser son potentiel territorial souhaite ouvrir certaines de ses emprises à l’exploration et l’exploitation minière. Les deux activités (production de vent et exploitation minière) pourraient être compatibles, mais il faudra, je le pense faire des choix. Même si la région où ont été déployées les quatre stations se situe dans le sud plus peuplé (la population totale du Groenland étant de 57 000 habitants), je lui laisse évaluer les choix raisonnables que devraient prendre les autorités groenlandaises :
    - laisser une nature préservée d’une qualité exceptionnelle ? ;
    - placer 1 000 éoliennes de plus de 200 mètres de haut et une série d’usines de conversion d’hydrogène, sans parler des terminaux gaziers qu’il sera impératif d’aménager ? ;
    - exploiter intensivement le potentiel en or, en graphite (nécessaire aux batteries), en titane, en zinc (que l’on voit se profiler comme une alternative intéressante au lithium vu son abondance), en cuivre, en zirconium, en vanadium (pouvant servir au stockage électrique), en terres rares (indispensables à la transition avec une ultradépendance à la Chine) ou en Uranium.