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La reconfiguration du commerce et des chaînes d’approvisionnement mondiales

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 176 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 22/11/2022
    • de MAUEL Christine
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Selon une étude très récente de la Banque Nationale de Belgique, nous pouvons nous attendre à une reconfiguration du commerce et des chaînes d'approvisionnement mondiales, assortie d'une gestion des risques plus prudente, voire aussi de davantage de régionalisme et de délocalisation amicale (friendshoring).

    La Présidente de la BCE, Christine Lagarde, vante les avantages de la régionalisation, tandis que la Secrétaire au Trésor américain, Janet Yellen, promeut activement la délocalisation amicale (friendshoring).

    Selon l'étude précitée de la Banque Nationale, les entreprises et les gouvernements « cherchent comment rendre la production et l'approvisionnement plus résistants aux chocs ».

    Monsieur le Ministre a-t-il pris connaissance de l'étude de la Banque Nationale de Belgique ?

    Partage-t-il les propos de la Présidente de la BCE ?

    L'économie wallonne ressent-elle cette reconfiguration du commerce et des chaînes d'approvisionnement ?

    Assistons-nous déjà à un véritable phénomène de démondialisation ?

    Le Gouvernement wallon prend-il des mesures qui favorisent la résilience des entreprises qui se situent sur son territoire ?
  • Réponse du 09/12/2022
    • de BORSUS Willy
    La Wallonie reste une « petite » économie ouverte sur le monde. La dernière édition du rapport sur l’économie wallonne (Issu d’une collaboration entre l’IWEPS, la SOGEPA et le SPW-EER, voir : https://www.sogepa.be/fr/news/372_rapport-sur-leconomie-wallonne-2022-une-contribution-de-la-cellule-economique-sogepa-sur-la-dependan) a montré que même si le rythme de croissance des exportations a ralenti par rapport aux évolutions exceptionnelles observées au début de ce siècle, les exportations ont progressé de manière favorable durant la période d’expansion économique internationale qui s’étend de 2014 à 2019. Elle illustre aussi comment l’industrie domestique a notamment pu compter sur une récupération rapide d’un certain dynamisme des échanges mondiaux de marchandises, une fois le blocage du printemps 2020 surmonté. Les exportations wallonnes ont dès lors joué pleinement leur rôle de soutien à la croissance du PIB durant cet épisode également.

    Les crises récentes ont souligné combien nos économies sont fortement interconnectées. La crise sanitaire et les conséquences de la guerre en Ukraine ont ainsi révélé un autre élément potentiel de fragilité qui se pose aux entreprises à l’international, un défi qui avait pu, jusqu’il y a peu, demeurer relativement secondaire dans un environnement marqué par une mondialisation croissante : le risque pour nos économies d’une trop forte concentration des sources d’approvisionnement.

    Or, le renforcement de politiques régionales européennes est d’un intérêt certain et l’inscription de la Wallonie dans des projets européens est une priorité.

    Les chaînes de valeurs régionales s’inscrivent toujours dans des chaînes de valeurs mondiales. Ainsi l’on a vu par exemple l’industrie du vaccin se modifier totalement. En 2019, 1,7 milliard de vaccins étaient produits en Europe annuellement pour ¾ de la production mondiale et 16 % de la part en R&D (122 000 emplois au total). Ce secteur a complètement été modifié depuis la crise Covid et une émergence de nouveaux sites de production, notamment en Asie.

    Les chaînes d’approvisionnement sont en constante mutation et différentes tendances ont été ressenties ces dernières années. L’objectif premier est de rendre ces chaînes résilientes et solides. En ce sens, des tendances en reconfiguration s’observent :
    - augmentation de la prise de conscience des risques dans la chaîne d’approvisionnement (risques matières, risques géopolitiques, risques environnementaux, et cetera) et de la fragilité de certaines d’entre elles ;
    - certains produits qui avaient une source unique d’approvisionnement (souvent par facilité, contraintes de qualité et optimisation) sont maintenant diversifiés au niveau des sources ;
    - différentes tendances continuent d’affecter les supply chain et réflexions : retards et pénuries, perturbation tant du côté de l’offre que la demande ou délais ;
    - le point principal d’attention reste la gestion des coûts, notamment à la vue des augmentations de prix ; 42 % des directeurs de la chaîne logistique indiquent qu’ils sont tenus de maintenir les marges et la rentabilité actuelles et d'atteindre les objectifs de durabilité, de rapidité et d'innovation (étude Gartner de 2022 auprès de 1 000 responsables) ;
    - plus d’une entreprise sur deux va être très attentive aux impacts GES liés aux choix des fournisseurs, ce qui peut avoir un impact certain sur les réorganisations de chaînes ;
    - les entreprises continuent à se transformer digitalement pour une meilleure optimisation des flux, et traçabilité et de stock ;
    - une tendance à la reconstitution de stock est en cours. Aujourd’hui, le marché logistique belge affiche un taux d’occupation de 98 % et cela, alors que les stocks ont diminué. Dès que possible, certains stocks stratégiques seront reconstitués et l’infrastructure logistique sera nécessaire ;
    - l’Europe s’inscrit dans une volonté d’autonomie stratégique notamment dans le secteur pharmaceutique ou des semi-conducteurs. Ces projets se mènent à l’échelle régionale européenne et il est important pour nous de s’inscrire dans ces tendances ;
    - grâce aux évolutions technologiques et en fonction de problèmes de main-d’œuvre, on observe aussi une importance accrue de l’automatisation de la robotisation ; cela peut avoir un impact sur les localisations de site de production. (Les sites hautement automatisés devraient passer de 18 % en 2021 à 47 % en 2024 selon une étude de Supply chain Media).

    A l’image des exercices entamés au niveau européen et belge, il est également intéressant d’analyser plus finement la dépendance aux importations au niveau de la Wallonie. Une analyse de dépendance a été réalisée récemment par la SOGEPA et le SPW-EER. Celle-ci consistait à regarder les produits pour lesquels les importations wallonnes sont majoritairement issues de pays non européens et pour lesquels les sources d’approvisionnement sont concentrées.

    En termes de résultats, on observe que la Wallonie importe 1 210 produits différents, dont 135 ont une origine majoritairement extra-européenne et, parmi ceux-ci, 60 ont une source d’approvisionnement concentrée dans un nombre réduit de pays. En termes relatifs, ces 135 produits dépendants représentent près d’un quart des importations wallonnes totales de marchandises et ces 60 produits dépendants et concentrés représentent un peu plus de 5 % en moyenne. En termes de valeur des importations, c’est de la Suisse, des États-Unis et de la Russie dont la Wallonie est la plus dépendante et, en termes de produits, ce sont des produits pharmaceutiques et des produits en acier pour lesquelles les importations majoritairement issues de pays non membres de l’Union européenne sont les plus élevées.

    Ceci éclaire l’analyse de la position de la Wallonie comme « petite » économie ouverte et suggère de poursuivre la politique industrielle du renforcement des chaînes de valeurs en coordination avec les autres leviers d’actions au fédéral et à l’Europe.

    Le « monitoring » de notre économie mériterait d’être approfondi, en particulier au niveau régional pour mieux détecter les dépendances indirectes via les autres régions et comprendre davantage la valeur ajoutée régionale contenue dans nos flux de commerce. L’autonomie européenne doit être renforcée via l’investissement et le développement de capacités technologiques et industrielles. Il s’agit en particulier de soutenir l’investissement dans la recherche et l’innovation pour développer des voies de substitution à l’image de la Stratégie de spécialisation intelligente (S3) qui (1) se focalise sur des chaînes de valeurs prioritaires (domaines d’innovation stratégique), (2) capitalise sur des partenariats forts renforçant le potentiel d’innovation, la compétitivité des acteurs et leur ancrage dans le territoire et (3) dont on voit certaines initiatives d’innovation stratégique viser justement un renforcement de l’autonomie régionale. Par ailleurs, le développement de l’économie circulaire via la Stratégie Circular Wallonia est également à souligner.

    J’aurais plutôt tendance à souligner pour les entreprises l’intérêt de réduire les risques d’une trop forte concentration et d’ajouter à une gestion des coûts une gestion des risques en diversifiant les sources d’approvisionnement et en constituant des stocks stratégiques, par exemple. Dans ce sens, l’étude récente de la Banque Nationale (https://www.nbb.be/fr/articles/se-dirige-t-vers-une-ere-de-demondialisation) rappelle que la mondialisation n’est pas morte, mais qu’on peut s’attendre à une reconfiguration du commerce et des chaînes d’approvisionnement mondiales, assortie d’une gestion des risques plus prudente, voire davantage de régionalisme et de délocalisation amicale, suggérant de capitaliser davantage sur des liens forts avec nos partenaires européens en premier lieu. Comme le souligne cette étude, les enquêtes semblent montrer actuellement que les entreprises tentent effectivement d’accroître la résilience de leurs chaînes d’approvisionnement par une meilleure gestion de leurs stocks et une diversification de leurs fournisseurs plutôt que par de vastes stratégies de relocalisation.

    En termes de politique industrielle, il s’agit de renforcer les chaînes de valeurs de nos entreprises en ayant une vision large qui lie les questions d’innovation, formation, production, et l’adéquation avec les usages et les réponses aux défis sociétaux, et ce, en capitalisant sur de fortes collaborations au niveau européen sans négliger les autres leviers de politique industrielle que sont les aspects réglementaires (voir par exemple, le Carbon Border Adjustment Mechanism pour assurer la compétitivité de notre industrie dans une économie globalisée), la législation en termes de concurrence ou les marchés publics.

    Depuis les années, 1990 les chaînes sont beaucoup plus fragmentées (au niveau fonctionnel et géographique). Cela a engendré une globalisation et restructuration des opérations avec deux phénomènes qui sont les délocalisations et externalisations. Cela amène aujourd’hui le commerce mondial à être majoritairement un commerce intermédiaire. Selon l’organisation mondiale du commerce, plus de 50 % des produits fabriqués importés sont des produits intermédiaires et cela monte même à plus de 70 % pour les services. Il est donc important de capter une partie de ces chaînes de valeur.

    Au niveau des marchés, les mesures de protection de marché ont un impact sur les marchés d’exportation (mesures aux USA ou encore récemment en chine sur les composants des dispositifs médicaux). Cela réoriente les marchés commerciaux.

    Nous observons aussi différentes stratégies internationales se mettre en place et qui ont un impact sur les réorganisations des flux (Strategic Supply Chain Taskforce aux USA, Belt and road initiative en Chine ou de manière plus proche des volontés de relocalisations en France). Dans cela, différentes tendances apparaissent comme le backshoring (reshoring) ou nearshoring.

    Le backshoring (reshoring) se produit lorsque les activités de fabrication retournent dans leur pays d'origine initial, tandis que le nearshoring se produit lorsque la fabrication est délocalisée dans un pays plus proche du « foyer ». Cela peut avoir différentes justifications : le service au client et la proximité, la réduction des impacts écologiques et coûts de transport, une plus grande réactivité notamment.

    Il y a toujours un débat au niveau européen sur l’intérêt du reshoring. Ainsi, si l'existence de compromis entre les objectifs d'accroissement de l'efficacité économique et de la sécurité de l'approvisionnement est largement reconnue, la question de savoir si la relocalisation est une politique à la fois efficace et efficiente pour accroître la sécurité de l'approvisionnement est encore très contestée. Ainsi, il est très difficile par exemple de concilier le fait d’offrir des médicaments bon marché en produisant les matières premières en Europe.

    Une étude Mc Kinsey de 2020 a identifié 8 facteurs à considérer pour un reshoring :
    - (i) les changements géographiques qui se produisent déjà (parts de marché) ;
    - (ii) une forte intensité de capital et des économies d'échelle qui rendent les déplacements géographiques plus coûteux et donc moins probables ; (augmentation des coûts de transport notamment) ;
    - (iii) une forte intensité de connaissances et des écosystèmes de fournisseurs spécialisés qui empêchent les déplacements géographiques ;
    - (iv) l'accès aux ressources qui rend difficile le déplacement de la localisation pour les chaînes de valeurs mondiales à forte intensité de ressources ;
    - (v) la croissance de la demande et les stratégies d'implantation à proximité des marchés de consommation qui entraînent des changements de localisation dans certains cas ;
    - (vi) la grande complexité des produits et la faible substituabilité des intrants qui réduisent les possibilités de déplacer la production ou l'approvisionnement ;
    - (vii) la régionalisation des chaînes de valeur à proximité des principaux marchés de consommation afin de réduire les délais et de répondre plus rapidement aux demandes des acheteurs/consommateurs ;
    - et (viii) la faible intensité des échanges due aux caractéristiques des produits (par ex. produits périssables ou extrêmement lourds) qui limitent les déplacements géographiques.

    En ce sens, certaines industries présentent un plus fort potentiel (Equipements électroniques, machines, pharma-chimie, équipements de transport, électronique)

    Différentes mesures sont mises en place pour aider les entreprises sur le territoire, notamment en mettant en place un soutien spécifique pour les chaînes de valeur via l’AWEX et pour leur dimension internationale ainsi que le renforcement de nos secteurs forts.

    L’AWEx est aux côtés des entreprises et sur les enjeux spécifiques et pour favoriser la résilience :
    - en accompagnant la stratégie internationale des entreprises et leur compréhension des enjeux de la chaîne de valeur (analyse de risques, évolutions importantes des marchés, contexte mondial) ;
    - en fonction des évolutions géopolitiques, économiques, des mesures spécifiques sont mises en place. Ainsi, différentes mesures ont par exemple été mises en place dans le cadre du Brexit ;
    - sensibilisation des entreprises à une plus grande connaissance des enjeux des chaînes de valeur (analyse de risques, gestion de stock, etc.) via des accompagnements spécifiques ou des séminaires ;
    - accompagnement dans la recherche de nouveaux fournisseurs, fournisseurs alternatifs via le réseau des conseillers économiques et commerciaux ;
    - sessions d’informations sur la compréhension des enjeux en "supply chain" ;
    - groupes de travail spécifiques sur les enjeux en approvisionnement (ex dans le secteur biopharma avec Essenscia) ;
    - analyse des chaînes de valeurs et enjeux spécifiques des filières.

    Nous encourageons également à avoir des organisations résilientes en :
    - diversifiant les sources ;
    - analysant les risques ;
    - favorisant des stocks stratégiques ;
    - analysant les marchés et enjeux et ciblant les meilleurs marchés ;
    - diversifiant éventuellement leur design en fonction des enjeux d’approvisionnement ;
    - en mettant en place des organisations réactives, digitales et durables.