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Le concept de "Carbon farming" et l’accord européen de novembre 2022 sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 298 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 24/11/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    La Commission européenne a annoncé, début novembre, avoir convenu un accord avec le Parlement et le Conseil sur l'utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresterie (UTCATF).

    Dans le cadre législatif de « Fit for 55 », cet accord vise à accroître l'absorption nette de carbone par les puits naturels à 310 millions de tonnes d'équivalent CO2 d'ici 2030, soit environ 15 % de plus qu'aujourd'hui.

    Dans un souci de simplifier les règles existantes et d'améliorer la qualité de la surveillance, de la déclaration et de la vérification des émissions et des absorptions, en utilisant un suivi des données plus exact et plus précis, l'accord se base sur deux phases telles que (1) celle de 2021 à 2025 avec un engagement « sans débit », aligné sur le règlement UTCATF actuel, et (2) celle de 2026 à 2030, où l'objectif de suppression nette de l'UE passera à -310 Mt d'équivalent CO2.

    L'objectif sera réparti de manière équitable entre les États membres en fonction des niveaux récents d'absorption ou d'émission et du potentiel d'augmentation des absorptions. Il incombera aux États membres de prendre soin de leurs puits de carbone et de les développer pour atteindre le nouvel objectif de l'UE.

    Ceux-ci pourront faire preuve de « flexibilité » en achetant ou en vendant des « unités d'absorption ». À cet égard, des ONG environnementales ont vivement critiqué l'accord sur l'UTCAF, dénonçant son manque d'ambition et de transparence.

    Quelle lecture en fait Monsieur le Ministre ?

    Quelles implications cet accord aura-t-il sur la politique climatique de la Région ?

    Quel est son avis sur la « flexibilité » octroyée aux États membres ?

    Partage-t-il les critiques émises par les ONG environnementales ?

    A-t-il pris contact à ce sujet avec le Ministre de l'Agriculture à cet égard ?

    Quels sont les défis qui s'imposent à notre Région à l'aube d'un accord mêlant la politique agricole et climatique ?
  • Réponse du 17/01/2023
    • de HENRY Philippe
    Il est utile dans un premier temps de rappeler certains éléments. L’accord sur l’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et la foresterie comporte deux phases (période 2021-2025 et période 2026-2030) :

    Pour la période de 2021 à 2025, la comptabilisation se fait selon des règles spécifiques pour chaque sous-secteur (gestion forestière, boisement/déboisement, gestion des terres de cultures et de prairies et produits récoltés du bois). Pour la gestion forestière, qui est le puits de carbone le plus important en Région wallonne, la comptabilisation se fait par différence par rapport à un niveau de référence. Au niveau du boisement/déboisement, le bilan actuel est une émission nette de 116 kt en 2020. Concernant la gestion des terres de culture et de prairies, l’inventaire a été largement revu en 2022. Suite à la publication de données Requasud montrant une diminution de la teneur en carbone des prairies, l’AwAC, en partenariat avec l’UCL, a effectué en 2022 une mise à jour de l’évolution des teneurs en carbone dans les sols, sur base des données Requasud.

    De nouvelles campagnes d’analyse sont prévues avec le CRA-W dans le cadre du projet 114 intitulé « Mettre en place un suivi régional des stocks de carbone dans les sols » du Plan de relance de la Wallonie afin de confirmer et affiner ces données.

    Pour la période de 2026 à 2030, la comptabilisation se fera de manière uniforme pour tous les sous-secteurs, en comparant l’ensemble des émissions/absorptions à une période de référence. Ceci simplifiera la comptabilisation, mais l’objectif unique sera une augmentation du puits de carbone. Pour la Belgique, l’objectif proposé pour l’augmentation du puits de carbone représente un défi majeur.

    Le bilan au niveau wallon dépendra fortement de l’évolution de l’occupation des terres (impacts des changements d’affectation des terres) et de la gestion forestière (intensité des coupes notamment).

    Les pistes de travail concernent l’adaptation aux changements climatiques, le stockage du carbone ainsi que l’inventaire.

    L’adaptation des forêts aux changements climatiques est un enjeu déjà largement intégré. Plusieurs initiatives récentes y contribuent, ce qui est essentiel pour assurer le maintien à long terme des stocks de carbone dans un contexte où plusieurs impacts tendent à augmenter, comme par exemple les épisodes de sécheresses ou de développement des scolytes. Il s’agit par exemple des projets Observatoire wallon de la santé des forêts (OWSF) Forêt résiliente, adéquation des essences selon le Code forestier, gestion Prosilva, Trees for future (SRFB) ...

    Pour le stockage du carbone, en agriculture, plusieurs mesures proposées dans la nouvelle Stratégie PAC 2023-2027 contribuent au maintien des prairies permanentes ou du couvert du sol et donc au maintien des stocks de carbone. Une mesure agroenvironnementale et climatique vise spécifiquement l’accroissement des stocks de carbone dans les sols. L’écorégime « maillage écologique » encourage le maintien et le développement de zones favorables à la biodiversité, en ce y compris les éléments tels que les haies et les arbres.

    Le Plan de Relance de Wallonie comporte un ensemble d’actions « transition agroécologique ».

    L’outil d’aide à la décision DECiDE développé par le CRA-W qui permet d’effectuer des bilans de gaz à effet de serre, d’énergie et d’ammoniac à l’échelle de l’exploitation.

    L’ASBL Greenotec est subventionnée pour mener des expérimentations afin d’optimiser des itinéraires techniques de conservation des sols et à conseiller les agriculteurs pour la mise en place de pratiques culturales en travail du sol simplifié

    Dans le secteur forestier, plusieurs actions et primes existantes visent à encourager le boisement dans des zones non forestières, à favoriser la biodiversité et la résilience de la forêt via la plantation de plusieurs essences et la replantation par des propriétaires.

    Outre les prescriptions du Code forestier, plusieurs actions soutiennent une gestion forestière durable (bois issus de forêts certifiées PEFC ou FSC …).

    L’AWAF (Association pour l’agroforesterie en Wallonie et à Bruxelles) devrait se voir confier une nouvelle mission de développer un « Plan Stratégique Agroforesterier Wallon » qui dressera un état des lieux des pratiques existantes, analysera la vision des acteurs de l’agriculture, fournira des formations et agira conjointement avec des équipes de juristes pour lever certains freins légaux au développement de ces pratiques. Ce projet devrait permettre d’augmenter encore le rayonnement des actions entreprises dans le cadre du programme « Yes We Plant » avec un focus sur l’agriculture.

    Concernant l’inventaire, plusieurs aspects devront être améliorés en vue de répondre aux nouvelles obligations de rapportage. De nouvelles campagnes de mesure du carbone des sols sont prévues dans le cadre du Plan de relance wallon (projet 114).

    Ces éléments montrent à quel point le dossier de la séquestration du carbone se révèle complexe. Par ailleurs, les nouveaux objectifs européens seront particulièrement ambitieux pour la Wallonie. Néanmoins, la mise en place de politiques spécifiques pour ces secteurs en Wallonie fait bien partie du Plan Air Climat Énergie comme c’est le cas pour les autres sources d’émission de gaz à effet de serre.

    L’initiative « carbon farming » (certification des absorptions de carbone) vise à promouvoir l’agriculture bas-carbone, en développant un modèle économique qui permette de rémunérer les pratiques agricoles et sylvicoles favorables à la séquestration et au stockage de carbone.

    Cette initiative européenne est suivie au niveau wallon (réseau CCPIE piloté par le SPWARNE, participation de l’AwAC).

    Cette initiative européenne est à mettre en lien avec le projet 207 du Plan de relance wallon qui vise à rémunérer les agriculteurs pour les services environnementaux rendus.

    D’autres initiatives privées, actuellement en développement (Soil Capital ou autres) sont également suivies par mes services.

    Il faut néanmoins rester prudent au regard de l’idée d’introduire un mécanisme de certification de l’absorption du carbone. En effet, la permanence du stock de carbone l’additionnalité et le risque de double comptage sont des éléments qui seront au cœur des discussions sur l’intégrité d’un tel système.

    Il faut se souvenir des discussions qu’il y a eu lorsque l’on a voulu introduire les puits de carbone dans le mécanisme pour un développement propre de l’UNFCCC.

    La coordination avec le Ministre de l’Agriculture est bien entendu nécessaire sur ces points et elle se fait en particulier lors des discussions sur les différentes mesures prévues dans le Plan Air Climat Énergie (PACE).

    Enfin, les défis de notre agriculture sont nombreux. Il est d’abord important de rappeler que l’agriculture et la foresterie doivent être vues comme des solutions pour atteindre nos objectifs environnementaux. L’impact du méthane sur le réchauffement climatique global (et la qualité de l’air) est majeur. La réalisation des objectifs environnementaux de l’Accord de Paris ne pourra s’envisager que si l’on réduit les émissions de méthane d’une manière significative et dans un délai assez court.