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L'utilisation abusive de l'article L1242-2 du CDLD

  • Session : 2010-2011
  • Année : 2010
  • N° : 62 (2010-2011) 1

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  • Question écrite du 03/11/2010
    • de DUPRIEZ Patrick
    • à FURLAN Paul, Ministre des Pouvoirs locaux et de la Ville

    L'article L1242-2 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit que « un ou plusieurs habitants peuvent, au défaut du collège communal, ester en justice au nom de la commune. en offrant, sous caution, de se charger personnellement des frais du procès et de répondre des condamnations qui seraient prononcées. La commune ne pourra transiger sur le procès sans l'intervention de celui ou de ceux qui auront poursuivi l'action en son nom ».

    Cet article a récemment été utilisé par le bourgmestre de la commune de Hamois pour se joindre à un recours au Conseil d'Etat à l'encontre d'un permis unique accordé à un projet de parc éolien qu'il n'avait pas envie de voir aboutir. Action du reste largement médiatisée comme étant un recours de la commune en question. Le tout sans qu'une quelconque décision d'ester en justice ne soit passée par le conseil communal, organe légalement habilité pour ce faire.

    Cette situation est connue de Monsieur le Ministre puisqu'il a été saisi en son temps d'un recours introduit par le groupe local Ecolo de Hamois contre une délibération du Collège communal de Hamois datant du 28 septembre 2009 libellée « recours éolienne Ciney».

    Un tel cas de figure m'inspire plusieurs questions.

    Premièrement, j'aimerais savoir comment Monsieur le Ministre interprète la notion de « défaillance du collège communal » prévue à cet article L1242-2 CDLD ? La commune doit-elle avoir été mise en demeure d'agir ? Ou bien seul un silence constitue-t-il une défaillance ? Le point doit-il avoir été abordé en collège communal ?

    Il semble en tout cas que la thèse défendue par le Gouvernement wallon dans une affaire en cours soit de dire qu'il faut que les habitants aient mis la commune en demeure d'agir ou, à tout le moins, aient invité celle-ci à agir en justice. Il s'agit en l'espèce du dossier relatif à la jonction parc sud du métro léger de Charleroi actuellement soumis à la Cour constitutionnelle et dans lequel le Gouvernement wallon et la ville de Charleroi contestent notamment l'intérêt à agir des habitants de la commune vu l'absence de mise en demeure.

    Monsieur le Ministre confirme-t-il cette interprétation? Dans l'affirmative, sait-il si le Bourgmestre de Hamois a préalablement adressé pareille mise en demeure au collège communal '?

    Deuxièmement, si cet article précise bien que « un ou plusieurs habitants » peuvent introduire un recours au nom de la commune, je voudrais avoir le sentiment de Monsieur le Ministre sur l'interprétation à donner à cette notion. Nous sommes bien d'accord, un bourgmestre est un habitant de la commune, mais peut-on considérer pour autant qu'il est un habitant comme les autres?

    Enfin, quand bien même pourrait-on trouver dans cet article le fondement juridique permettant à un bourgmestre d'aller en justice, en son nom propre et en celui de la commune, je voudrais savoir comment Monsieur le Ministre apprécie cette possibilité en regard de l'article L1242-1 du CDLD qui impose, quant à lui, l'autorisation préalable du conseil communal pour ce type d'action en justice.

    Monsieur le Ministre ne trouve-t-il pas qu'il y a là un risque que des bourgmestres ou échevins utilisent cet article pour contourner le débat démocratique au sein de leur commune?

    Si tel est le cas, quelles pistes envisage-t-il pour mettre fin à cette possibilité, à la limite, reconnaissons-le, de la légalité et témoignant en tout cas d'une notion très particulière de la bonne gouvernance dans le chef de ce bourgmestre? .

    Enfin, que penser de l'amalgame réalisé en termes de communication à la presse, faisant état de l'opposition ferme du « collège communal » face au projet, et signalant le recours de la « commune » par rapport à celui-ci ?
  • Réponse du 17/12/2010
    • de FURLAN Paul

    L'article L1242-1 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation prévoit que :

    «Le (collège communal) répond en justice à toute action intentée à la commune. Il intente les actions en référé et les actions possessoires; il fait tous actes conservatoires ou interruptifs de la prescription et des déchéances.
    Toutes autres actions dans lesquelles la commune intervient comme demanderesse ne peuvent être intentées par le collège qu'après autorisation du conseil communal ».

    L'article L1242-2 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, qui vise l'exercice par un contribuable des actions en justice appartenant à la commune stipule, pour sa part que :
    « Un ou plusieurs habitants peuvent, au défaut du collège communal, ester en justice au nom de la commune. En offrant, sous caution, de se charger personnellement des frais du procès et de répondre des condamnations qui seraient prononcées. La commune ne pourra transiger sur le procès sans l'intervention de celui ou de ceux qui auront poursuivi l'action en son nom ».

    La notion de «défaillance» du collège n'est pas définie juridiquement et le principe d'une mise en demeure préalable de la commune n'est pas non plus retenu dans la législation. Toutefois, du fait que les habitants doivent ester sous caution demeure une garantie pour éviter d'éventuels abus. Au final, il n'en demeure pas moins que le Conseil d'Etat ou les tribunaux auront à examiner l'intérêt à agir : l'intérêt à agir au nom de la commune, sur pied de l'article 271 NLC (lire L1242-2 du CDLD) est apprécié dans le chef de la commune et non des habitants qui ont ouvert l'action.

    Par ailleurs, les dispositions précitées visent des situations distinctes.

    Une chose est l'autorisation du conseil pour permettre au collège d'intervenir en justice, une autre chose est la possibilité pour les habitants d'agir en justice, au défaut du collège communal, au nom de la commune.

    Et à ce titre, il ne me paraît pas anormal ou critiquable qu'un bourgmestre puisse être considéré comme un habitant de la commune et faire usage de l'article L1242-2 précité en prenant le soin d'éviter tout risque de confusion.

    Dans le cas évoqué, on relèvera ainsi que :
    - le bourgmestre concerné n'a pas introduit un recours devant le Conseil d'Etat au nom de la commune, contre le projet d'implantation d'éoliennes sur son territoire: seule la famille ayant intenté le recours est à l'instance;
    - le bourgmestre a mandaté le conseil de ladite famille pour introduire, en son nom, et non au titre de bourgmestre ou de membre du collège communal, un recours en annulation devant le Conseil d'Etat, toujours sans engagement financier.

    Sur un plan plus juridique, le dossier est par conséquent relatif à l'application de l'article L1242-2 CDLD - le recours ut universi - possibilité offerte à un habitant, au défaut du collège, d'ester en justice au nom de la commune.

    Dans un arrêt du 30 mai 2005, la Cour d'appel de Liège a exposé que « ce droit (inscrit à l'article 271 NLC - lire L1242-2 CDLD) qui n'est reconnu qu'« au défaut du collège des bourgmestre et échevins» implique qu'il est soumis à la condition de l'inaction de la commune elle-même agissant par la voie de son organe représentatif. ( ... ) Il y a lieu à ce stade d'examiner, d'un point de vue procédural, la situation des parties à la cause lorsque des habitants, après avoir introduit une action au nom de la commune, voient celle-ci, par la voix de son collège compétent reprendre personnellement l'initiative de l'action judiciaire de l'action introduite en son nom. ( ... ) La commune est par ailleurs, et déjà à ce stade, partie à la cause, les habitants agissant «en son nom». ( ... ) Le collège des bourgmestre et échevins agit valablement au nom de la commune déjà mise à la cause par les habitants qui ont assigné initialement « au nom de la commune ». Il n'est donc point besoin d'acte de reprise d'instance de la part de la commune ni d'intervention volontaire de sa part» (Liège, 30 mai 2005, commune de Stavelot c/ Doutreloux et consorts).

    Un auteur qui commente cette décision confirme que « l'action en justice exercée par les habitants en cas d'inaction des autorités communales ( .. ) demeure une action de la commune, intentée par un ou plusieurs habitants qui n'interviennent qu'au titre de représentants. Seule la commune est partie à l'instance. »(Gautier PIJCKE, « L'action en justice des communes et le rôle des habitants », obs. sous Liège, 30 mai 2005, J.T., 2006, pp.127-130).

    Le collège n'a donc aucune formalité particulière à accomplir, étant dès le dépôt du recours, partie au procès. Sa délibération n'était donc, en soi, pas nécessaire à la procédure en cours.

    Il n'y a donc aucune directive à donner à la commune de retirer le recours. Seul le Conseil d'Etat devra en vérifier la recevabilité. « En toute hypothèse, c'est au juge qu'il revient d'apprécier le fondement de l'action de la commune».
    « L'intérêt à agir au nom de la commune, sur pied de l'article 271 NLC (lire L1242-2 CDLD) est apprécié dans le chef de la commune, et non des habitants qui ont ouvert l'action. Ceci explique, par exemple, que les habitants d'une commune ne peuvent intenter une action contre ce qui a été expressément et régulièrement autorisé par la commune, faute de la démonstration d'un intérêt dans le chef de celle-ci» (Gautier PIJCKE, op. cit., p.128-129).

    L' honorable membre m'interroge également pour savoir, quand bien même pourrait-on trouver dans cet article le fondement juridique permettant à un bourgmestre d'aller en justice, en son nom propre et en celui de la commune, comment j'apprécie cette possibilité en regard de l'article L1242-1 du CDLD qui impose, quant à lui, l'autorisation préalable du conseil communal pour ce type d'action en justice.

    Je le renvoie à la lecture de ce qui précède: il n'y a pas lieu de faire un amalgame entre deux dispositions décrétales réglant des situations spécifiquement différentes.

    Aucun précédent ne me permet, à ce jour, de déduire des questions posées qu'il y a là un risque que des bourgmestres ou échevins utilisent cet article pour contourner le débat démocratique ou la bonne gouvernance au sein de leur commune.

    Enfin, ne disposant pas des communications à la presse émises par le collège communal, je suis dans l'impossibilité d'émettre un quelconque avis sur la question d'un éventuel amalgame.