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L'impact des droits de succession sur l'équilibre des peuplements forestiers en Wallonie

  • Session : 2011-2012
  • Année : 2012
  • N° : 375 (2011-2012) 1

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  • Question écrite du 05/03/2012
    • de DUPRIEZ Patrick
    • à DI ANTONIO Carlo, Ministre des Travaux publics, de l'Agriculture, de la Ruralité, de la Nature, de la Forêt et du Patrimoine

    La Wallonie continue de voir régresser ses forêts feuillues anciennes à un rythme moyen d'environ 400 hectares/an. Celles-ci sont souvent remplacées par la plantation de résineux. L’impact de cette évolution est négatif pour la biodiversité et entraîne une réduction de l'infrastructure écologique principale de notre région, pourtant bien nécessaire pour réaliser de nombreux services écosystémiques conformément aux recommandations de la Commission européenne.

    Dans le contexte des changements climatiques, nous savons aussi que les sols forestiers feuillus sont bien plus résilients que les sols sous résineux et que ces derniers sont trop perturbés après une spéculation résineuse et qu’il faut alors beaucoup de temps pour les reconstituer.

    L'impact écologique des résineux sur le fonctionnement des écosystèmes et sur la résilience des sols forestiers est souvent évalué d’autant plus négativement qu’ils sont fréquemment plantés dans des conditions écologiques incompatibles avec un revenu économique et posent des problèmes environnementaux significatifs (drainage des zones humides, érosion des berges de cours d'eau...).

    Favoriser le maintien, voire le redéveloppement de superficies de forêts feuillues, constitue donc un enjeu et un objectif aussi importants qu’incontestables pour la biodiversité dans notre Région.

    C’est d’ailleurs en ce sens que le Code forestier a prévu la suppression des droits de succession et de donation sur l'ensemble des zones boisées ou identifiées comme telles au Cadastre.

    Pour justifier cette mesure, l’ancien ministre Lutgen évoquait, en effet, le différentiel de rentabilité entre les feuillus et résineux en affirmant : « Un résineux met 60 ans pour arriver à maturité et être exploitable. Un hêtre 120 à 150 ans ! Un chêne, 150 à 200 ans ! Des droits de succession étaient dès lors payés par cinq à huit générations. Les effets pervers liés à cette avalanche de droits étaient réels et connus. On privilégiait la plantation d’essences dont la rentabilité était assurée à court terme, comme les résineux, au détriment d’espèces comme le chêne ou le hêtre. On pratiquait des coupes à blanc pour payer les droits de succession. Le nouveau Code forestier supprime les droits de succession et de donation en ce qui concerne la valeur des bois sur pied. ».

    Cette suppression apparaît pertinente et efficace économiquement comme environnementalement pour les forêts feuillues - les hêtraies et les chênaies – qui étaient 5 à 8 fois pénalisées par un impôt. Mais l’est-elle autant pour les plantations résineuses sachant que les taux internes de rentabilité de celles-ci sont différents (5 à 8% pour les résineux-peupliers exotiques et 2,5 à 3% pour les chênes-hêtres) ?

    Le Code ne fait pourtant, à ce sujet, aucune distinction entre plantations résineuses et forêts feuillues. Un propriétaire peut même bénéficier d’une exonération de précompte immobilier pendant 20 ans s’il coupe des feuillus et effectue une plantation de résineux. Il bénéficie en outre, d’une assurance gratuite via le Fonds des Calamités en cas de chablis de tempête, fréquents sur les sols sensibles...

    Il est curieux qu’une mesure clairement justifiée pour les forêts feuillues bénéficie de la même façon aux résineux plantés qui bénéficient donc d’un cadeau fiscal qui en devient contreproductif environnementalement puisqu’il n’incite pas à orienter les comportements. La politique fiscale contrecarre ici la politique de biodiversité qui la justifie en ne tenant compte ni des différences de conditions économiques entre les types de plantation, ni de leurs conséquences écologiques.

    En cette époque de rigueur budgétaire en Wallonie, il y a pourtant lieu de veiller à l’efficacité et à la pertinence des mesures fiscales prises ou envisagées. C’est en particulier vrai en matière de fiscalité environnementale.

    Que pense Monsieur le Ministre de cette situation ? Au vu de la nécessité d’augmenter progressivement la proportion de feuillus dans la forêt wallonne, ne conviendrait-il pas d’évaluer l’équité et l’efficacité des mesures fiscales comprises dans le Code forestier ?

    Le coût de l’exonération des droits de succession, de l’ordre de 33 euros/ha.an, a été estimé en 2007 à 5 millions d’euros par an. Cela représente, pour les 15 à 20.000 hectares de plantations résineuses, un budget annuel de l’ordre de 500 à 650.000 euros, l’équivalent de l’achat de 150 à 200 hectares de réserves naturelles, soit la valeur des achats moyens de ces dernières années…

    Vu la distribution des surfaces des propriétés privées en Wallonie (70% des propriétaires possèdent moins d’un hectare et, ensemble, ces 70% représentent 10% de la surface totale de la forêt privée en Région wallonne), ce régime concerne essentiellement de gros propriétaires, même si l’on sait que nombre d'entre eux utilisent déjà un régime de société privée pour échapper aux contributions fiscales.

    A l’origine, la non discrimination feuillus/résineux a sans doute été justifiée par l'absence d'informations faisant la différence entre feuillus et résineux dans les bases de données cadastrales.

    Ne serait-il pas temps de mettre à jour les descriptions cadastrales avec les enjeux environnementaux du XXIème siècle ? Les cartes de l'IGN (TOP10V - parmi les plus précises au monde) sont une source d'informations qui permettrait déjà d'attribuer quasi-automatiquement un code correct à plus de 80% des surfaces boisées à faire contrôler par les propriétaires. De plus, la différence feuillus/résineux est l'une des différences plus faciles à détecter à travers des programmes de cartographie aérienne automatique (infrarouge) pour contrôler la pertinence actuelle de la cartographie et l'évolution dans le temps. Les solutions techniques existent donc.

    Cette distinction pourrait fiscalement ne concerner que les propriétaires disposant de plus de un hectare pour limiter le nombre de propriétaires concernés. Ces derniers devraient préciser au cadastre l'affectation de leurs parcelles en pourcentage de feuillus et de résineux.

    L’absence de différenciation des mesures fiscales bénéficiant aux peuplements feuillus et résineux ne décourage-t-elle pas les propriétaires à s’orienter vers la restauration des zones feuillues dans des conditions écologiques difficiles ? A cet égard, Inter-Environnement Wallonie écrivait ce qui suit lors du vote du nouveau code forestier en 2008 : « Dans un souci de bonne gouvernance et pour reconnaître le caractère multifonctionnel de la forêt feuillue - protection des cours d’eau, de la biodiversité, des paysages, ... - nous soutenons le maintien de cet avantage aux seuls feuillus. Une discrimination positive simple à mettre en œuvre puisqu’aujourd’hui, les successions sont évaluées sur base de l’estimation de la valeur des arbres en place, estimation qu’il suffira de limiter aux seuls résineux. ».

    Monsieur le Ministre est-il en mesure de préciser le coût pour le budget wallon de la suppression du droit de succession prévu dans le code forestier respectivement pour les surfaces feuillues et résineuses, globalement et par hectare concerné ? Quelle analyse fait-il de ces chiffres ?

    Ne pense-t-il pas que cette mesure fiscale n’est pas suffisamment discriminante et qu’elle entraîne, de ce fait, un effet pervers par rapport à certains des objectifs qui l’ont justifiée ?

    Monsieur le Ministre dispose-t-il aujourd’hui d’éléments d'évaluation de cette mesure en termes d’efficience et d’efficacité d'un point de vue social, environnemental et économique ? Le cas échéant, une telle étude ne pourrait-elle pas être demandée à l'IWEPS ?

    Des pistes de révision des conditions d’exonération susdites existent-elles pour renforcer leur impact écologique positif pour notre Région ?
  • Réponse du 23/03/2012
    • de DI ANTONIO Carlo

    L’exonération des droits de succession et de donation sur la valeur des bois sur pied vise à rencontrer l’ensemble des fonctions reprises à l’article 1er du Code forestier, qui sont non seulement les fonctions écologique et sociale mais aussi la fonction économique. En effet, il s’agit des 3 piliers de développement durable.

    La taxation antérieure sur les biens forestiers avait entraîné des effets pervers sur la forêt, y compris la forêt résineuse, tant sur le plan environnemental qu’économique.

    Au niveau économique, cette taxation a entraîné une diminution de la rentabilité des investissements basés sur du très long terme.

    Le prix en euros constants de l’épicéa pour les grumes de la catégorie 90/120 cm a diminué de 56 % sur une période de 50 ans alors que les coûts d’investissement ne cessaient d’augmenter.

    Je m’étonne de l’optimisme de l'honorable membre pour ce qui concerne la rentabilité de la production forestière; si effectivement le même capital sur pied pouvait être grevé de droits de succession à 5 à 8 reprises en hêtre ou en chêne, le même capital pouvait également l’être deux à trois fois en résineux. Les estimations de taux internes de rentabilité (TIR) effectuées par la Faculté de Gembloux en 2007-2008, soit au moment de l’entrée en vigueur de l’exemption des doits de succession, donnaient les résultats suivants : pour l’épicéa selon les classes de productivité, le TIR variait de 2,92% à moins d’1% ; en Douglas, de 3,4% à 2,5% ; en mélèzes il est inférieur à 2%, et avoisine 1% pour les pins ! Encore ces valeurs correspondent-elles à des situations idéales, sans dégâts de gibier, de chablis ou de déprédateurs. Pour le hêtre et les chênes, des estimations successives montrent que les taux diminuent en raison de l’évolution divergente des coûts sylvicoles et des prix des bois. Ainsi, les taux variaient de 2 à 0,7% en 1989 pour les chênes et le hêtre en futaie régulière, toujours en situation idéale. A noter que l’introduction de la fiscalité dans ces calculs aboutissaient à annuler ce taux dans de nombreux cas.

    Les propriétaires qui ne sont pas rémunérés pour les fonctions environnementales positives remplies par la forêt étaient tentés de ne plus investir avec des conséquences extrêmement dommageables pour la filière bois. Lors des successions, il n’était pas rare que les héritiers n’aient pas les liquidités nécessaires pour payer les droits de succession. La mesure d’exemption des droits sur le capital sur pied a tout son sens également en résineux, car elle visait à éviter les effets pervers de coupes excessives liées au payement des droits : troubles de voisinage liés à ces coupes, pertes économiques dues à des coupes prématurées, dégradations des sols et lessivage d’éléments nutritifs. C’est essentiellement dans les peuplements résineux que ces effets pervers étaient observés.

    La mesure sur l’exonération des droits de succession et de donation sur la valeur des bois sur pied est intégrée dans le Code forestier, ce qui montre bien qu’en contrepartie toute une série de mesures de conservation doivent être respectées y compris pour les peuplements résineux. Il s’agit notamment de la surface maximale de coupes à blanc, de l’obligation de planter des essences adaptées aux stations (avec impact particulier pour les résineux), de l’interdiction d’utiliser des herbicides, fongicides et insecticides sauf exceptions fixées par le Gouvernement, de l’interdiction du drainage dans les sols les plus humides (les résineux sont particulièrement visés), des mesures concernant le brûlage des rémanents …

    L’article 1er du Code forestier, dans son 3e alinéa précise bien que le développement durable des bois et forêts implique plus particulièrement le maintien d’un équilibre entre les peuplements résineux et les peuplements feuillus

    En conclusion, pour toutes les raisons développées ci-dessus, compte tenu de la large concertation réalisée avant le vote du nouveau Code forestier et vu le risque plus important de diminution des surfaces résineuses, il n’est pas opportun d’apporter un avantage fiscal aux seuls peuplements feuillus.