/

L'urgence d'une politique de réduction des substances chimiques auxquelles nous sommes exposés

  • Session : 2011-2012
  • Année : 2012
  • N° : 131 (2011-2012) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 23/04/2012
    • de PECRIAUX Sophie
    • à TILLIEUX Eliane, Ministre de la Santé, de l'Action sociale et de l'Egalité des chances

    Une étude d'une ONG britannique, publiée mardi dernier, indiquait que l'augmentation des cas de diabète et d'obésité serait liée aux substances chimiques auxquelles nous sommes quotidiennement exposés (DDT, PCB, Bisphénol A, retardateurs de flammes bromés).

    Chez nous, la Fédération Inter-Environnement Wallonie (IEW) souligne l'urgence d'une politique de réduction de l'exposition à ces substances.

    Dans les années 1970, de nombreux pays, dont les Etats Unis, ont interdit l'utilisation du DDT car les scientifiques les accusent d’empoisonner la faune et l'environnement, mais de mettre également en danger la santé humaine.

    De façon générale, le DDT se concentrerait dans les systèmes biologiques, principalement les corps gras. C'est un produit nocif pour diverses espèces qui se bio-amplifie le long de la chaîne alimentaire, atteignant sa plus haute concentration pour les supers prédateurs, comme les humains ou les rapaces. Le DDT et ses produits de décomposition seraient également toxiques pour les embryons aviaires et pourraient perturber l'absorption de calcium et donc la qualité de la coquille des œufs. Pourtant, le DDT en faibles doses aurait très peu d'effet sur les oiseaux, contrairement à son métabolite, le DDE, qui est beaucoup plus toxique.

    Chez les humains, l’utilisation du DDT serait généralement sûre. D’importantes populations y ont été exposées durant soixante ans avec peu de toxicité aiguë, hormis quelques cas d’empoisonnement.

    Les PCB sont toxiques, écotoxiques et reprotoxiques (y compris à faible dose en tant que perturbateurs endocriniens), ubiquitaires et persistants (demi-vie de 94 jours à 2700 ans selon les molécules). Leur toxicité est réputée et varie selon leur poids moléculaire et selon la configuration spatiale de leurs molécules. Très liposolubles, ils font partie des contaminants bio-cumulables fréquemment trouvés dans les tissus gras chez l'humain (dont le lait maternel). Ils sont classés comme « cancérogènes probables » pour les cancers hépatobiliaires (cancer du foie, cancer des voies biliaires, cancer du pancréas), et le PCB 126 a été classé cancérogène certain.

    L’alimentation est la première source d'exposition aux PCB (90% de l’exposition totale, surtout via des produits d’origine animale : poisson, viande, œufs, produits laitiers).

    Le Bisphénol A (BPA) est un composé chimique issu de la réaction entre deux équivalents de phénol et un équivalent d'acétone, dont la toxicité sur le corps humain est en débat.

    Le Bisphénol A est un perturbateur endocrinien capable de se lier au récepteur α des œstrogènes. Son action serait environ 1 000 fois inférieure à celle de l’œstradiol, mais il est très présent dans notre environnement (environ trois millions de tonnes de BPA sont produites chaque année dans le monde) et dans le corps humain.

    Le Bisphénol est surtout utilisé pour tapisser l'intérieur de certaines boîtes de conserve, de canettes (principales sources d'exposition pour l'homme).

    Le Bisphénol était également utilisé pour la fabrication des biberons, ce qui a été interdit pour des raisons sanitaires au Canada et depuis le 23 juin 2010 en France.

    En tant que révélateur de la coloration à l’impression, le Bisphénol A est présent sous forme libre dans un grand nombre de reçus de caisse ou des reçus de cartes de crédit (papier thermique).

    En Belgique, une proposition de loi (19 mai 2011) a été déposée au Sénat de Belgique visant à interdire le Bisphénol A dans les tickets de caisses et reçus de cartes de crédit.

    Des études ont montré (sans que d'éventuels liens de causalité directe soient déjà identifiés et compris) qu'un taux urinaire élevé de ce produit était corrélé avec un risque plus élevé
    - de diabète (sur ce point, cela reste discuté) ;
    - de maladies cardiovasculaires ;
    - d'anomalies du bilan hépatique ;
    - de moindre efficacité de chimiothérapies chez les patients cancéreux.

    Parmi les effets attendus et mieux compris en tant que perturbateur hormonal, il s'est montré capable d'affecter la reproduction d'animaux de laboratoires et il pourrait être un des nombreux facteurs de délétion de la spermatogenèse chez l'homme.

    Enfin, les retardateurs de flamme bromés (RFB) sont des mélanges de produits chimiques produits par l’homme, qui sont ajoutés à une grande variété de produits, notamment pour une utilisation industrielle, pour les rendre moins inflammables. Ils sont utilisés couramment dans les plastiques, les textiles et les équipements électriques/électroniques.

    Dans l’Union européenne (UE), l’utilisation de certains RFB est interdite ou limitée; cependant, en raison de leur persistance dans l’environnement, il subsiste des inquiétudes concernant les risques que ces produits chimiques présentent pour la santé publique. Des produits traités aux BFR, qu’ils soient en cours d’utilisation ou qu’il s’agisse de déchets, relâchent des RFB dans l’environnement et contaminent l’air, le sol et l’eau. Ces contaminants peuvent ensuite entrer dans la chaîne alimentaire, où ils sont présents principalement dans les aliments d’origine animale, tel que le poisson, la viande, le lait et les produits dérivés.

    On le voit, tous ces produits pourraient présenter de graves risques pour la santé.

    Madame la Ministre est-elle au courant de cette enquête et ses services en ont-ils examiné les conclusions ?

    La Fédération Inter-Environnement a-t-elle interpellé Madame la Ministre sur ce point ?

    Quelles mesures ou précautions compte-t-elle prendre face à ces risques ?
  • Réponse du 24/05/2012
    • de TILLIEUX Eliane

    La compétence relative à la mise sur le marché des produits et substances est du ressort de l’autorité fédérale, alors que la gestion des déchets résultant de ces produits et substances et la réglementation des installations et activités classées relève essentiellement de la compétence des régions.

    Les substances entrant dans la catégorie des polluants organiques persistants visés par la Convention internationale de Stockholm signée en 2004 sont soumises soit à des restrictions, soit à des obligations d’élimination voire des mesures complémentaires (1). Au niveau européen, la production, la mise sur le marché et l’utilisation de certaines substances sont interdites. C’est le cas du DDT dont l’utilisation est par ailleurs interdite en Belgique depuis le début des années 1970, des PCB, de divers retardateurs de flamme bromés.

    Le Bisphenol A fait actuellement l’objet d’une évaluation des risques sur la base du processus REACH « Evaluation des substances » par l’Allemagne. Les résultats ne sont pas attendus avant 2013, voire 2015. La Belgique a par ailleurs adopté un projet de loi interdisant le Bisphenol A dans les contenants alimentaires destinés aux enfants de moins de 3 ans.
    L’étude de « Chem Trust » traite essentiellement des liens entre l’exposition chimique et les risques d’obésité et de diabète. Ce même sujet est l’objet d’une autre étude récente publiée par le réseau environnement santé (2).

    Le premier rapport conclut que « Même s’il est encore nécessaire de développer la recherche en ce domaine, les données sont cependant suffisantes pour prendre en considération la pollution chimique comme un axe complémentaire aux deux axes classiquement retenus (alimentation et sédentarité) dans la compréhension de l’épidémie d’obésité et de diabète». La conclusion du deuxième rapport va dans le même sens.

    Un article de la revue Environmental Health Perspectives (3) insiste sur l’importance de la période d’exposition. En effet, une exposition fœtale et néonatale peut, chez certains individus, perturber irréversiblement le métabolisme et la fabrication des cellules graisseuses.

    L’analyse classique des causes des maladies métaboliques repose sur le constat d’un déséquilibre entre, d’une part, une alimentation trop énergétique, riche en graisses et en sucres, mais pauvre en vitamines, minéraux et autres micro-nutriments sains et, d’autre part, une activité physique insuffisante. Ce déséquilibre est amplifié par les facteurs socio-économiques (stress, revenu, éducation...). Les facteurs génétiques et épigénétiques ainsi que le tabagisme ont aussi une importance non négligeable dans l’apparition de l’obésité et du diabète.

    L’épigénétique commence à fournir des explications intéressantes sur les modes in utero et sur la transmission générationnelle des effets toxiques des polluants, de l’état nutritionnel mais aussi de comportement. L’épigénétique permet par exemple d’expliquer les conséquences de la famine subie in utero sur l’obésité à l’âge adulte (4).

    Actuellement, aucune étude ne peut donner une idée de l’importance relative des facteurs de risque décrits ci-dessus. En effet, aucune étude épidémiologique ne peut mesurer avec précision l’exposition des sujets aux composés incriminés, ni prendre en compte toutes les variables potentiellement confondantes. De plus, pour des raisons éthiques évidentes, l’expérimentation humaine est impossible dans ce contexte et seuls les résultats sur l’animal sont disponibles avec les limites dues aux difficultés d’extrapolation à l’homme.

    Si l’obésité et le diabète sont des maladies multifactorielles, des comportements sains (alimentation équilibrée, exercice physique, pas de tabagisme ni de stress inutile, …) permettraient de limiter l’incidence de ces pathologies, raison pour laquelle les actions de promotion de la santé méritent de s’y attacher de manière évidente. Néanmoins, considérant que l'exposition pendant la grossesse à des perturbateurs endocriniens pourrait être associée à l’obésité infantile et, plus tard, au diabète, il convient également d’être attentif à ce facteur de risque potentiel ; c’est pourquoi le premier tableau de bord de la santé en Wallonie, en 2009, a abordé la question des polluants organiques persistants dans le lait maternel dans son chapitre santé et environnement.



    (1) Pour les PCB par exemple ; la convention de Stockholm prévoit des obligations complémentaires concernant la réduction des rejets involontaires d’origine anthropiques de ces substances(combustion à ciel ouvert des déchets, procédés thermique de l’industrie métallurgique, véhicules à moteur,…) passant notamment par le recours aux meilleures techniques disponibles (BAT) et aux meilleures pratiques environnementales (BET).
    (2) André Cicolella, Gilles Nalbone, et Sylvie Laot-Cabon. EVALUATION DU LIEN ENTRE ENVIRONNEMENT CHIMIQUE, OBESITE ET DIABETE. Réseau environnement santé, mars 2012.
    (3) Obesogens an environmental link to obesity. Environmental Health Perspectives. 2012 ; 120 : A63-A68.
    (4) Marine Cygler. Le diabète de type 2 programmé avant la naissance. La recherche 2012, 463 : 48-50.