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L'impact en Wallonie de la nouvelle méthode de calcul antidumping social proposée par la Commission européenne

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2016
  • N° : 93 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 25/11/2016
    • de DUPONT Jean-Marc
    • à MARCOURT Jean-Claude, Ministre de l'Economie, de l'Industrie, de l'Innovation et du Numérique

    La Commission européenne a présenté ce 9 novembre une modification de sa législation antidumping pour une meilleure défense face aux importations de pays ne jouant pas loyalement le jeu du libre-échange.

    Les pays visés sont ceux où l'état a la mainmise sur l'économie et qui écoulent des surcapacités de produits à prix cassés sur les marchés européens. On pense à la Chine et à son acier.

    La proposition de la Commission répond à une urgence liée au protocole d'adhésion de la Chine à l'OMC. Ces mesures permettaient de prouver l'existence d'un dumping plus facilement qu'avec les règles classiques.

    Cette nouvelle méthode de calcul s'appliquerait aux pays de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) « dont l'économie est caractérisée par des distorsions liées à une intervention étatique persistante ».

    La Commission identifierait elle-même les pays en fonction de différents critères (prédominance des entreprises publiques, discrimination en leur faveur) et rédigerait des rapports pouvant être utilisés par les secteurs industriels pour fonder leurs plaintes.

    Néanmoins, cette approche ne semble pas plaire à l'industrie européenne qui estime qu'elle la rendrait plus vulnérable : « cette méthode balaie la distinction entre les économies de marché et les non-économies de marché, et les 5 critères à respecter si un pays veut être une économie de marché sont abandonnés au profit du nouveau concept de distorsion de marché significatif ».

    Quelle est l'analyse de Monsieur le Ministre de la modification du calcul antidumping prônée par la Commission européenne ?

    L'approche du lobby de l'industrie européenne est-elle fondée ?

    Peut-on estimer l'impact qu'une telle modification aurait sur le tissu wallon ?
  • Réponse du 02/12/2016
    • de MARCOURT Jean-Claude

    Les mesures antidumping ne portent pas sur les seuls éléments sociaux, mais également sur le dumping découlant des aides directes et indirectes accordées par les autorités publiques chinoises dans les achats d’énergie, pour l’acquisition de terrain ou l’accès aux capitaux, pour ne citer que quelques exemples de facteurs qui déséquilibrent la concurrence.

    Pour rappel, en accédant à l’Organisation mondiale du Commerce en 2001, la Chine s’était engagée à respecter une série d'engagements. Une des dispositions de l’accord par lequel la Chine est entrée à l’OMC permet aux autres membres de l'organisation de ne pas tenir compte des prix et coûts chinois dans le calcul des marges de dumping jusqu'à ce que la Chine démontre qu'elle remplit les critères d'économie de marché du pays d'importation. Voici les cinq critères appliqués par l'UE :

    1. L’absence d’ingérence des pouvoirs publics dans la gestion des entreprises et dans l’accès aux ressources ;
    2. La mise en place d’obstacles aux concentrations ;
    3. L’existence de législations applicables aux entreprises qui soient transparentes dans le domaine de la gouvernance ;
    4. L’existence de législations cohérentes qui assurent le respect de la propriété privée ;
    5. Et enfin, l’existence d’un secteur financier indépendant de l’État.

    Un sous-paragraphe de cette disposition sur le calcul de la marge de dumping vient à l'expiration 15 ans après l'entrée de la Chine dans l'OMC. À quelques jours de l’échéance de ce sous-paragraphe, il apparaît assez clairement que les critères d'économie de marché ne sont pas encore d’actualité.

    Le débat sur l'effet exact de l'expiration du sous-paragraphe en question, notamment l’octroi -ou non- du statut d’économie de marché, a pris de l’ampleur à la faveur de la multiplication d’enquêtes ouvertes dans des secteurs très fortement exposés au dumping. L’OCDE a montré que 25 % des enquêtes ouvertes pour pratiques commerciales déloyales, au sens des règles de l’OMC, concernaient la Chine, mais dans certains secteurs, comme l’acier, ce pourcentage monte à près de 50 %. Il faut savoir que, dans de nombreux secteurs, la Chine est en surcapacités. Son propre marché n’absorbant plus les excédents, elle écoule sa production principalement vers l’Europe et les États-Unis, à prix bradés. De plus, dans certains secteurs, comme l’acier, elle rachète des unités de production en dehors de la Chine et proche de l’Europe  en Serbie ou en Égypte  et s’attaque des marchés qui sont traditionnellement ceux de l’Union européenne, comme la Turquie.

    Les secteurs les plus impactés se sont regroupés pour défendre leurs intérêts au sein d’une plateforme. On y retrouve des secteurs présents en Wallonie comme l’acier, le papier, la pierre bleue, le verre et la fibre de verre.

    Jusqu’à maintenant, quand une industrie demande l’ouverture d’une enquête au sujet des importations en provenance d'un pays qui n'est pas une économie de marché, ou que la Commission décide de l’ouverture d’une telle enquête ex officio, le calcul des droits appliqués repose sur une comparaison avec les prix d'un pays tiers.

    Selon la proposition du 9 novembre de la Commission, la Chine est retirée de la liste des pays qui ne sont pas des économies de marché. De plus, tout le cadre basé sur la distinction entre les économies de marché et les pays qui ne le sont pas est écarté. En principe, ceci met fortement en question la possibilité de mesures qui contrecarrent de manière suffisante le dumping des produits chinois en particulier, avec le risque de voir une chute drastique des droits applicables.

    La Commission défend la thèse selon laquelle la nouvelle méthodologie va maintenir le niveau actuel de protection de nos entreprises.

    Malheureusement, le texte de sa proposition est vague et l’interprétation de la méthodologie et de ses résultats telle qu’elle est avancée par la Direction générale du Commerce de la Commission n’est cependant pas sûre.

    Nous sommes dès lors dans un contexte d’incertitude juridique important. Dans l’hypothèse haute, l’application de droits antidumping provisoires pouvant aller jusqu’à 80 % est évidemment une nouvelle positive. Mais, la méthodologie appliquée ne permet pas d’aller nécessairement dans ce sens.

    Dans le même temps, il faut savoir que les États-Unis ont, eux, clairement décidé de ne pas accorder le statut d’économie de marché et de maintenir, dès lors, leur ancienne méthodologie. Aujourd’hui, lorsqu’une enquête est ouverte aux États-Unis, le département du commerce demande la collaboration des producteurs de l’État incriminé. En cas de refus de ces derniers, des droits très élevés  pouvant aller jusqu’à 300 % dans le cas de l’acier chinois  sont imposés d’office et l’enquête est bouclée dans des délais rapides, 3 à 6 mois. En Europe, rien de tel : pas de droits transitoires et des enquêtes allant jusqu’à 15 mois.

    Les secteurs impactés ont exprimé leurs inquiétudes et adressé des demandes à la Commission européenne. Les organisations syndicales se sont également adressées aux instances européennes. Il était demandé, par exemple, que la charge de la preuve soit imposée à la Chine et non à l’industrie. Cette demande n’a pas été reprise dans la proposition de la Commission et nous le regrettons.

    La Commission va donc soumettre cette proposition au Conseil et elle envisagerait de coupler la proposition sur le calcul des droits antidumping à la Chine avec le paquet sur la modernisation des instruments de défense commerciale. Les positions des États membres sont mitigées. Si la position de la Commission est acceptée, elle passerait donc au Parlement européen où on peut craindre qu'il ne soit pas possible de modifier la proposition sur le calcul des droits antidumping, sous le prétexte qu'il ne faut pas toucher au paquet qui a fait déjà l'objet d'un accord politique.

    Notre inquiétude a trait à l’absence de clarté de l’interprétation de la méthodologie, dans un contexte où nous sommes également très dépendants des capitaux et des investissements chinois d’une part et où, comme l’ont rappelé certains États membres au Conseil compétitivité, certains secteurs – consommateurs de produits chinois – sont plutôt favorables à l’importation de produits chinois à bas prix. Nous plaidons donc pour la sécurité juridique dans un contexte international où les incertitudes n’ont jamais été aussi importantes.