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Le nombre de suicides en Wallonie

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2017
  • N° : 459 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 23/01/2017
    • de MARTIN Nicolas
    • à PREVOT Maxime, Ministre des Travaux publics, de la Santé, de l'Action sociale et du Patrimoine

    Selon une étude de Solidaris et du centre de prévention « Un Pass dans l’impasse », le taux de décès par suicide en Wallonie s’élève à 20,48 par an pour 100.000 habitants. Ce chiffre interpelant est deux fois plus élevé que la moyenne européenne de 11,8 pour 100.000 habitants.

    Cette situation tend d’ailleurs à se répéter d’année en année. En effet, les données recueillies par l’Institut de santé publique dans son étude sur la période 2006-2010 plaçaient déjà la Wallonie dans les régions d’Europe les plus concernées par le suicide. Le taux de suicide était ainsi 22 % plus élevé qu'en Flandre, 28 % plus haut qu'en France, 84 % plus élevé qu'au Grand-Duché du Luxembourg, 85 % plus élevé qu'en Allemagne et 136 % de plus qu'aux Pays-Bas.

    Des éléments en la possession de Monsieur le Ministre lui permettent-ils d’expliquer ces chiffres et leur stagnation ? Peut-il dresser le bilan des actions en cours dans le cadre de la prévention au suicide en Wallonie ?

    Enfin, une évaluation des actions de prévention avec les acteurs de terrain est-elle prévue afin d’apporter les modifications utiles à la politique du gouvernement en la matière ? Dans la négative, est-il possible de mettre cette évaluation en place sans délai ?
  • Réponse du 07/02/2017
    • de PREVOT Maxime

    Les chiffres que cite l'honorable membre ne proviennent pas de Solidaris, mais de l'Observatoire Wallon de la Santé, c'est-à-dire de l'AViQ. Des données plus complètes et d’autres liées à la santé mentale des Wallons sont d'ailleurs disponibles dans la toute récente publication de l’Observatoire wallon de la santé : les « Indicateurs de Santé mentale en Wallonie ».

    Les constats épidémiologiques sur le suicide sont effectivement très préoccupants puisque le taux de mortalité par suicide en Wallonie est un des plus élevés d’Europe. Pourtant, le taux en Wallonie a baissé entre 1987 et 2013 en Wallonie, surtout chez les hommes où il est passé de 42 à 31 décès pour 100.000 habitants. Chez les femmes, la diminution est moins spectaculaire passant de 14 à 11 décès pour 100.000 habitants. Néanmoins, cette évolution se retrouve dans l'ensemble de l'Union européenne et le taux reste particulièrement élevé en Wallonie.

    De manière générale, le taux de suicide est particulièrement difficile à expliquer, car de nombreux facteurs (sociaux, psychologiques, culturels et sociaux) peuvent interagir. Parmi les facteurs de risque, se trouvent selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), « les troubles mentaux (dépression, troubles de la personnalité, dépendance à l’alcool ou schizophrénie, par exemple), certaines maladies physiques comme les troubles neurologiques, le cancer et l’infection à VIH. » Enfin, notons que, toujours selon l'OMS, le taux de suicide est particulièrement élevé dans les groupes victimes de discrimination.

    Les facteurs socio-économiques jouent certainement également, mais ils ne sont pas les seuls, car, s'il regarde les chiffres disponibles sur le site de l'OMS, il verra que de nombreux pays ont un taux de suicide nettement moins important que le nôtre alors que, non seulement, ces pays sont moins bien lotis que nous au niveau socio-économique, mais, en plus, certains ont même connu des problèmes économiques majeurs ces dernières années. Je pense à la Grèce et à l'Espagne, par exemple.

    Les causes du suicide à l'échelle d'un pays ou d'une région sont d'autant plus complexes à analyser qu'elles varient au cours du temps : la raison qui pousse une personne au suicide peut être immédiate (acte impulsif d'un adolescent victime d'un mal-être en présence d'une arme à feu par exemple) ou peut être la conséquence d'une situation qui remonte à plusieurs années. Je ne m'aventurerai donc pas dans ce domaine complexe. En plus, au moment où je recevrai les résultats d'une recherche qui ne pourrait être que longue et coûteuse, la situation en Wallonie aura peut-être changé, ce qui rendrait la recherche obsolète... Je préfère donc continuer à investir dans des actions qui pourront avoir un résultat direct.

    L'Organisation Mondiale de la Santé insiste sur le fait qu'il est possible de prévenir le suicide et que des outils efficaces existent, même si certains outils impliquent d'autres autorités que celles de la santé, comme les actions suivantes :
    - la limitation des actes impulsifs en limitant les occasions et moyens létaux (sécurisation des endroits où les suicides sont fréquents, restriction de l'accès aux armes à feu, contrôle de l'accès à certains médicaments et pesticides) ;
    - la sensibilisation des médias au contenu des messages qu'ils diffusent sur le suicide (parler d'une personne célèbre qui s'est suicidée peut en effet créer un effet de contagion et entraîner d'autres personnes à se suicider, ses fans par exemple) ;
    - la création d'un plan national sur le suicide avec les différentes autorités impliquées.

    La Wallonie a cependant déjà mis en place une série de mesures qui permettent de lutter contre le suicide de manière directe ou indirecte :
    - la prise en charge des problèmes de santé mentale et de consommation de substances psychoactives ;
    - la formation des professionnels à la prise en charge des personnes qui ont commis une tentative de suicide ;
    - l'offre d'aide aux personnes qui ont fait une tentative de suicide.

    Concrètement, dans la prise en charge des détresses psychologiques, je subventionne les services de santé mentale accessibles sur l'ensemble du territoire wallon ainsi que les centres de téléaccueil accessibles à toute la population. En matière de suicide, ces centres de téléaccueil sont importants par l'écoute inconditionnelle qu'ils offrent 7 jours sur 7 et 24h sur 24, via un numéro d'appel gratuit. Les cinq centres wallons fonctionnent grâce à la collaboration de nombreux volontaires, sélectionnés et formés par des professionnels. Ces volontaires sont environ 60 par centre, c'est-à-dire grosso modo 300 pour toute la Wallonie. Chaque centre dispose, en outre, au minimum de plusieurs équivalents temps plein pour l’organisation du centre ainsi que pour la formation et la supervision de l’activité d’écoute des collaborateurs.

    De manière plus spécifique, je soutiens le centre de prise en charge « Un Pass dans l’impasse » qui offre un lieu d’écoute aux personnes directement ou indirectement confrontées au problème du suicide.

    Le Centre de Référence Info-Suicide ou CRIS, quant à lui, a notamment pour mission l’observation des pratiques du secteur et la récolte d'informations sur la thématique du suicide. Ce centre aide aussi les professionnels via la promotion de formations, via des réunions de concertation et la diffusion de données spécialisées.

    Concernant les personnes isolées ainsi que le travail à réaliser avec les acteurs locaux proches des personnes suicidaires, le centre « Un Pass dans l’impasse » travaille précisément dans ce sens. Il construit un travail en réseau associant les dispositifs de soins en santé mentale, les services d’urgence des hôpitaux et les services d’assistance policière aux victimes sur l’ensemble du territoire wallon. Il forme également les acteurs locaux afin qu’ils se sentent plus à l’aise avec la thématique et soient en mesure de détecter, autant que possible, l’urgence d’une situation.

    Concernant le bilan des actions de lutte contre le suicide développées en Wallonie, un document à ce sujet a été réalisé très récemment par le CRIS. Ce document encore incomplet contient cependant un intéressant cadastre sur les centres capables de recevoir une personne suicidaire. Ce cadastre est disponible par province et également pour l'ensemble de la Wallonie. Il est régulièrement mis à jour grâce aux relations que le CRIS a développées avec les centres capables d'accueillir des personnes concernées par le thème du suicide (personnes suicidaires ou proches). Le cadastre par province est disponible sur le site du CRIS. Le document pourra également alimenter l'élaboration des actions de prévention du suicide qui seront intégrées dans mon Plan de prévention et de promotion de la santé.

    Il parle d'évaluation des actions de prévention, mais, il le sait certainement, si parler d'évaluation est évidemment nécessaire, cette notion est encore trop souvent mal perçue par le terrain. D'ailleurs, le CRIS se refuse à évaluer les actions réalisées en Wallonie. Ce serait, selon le CRIS, un exercice trop délicat en matière de suicide. Le CRIS ne peut pas non plus fournir de véritables recommandations ou des bonnes pratiques pour orienter une politique en matière de suicide, mais il a cependant transmis une intéressante liste des préoccupations des acteurs de terrain en Wallonie.

    Je réfléchis donc actuellement à la meilleure manière de compléter ce bilan des actions sur le suicide. Malheureusement, la grande richesse et diversité de nos actions en Wallonie a comme revers une difficulté d'évaluer l'efficacité d'ensemble des actions ; sans compter, je le répète, que cet exercice est délicat en matière de prévention du suicide. Les intervenants de terrain sont en effet sévèrement touchés eux-mêmes si un de leurs patients se suicide. Il s'agit donc de ne pas les rendre responsables de la mortalité par suicide en Wallonie !

    À ce niveau, une aide sera mon futur Plan de prévention et de promotion de la santé qui comporte un axe relatif à la prévention du suicide. Ce Plan sera décliné en deux parties. La première se fonde sur l’analyse du contexte institutionnel et épidémiologique en Wallonie. Celle-ci permet de définir les priorités de santé publique, de manière objective et cohérente, et pas en fonction de priorités subjectives ou de sensibilités politiques. Après la présentation de ce plan au Gouvernement wallon, pourront démarrer les travaux de la deuxième partie de ce plan, qui sera consacrée à l’opérationnalisation des priorités avec les acteurs de terrain.

    Ce travail considérable, je veux le mener avec les acteurs de terrain. Il prendra donc plusieurs mois et il sera réalisé grâce à la collaboration, nécessaire, avec la Fédération Wallonie-Bruxelles pour ce qui concerne le public des plus jeunes, dans le milieu scolaire, avec les centres psychomédicosociaux, mais aussi avec l'aide à jeunesse.

    Les mesures concrètes seront proposées au Gouvernement wallon pour la fin de cette année. C'est l'objectif que j'ai assigné à mes équipes.

    En matière de suicide, ce Plan de prévention est, à mes yeux, particulièrement important, car il ciblera les déterminants de la santé, dont certains représentent un facteur de risque du suicide (comme la consommation excessive d'alcool ou encore les problèmes de santé mentale, dont la stigmatisation liée à ces problèmes).

    Comme je l’ai déjà signalé, même si la politique de prévention en la matière n’est arrivée que récemment dans son giron, la Région wallonne a depuis longtemps développé une politique de santé mentale, globale et intégrée, qui vise à couvrir tout le territoire et à pouvoir atteindre les personnes qui en auraient besoin.

    Comme lui, j’ai donc pleinement conscience que le suicide représente un problème majeur de santé publique et que sa prévention, comme le souligne l’OMS, est devenue prioritaire.

    Tout comportement suicidaire ne peut être banalisé, mais doit, au contraire, être pris au sérieux et faire l’objet d’un suivi. À ce niveau, une des meilleures préventions du passage à l'acte est le lien social : l'écoute bienveillante et l'attention à l'autre.