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L'interprétation de l'article L1125-10 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation

  • Session : 2016-2017
  • Année : 2017
  • N° : 513 (2016-2017) 1

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  • Question écrite du 02/05/2017
    • de FOURNY Dimitri
    • à DERMAGNE Pierre-Yves, Ministre des Pouvoirs locaux, de la Ville et du Logement

    L’article L1125-10 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (CDLD) stipule que : « Outre les interdictions visées à l’article L1122-19, il est interdit à tout membre du conseil et du collège : 1° de prendre part directement ou indirectement dans aucun service, perception de droits, fourniture ou adjudication quelconque pour la commune […] ».

    Les mandataires communaux ne peuvent donc clairement pas être les adjudicataires de marchés publics de la commune (achats de biens meubles).

    S’agissant de l’acquisition de biens immeubles cependant, il semble exister une controverse découlant d’une jurisprudence du Conseil d’État. En effet, selon un arrêt n° 16.422, il semblerait que rien n’interdirait cette opération, néanmoins le Conseil d’État ne le dit pas clairement et les circonstances étaient assez particulières (il n’y avait finalement pas eu d’acquisition par la commune d’un terrain appartenant au bourgmestre, celui-ci l’ayant vendu entretemps à un tiers et la commune l’ayant acquis de ce dernier). Par ailleurs, les termes du CDLD se veulent particulièrement larges et il est notamment question « d’adjudication quelconque », ce qui même avec une interprétation stricte, sinon restrictive, ne se limite pas aux seuls marchés publics.

    Une commune peut-elle acquérir un bien immeuble appartenant à un membre du collège et/ou du conseil communal ?

    Suivant quelles modalités ?
  • Réponse du 18/05/2017
    • de DERMAGNE Pierre-Yves

    Comme le mentionne l'honorable membre, cet article interdit à tout membre du conseil et du collège communal de prendre part directement ou indirectement dans aucun service, perception de droits, fourniture ou adjudication quelconque pour la commune.

    La doctrine considère que le mot « adjudication » s’applique aux adjudications qui ont pour objet des fournitures à faire à la commune et des travaux à exécuter pour la commune (voir en ce sens : DE TOLLENAERE, « La loi communale », Larcier tome I, page 229).

    S’agissant d’une disposition prohibitive, elle est de stricte interprétation et son objet ne peut être étendu par analogie.

    Aussi, le mot « adjudication » s’entend dans un sens restreint et l’acquisition d’un bien immobilier appartenant à un membre du Conseil communal ou du Collège communal ne rentre pas dans le champ d’application de cette disposition.

    Il est à noter que l’hypothèse envisagée se rapporte à la vente d’un immeuble existant qui ne rentre pas dans le champ d’application de la réglementation relative aux marchés publics, conformément à l’article 18, 2° de la loi du 15 juin 2016 relative à cette matière.

    Par ailleurs, une autre disposition du Code de la démocratie locale et de la décentralisation est à considérer dans le cas d’espèce. En effet, l’article L1122-19 interdit aux membres du Conseil et du Collège de prendre part aux discussions et aux votes relatifs aux objets où ils ont un intérêt direct.

    Par intérêt direct, il faut comprendre :
    - Un intérêt personnel et direct : il doit s’agir d’un intérêt qui résulte directement et immédiatement de la décision prise et qui affecte exclusivement le patrimoine du membre du Conseil ou du Collège ;
    - Un intérêt matériel : il doit être compris comme un avantage dont la valeur peut s’exprimer en argent ;
    - Un intérêt né et actuel : l’intérêt doit être présent au moment de la décision.
    En vertu de cet article, le membre du Conseil communal ou du Collège communal ne pourra prendre part aux discussions et aux votes relatifs à l’acquisition par la Commune de son bien.

    En outre, je souhaite rappeler que l’article 245 du Code pénal stipule que :
    « Toute personne exerçant une fonction publique, qui, soit directement, soit par interposition de personnes ou par actes simulés, aura pris ou reçu quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, entreprises ou régies dont elle avait, au temps de l’acte, en tout ou en partie, l’administration ou la surveillance, ou qui, ayant mission d’ordonnancer le paiement ou de faire la liquidation d’une affaire, y aura pris un intérêt quelconque, sera punie d’un emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de 100 [euros] à 50.000 [euros] ou d’une de ces peines, et pourra, en outre, être condamnée à l’interdiction du droit de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, conformément à l’article 33.

    La disposition qui précède ne sera pas applicable à celui qui ne pouvait, en raison des circonstances, favoriser par sa position ses intérêts privés et qui aura agi ouvertement ».


    Cet article a une portée très générale en ce sens qu’il punit tout fonctionnaire c’est-à-dire notamment les conseillers communaux, bourgmestres et échevins pour autant que l’ensemble des exigences de la disposition légale soit rempli.

    Il importe de souligner que les termes actes, adjudications entreprises et régies utilisés par la loi embrassent dans leur généralité, tous les actes soumis à l’administration ou à la surveillance qui relèvent de l’exercice d’une fonction publique. Le terme « acte » est un terme générique. Il est l’équivalent d’affaires et a, de ce fait, la portée la plus large.

    La question de savoir si le fait qu’un membre du Conseil communal ou du Collège communal vende un de ses biens à la commune serait de nature à l’exposer à des poursuites pénales sur base de l’article 245 du Code pénal pourrait se poser.

    Cette question relève toutefois de la compétence des cours et tribunaux et il ne m’appartient pas de me prononcer à cet égard.

    En conclusion, en tout état de cause, il appartient aux mandataires locaux d’agir avec la plus grande prudence lorsque leurs intérêts croisent ceux de la Commune.

    Enfin, en ce qui concerne les modalités à respecter par une commune désireuse d’acquérir un immeuble appartenant à un membre du Conseil communal ou du Collège communal, celles-ci sont identiques à toute acquisition immobilière généralement quelconque effectuée par une commune.

    À cet égard, je rappelle, notamment :
    - que les principes d’égalité et de non-discrimination s’appliquent à ce type d’opération. À cet effet, sauf circonstances particulières, dûment motivées, la procédure d’acquisition d’un immeuble par un pouvoir local nécessite une mise en concurrence des propriétaires/vendeurs existants et potentiels d’immeubles susceptibles de rencontrer les critères de choix définis par ledit pouvoir local pour l’acquisition immobilière envisagée. La publication d’annonces (notamment dans la presse et sur sites web spécialisés) détaillant les critères précités permettra de réaliser cette mise en concurrence ;
    - qu’il convient de faire estimer la valeur vénale du bien à acquérir par un tiers indépendant garant de l’impartialité de cette estimation nécessaire à l’appréciation, tant par le pouvoir local que par l’autorité de tutelle, de la conformité de l’opération à l’intérêt général. Toute acquisition à un prix supérieur à la valeur d’estimation devra être adéquatement motivée au regard de l’intérêt général. En tout état de cause, celle-ci pourra être réalisée à un prix inférieur au montant de l’estimation.

    Pour le surplus, je renvoie à la circulaire du 23 février 2016 relative aux opérations immobilières des pouvoirs locaux.