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La protection des joyaux patrimoniaux face aux investisseurs privés

  • Session : 2019-2020
  • Année : 2020
  • N° : 215 (2019-2020) 1

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  • Question écrite du 14/07/2020
    • de NIKOLIC Diana
    • à DE BUE Valérie, Ministre de la Fonction publique, de l'Informatique, de la Simplification administrative, en charge des allocations familiales, du Tourisme, du Patrimoine et de la Sécurité routière
    La crise sanitaire a permis à bon nombre d'entre nous de se réapproprier son territoire, et Madame la Ministre nous y encourage avec sa casquette de Ministre en charge du Tourisme.

    Cette redécouverte a permis de mettre en valeur quelques-uns de nos joyaux, naturels bien sûr, mais aussi quelques bâtiments de grande valeur architecturale, dont certains sont malheureusement en piteux état.

    Quand c'est un acteur public institutionnel qui est propriétaire, la seule limite est celle des budgets disponibles. Cela implique parfois qu'une commune ou que la Région accepte de céder son bien à un acteur privé pour en assurer la préservation.

    Parfois ce privé est un collectif de sauvegarde, mais parfois il s'agit d'un investisseur qui privatise un bien jadis propriété de tous. C'est ainsi qu'à Esneux, par exemple, le château Le Fy et son parc appartenant à la commune sont devenus un domaine privé appartenant à un riche promoteur hollandais, le rendant de ce fait inaccessible aux visiteurs.

    Il y a donc, on le voit à travers cet exemple, un équilibre à trouver entre participation privée et maintien d'un accès au public de biens de grande qualité patrimoniale.

    Existe-t-il une obligation pour le propriétaire d'un bien classé d'en garantir l'accès au public, fût-ce une fois par an lors des Journées du patrimoine  ?

    Ne pourrait-on pas prévoir cette obligation lorsque le privé fait appel à la subsidiation du public pour rénover son bien ?

    Existe-t-il une possibilité pour la Région de contrôler l'affectation d'un bien classé ?

    A-t-elle une ligne de conduite quand il s'agit de vendre des biens classés appartenant d'une façon ou d'une autre aux pouvoirs publics ?
  • Réponse du 20/07/2020
    • de DE BUE Valérie
    1. Redécouverte du patrimoine pendant la crise sanitaire :

    La période que nous traversons de confinement puis de déconfinement progressif a permis de mettre en lumière les richesses naturelles et culturelles de la Wallonie. Le patrimoine constitue un sérieux atout pour l’attractivité du territoire.

    Les monuments et sites ouverts au public n’ont pas ménagé leurs efforts, avec l’aide de l’AWaP et de WBT, pour faire découvrir ou redécouvrir notre patrimoine tant à nos concitoyens qu’à nos voisins. Il convient, en effet, de pouvoir présenter des monuments et sites restaurés, bien entretenus et adaptés aux standards actuels attendus par les visiteurs.

    2. Exemple cité du château Le Fy à Esneux :

    L’honorable membre prend l’exemple du château Le Fy à Esneux, projet dans lequel mon administration s’est fortement investie voici plusieurs années.

    Propriété communale, le château a longtemps été laissé à l’abandon à la suite d’un incendie. La commune et ses habitants y étaient très attachés en raison du « signal dans le paysage » que le château représentait. On peut même dire que c’est un des emblèmes d’Esneux. Pourtant, la commune n’avait pas les moyens d’assumer une restauration complète de plusieurs millions d’euros.

    La commune a dès lors choisi de vendre sous condition à un investisseur privé qui voulait réaffecter le château pour y habiter avec sa famille. La cession était assortie d’une obligation de permettre un accès public au parc. Il est bien possible qu’au fil des années cette accessibilité ait été réduite, mais l’intention de la commune était bien marquée.

    La vente du bien a, certes, privatisé le château, mais a surtout permis de le sauver d’une ruine certaine.

    3. Ouverture au public des biens classés :

    Il faut envisager les meilleures pistes possibles pour sauver et mettre en valeur les éléments marquants de notre patrimoine.

    De nombreux châteaux en Wallonie sont encore la propriété de familles qui investissent tous leurs avoirs dans les travaux de restauration avec une finalité de transmission qu’on ne peut pas leur contester. Et bon nombre d’entre eux font des efforts pour assurer des ouvertures au public, en particulier, lors des Journées du Patrimoine. Il s’agit d’une décision volontaire de la part des propriétaires. Il n’existe aucune obligation pour le propriétaire d’un bien classé d’en garantir l’accès au public.
    Les subventions régionales constituent une « aide à la pierre », dont l’objectif est avant tout d’assurer la pérennité et la valorisation de notre patrimoine. L'accès au public ne peut pas être une condition pour l’octroi d’une subvention d’autant plus que celui-ci n’est pas toujours possible. Les habitations privées ou les logements à finalité sociale ne permettent, par exemple, pas aisément cette accessibilité.

    4. Affectation et vente de biens classés :

    - du point de vue patrimonial, le rôle de la Région est non pas d’autoriser une affectation, mais bien de vérifier qu’elle s’intègre dans le bien classé et respecte les caractéristiques qui ont justifié sa protection. Le choix de l’affectation relève d’une décision du propriétaire avec, le cas échéant, un accord d’autres pouvoirs publics dans le cadre des affectations soumises à autorisation spécifique ;
    - en ce qui concerne la définition d’une ligne de conduite quand il s’agit de vendre des biens classés appartenant aux pouvoirs publics, il y a lieu d’être très attentif au fait que chaque cas est différent. Chaque bien classé demande une analyse spécifique avec comme critères minimums :
    - ce qui est classé précisément : est-ce un site, un monument, une partie de celui-ci ?
    - quel est l’état de ce bien ?
    - quelle est sa situation dans l’environnement proche et sa participation à l’écosystème local ou régional ?
    - quels sont les projets possibles ? Les personnes intéressées à ceux-ci et l’investissement à y consacrer ?

    La vraie question est de savoir, pour chacun des biens, quelle est la meilleure solution pour sa préservation en tenant compte des éléments mentionnés ci-dessus.

    Il s’agit de trouver un bon équilibre entre la préservation et la valorisation de notre patrimoine, le respect du droit de propriété, ainsi que l’investissement public et le retour à en avoir. C’est en posant des choix éclairés tenant compte de tous ces éléments que nous pourrons réellement préserver et transmettre notre patrimoine aux générations futures. Ainsi que j’ai pu déjà le dire, le patrimoine a besoin de vivre et non de survivre.