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La stratégie wallonne vis-à-vis du secteur des jeux vidéo et de l'e-sport

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2020
  • N° : 52 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 09/10/2020
    • de CORNILLIE Hervé
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Ce n'est un secret pour personne, l'industrie du jeu vidéo connait un boum exponentiel constant depuis quelques années. Cette activité génère, en Belgique, un revenu annuel de 270 millions euros ! Elle dispose même de sa propre pratique professionnelle compétitive : l'e-sport dont les statistiques sont tout bonnement astronomiques : à l'échelle mondiale, le marché de l'e-sport a généré 804,68 millions d'euros de revenus en 2019, tandis que les matchs et analyses d'e-sport ont attiré 443 millions de spectateurs en ligne. Un constat simple, mais efficace : certaines compétitions d'e-sport attirent un public plus large que Wimbledon.

    Toutes ces raisons ont notamment poussé l'Agence wallonne Wallimage à investir davantage dans le jeu vidéo en mai 2019.

    Le secteur attire donc les convoitises et nombre de nos voisins s'activent déjà à développer de l'expertise en la matière. Au vu de l'attrait non seulement financier, mais également culturel et populaire des jeux vidéo (l'intérêt des Belges pour ces derniers ne fait qu'augmenter au cours des années), il me semble important que nous ne rations pas le coche en Wallonie. Les Parlements bruxellois et flamands ont d'ailleurs déjà légiféré en la matière.

    D'autant plus qu'au vu de la période actuelle, les compétitions et secteur du « gaming » subissent de manière limitée les impacts de la crise sanitaire.

    Quelle est actuellement la stratégie précise de la Région wallonne vis-à-vis des jeux vidéo et l'e-sport ?

    Quels en sont les enjeux financiers en termes d'investissements et de retour ?

    Comment pourrions-nous nous inspirer de nos voisins qui possèdent déjà une longueur d'avance en la matière ?

    Quels sont les projets relatifs à l'e-sport en cours en Wallonie via Wallimage ?

    Comment attirer et garder nos talents sur le territoire ?

    Comment encourager la tenue de grands événements e-sportifs sur notre territoire ?
  • Réponse du 03/11/2020
    • de BORSUS Willy
    L’essor de l’industrie du jeu vidéo au niveau mondial est en effet exponentiel avec, en 2019, 152,1 milliards de dollars générés et une progression annuelle de 9,6 %. Ce qui en fait le premier bien culturel, loin devant le cinéma et la musique par exemple. Notre planète ne compte pas moins de 2,5 milliards de joueurs.

    En effet, l’impact de la crise sanitaire est nettement moindre dans ce secteur. Les gens étant confinés chez eux dans de nombreuses régions du monde, la consommation de jeux vidéo, que ce soit en jouant ou en regardant d’autres personnes jouer en streaming, a explosé. Pour preuve, c’est au mois de mars 2020 que la célèbre plateforme de streaming Twitch a battu son propre record d’audience avec 1,1 milliard d’heures de visionnage.

    Nous avons en Wallonie, grâce à un haut niveau de formation de nos jeunes, le potentiel pour développer une véritable industrie de création porteuse d’emplois locaux et de revenus. Quant à l’e-sport, le marché́ belge a généré quelque​ 3 millions d’euros ​en 2017 et enregistre une croissance de plus de 20 % par an.

    Il faut donc bien distinguer, d’une part, le développement de jeux vidéo et, d’autre part, les activités professionnelles liées à l’e-sport. Les deux sont évidemment liés. Certains jeux, notamment les jeux où les utilisateurs peuvent s’affronter seuls ou en équipe, finiront par développer un système compétitif qu’on appelle l’e-sport.

    Pour le premier secteur, Wallonia Game Association (WalGa) est l’association des développeurs de jeux vidéo créée en 2015 par des représentants des principaux studios. Depuis, l'association se charge de la promotion, de la représentation et de la dynamisation de l’écosystème. ​WalGa comptabilise actuellement 35 entreprises pour un peu plus de ​200 emplois​ salariés et indépendants équivalents temps plein. Ces entreprises sont relativement jeunes puisque 22 sur 35, soit 63 %, ont ​moins de 6 ans d'existence​.

    WalGa se charge d’identifier des porteurs de projets, de préparer leurs dossiers en vue d’être présentés aux investisseurs publics tels que Wallimage, les invests locaux, et privés tels que des éditeurs, des fonds d’investissement ou encore des « business angels ». Cette stratégie s’appuie sur un dispositif d’accompagnement des porteurs de projet gaming dans leur croissance, mais également de workshops et accompagnements personnels qui permettent de compléter dans les domaines financier, commercial et marketing les compétences techniques et artistiques apprises dans les écoles tels que la Haute École Albert Jacquard section Infographie ou encore les centres de formation tels que Technocité à Mons et Technifutur à Liège.

    L’aspect financier est également important, tant pour les studios établis que pour permettre la création de start-up ou encore pour attirer des acteurs internationaux sur notre territoire. Même si beaucoup reste encore à faire, de nombreuses démarches ont déjà été entreprises, notamment pour mettre en place un incubateur de projets jeux vidéo et un Fonds gaming via Wallimage. Le premier s’adresse aux étudiants sortants de formation, le second apportant aux studios existants des fonds pour les soutenir dans leur création propre. Par ailleurs, un travail de fond a été entrepris depuis plusieurs années pour mettre en place une Tax Shelter jeux vidéo en Belgique.

    Wallimage Entreprises finance des sociétés, en tant qu’actionnaire et/ou prêteur. Concernant l’actionnariat, Wallimage est actuellement partie prenante des acteurs suivants :

    • dans les studios Gaming, on retrouve Appeal Studio, Fishing cactus et Swarms entertainment.
    • dans les centres de loisirs de réalité virtuelle Terragame Center, Vigo Universal (parc VR HolloH) et Virtual park.

    Il est à noter que les centres de loisirs VR (virtual reality) sont éligibles seulement s’ils développent des concepts de jeux et pas s’ils exploitent simplement des IP étrangères.
    Les prises de participation tentent toujours également de respecter un équilibre entre investissements privés et publics.


    Au niveau de l’e-sport, des villes et provinces telles que Liège se déclarent volontaristes dans le domaine. Suite à une étude du GRE en 2018, les acteurs locaux tels que Noshaq, EVS, Les Ardentes se sont impliqués dans l’organisation de tournois et de conférences lors de l’événement Wallifornia Music Tech en juillet dernier. Le WEX de Marche-en-Famenne a lancé Game Square, le premier salon gaming & e-sport de Wallonie, mais en raison des mesures sanitaires, l’événement physique n’aura lieu qu’en novembre 2021. Par contre, des événements en ligne trimestriels qui débuteront en novembre de cette année permettront aux communautés des différents jeux compétitifs de se retrouver. D’autres villes telles que Wavre, Namur, Charleroi souhaitent s’impliquer également dans des initiatives locales ou développer leurs propres événements.


    L’industrie du jeu vidéo n’est encore qu’à un stade débutant, mais avec des perspectives prometteuses grâce à de nombreux talents formés par nos écoles et centres de formation. L’objectif pour les développeurs de jeux, mais aussi pour les structures gérant les e-sportifs est de garder ces talents dans notre région. Le développement d’un jeu fait appel à de nombreuses compétences et fait travailler des professionnels de l’image, du son, de l’animation, de l’écriture scénaristique, etc
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    Les tournois d’e-sport nécessitent également de nombreux professionnels en plus des joueurs à proprement parler ; admins tournois (les arbitres maîtrisant à la perfection les règles du jeu), casters (commentateurs comme pour les autres sports), coachs (préparation stratégique et mentale des joueurs), managers (gestion commerciale et financière des joueurs), techniciens audiovisuels (pour la diffusion live comme pour le streaming). L’ensemble représente des centaines, voire des milliers d’emplois potentiels.

    La consommation de jeux vidéo a fortement augmenté pendant le confinement, mais le marché mondial est en croissance depuis des décennies. Toutes les générations sont concernées, mais une majorité de jeunes, quel que soit leur genre s’adonne à des jeux vidéo. Un soutien structurel à l’écosystème a permis à certains pays plus petits que la Belgique, la Finlande par exemple, de construire une industrie locale représentant des milliards de chiffre d’affaires et des milliers d’emplois.

    L’e-sport est devenu en quelques années un média à part entière permettant de toucher les « millenials » qui n’utilisent plus ou très peu les médias traditionnels. Le confinement et l’annulation des principaux événements sportifs internationaux ont également mis le focus sur les événements e-sportifs.
    Les publicitaires des grandes entreprises proposant des biens et services à ce public ont pris conscience de ce changement disruptif et cherchent à investir des sommes importantes sans pour autant y parvenir chez nous, faute de professionnalisation des acteurs du secteur.

    Une étude récente a été publiée par Ukie, l'association sectorielle anglaise, sur les points importants pour le développement de l’e-sport, qui sont également valables chez nous : https://www.ukie.org.uk/esportsreport

    Il faut investir dans la formation, le financement du capital d’amorçage (seed capital) que ce soit pour le développement de nouveaux jeux vidéo ou l’organisation de tournois. La mise à disposition des organisateurs d’équipement performant avec des partenaires tels que EVS, leader mondial des ralentis sportifs et spécialisé dans les techniques de diffusion de matchs d’e-sport, peut aussi être bénéfique. Plus de projets de jeux c’est aussi plus d’expérience et de futurs studios qui pourront grandir vers des projets plus ambitieux. Plus de tournois, c’est plus d’expérience pour tous les intervenants, permettant de viser des événements internationaux dans quelques années sur le sol wallon et de futurs emplois à part entière.

    Au niveau fédéral, le mécanisme financier du Tax Shelter a été étendu au secteur du gaming en mars 2019, mais refusé par l’Europe. Walga avec son homologue flamand Flega travaille depuis des mois sur une modification du texte de loi permettant l'entrée en vigueur du mécanisme. Il sera prochainement soumis au vote au Parlement Fédéral et bénéfice du soutien d’une majorité de partis au nord comme au sud du pays.

    Ce n’est pas la mission première de Wallimage d’investir dans l’e-sport. Un tournoi en soi n’est pas une production audiovisuelle, mais sa diffusion en streaming peut par contre potentiellement être considérée en tant que telle.

    Pour l’e-sport il faut commencer par la formation permettant de détecter des talents et les faire grandir dans des clubs. Ensuite une professionnalisation du statut de joueur, mais également des structures qui les gèrent avec un cadre législatif et juridique clair permettrait que les joueurs ne soient pas attirés par les sirènes émanant de l’étranger. Mais à l’instar du sport dit « classique », et comme on peut le constater avec notre équipe nationale de foot, il est très difficile pour un petit pays comme la Belgique avec des « écuries » moins renommées de garder ses talents.

    Pour ce qui concerne l’organisation de grands événements en Wallonie, il faut « marcher avant de courir », en organisant des tournois locaux, en créant des clubs permettant l’encadrement de la pratique, en mettant en place des formations de joueurs, mais aussi des techniciens indispensables à l’organisation. Il ne faut pas oublier qu’à l’origine, les compétitions de jeux vidéo étaient des rassemblements de petite ampleur. Les gamers organisaient ce qu’on appelle des « Lan » totalement bénévolement pour s’affronter sur leurs jeux préférés. L’e-sport ne fait que répondre à une demande sans cesse croissante émanant de cette communauté avec l’organisation d’événements de plus en plus grands.

    La Gamers Assembly à Poitiers par exemple est un des plus grands et plus anciens événements de France, avec des dizaines de personnes travaillant pour l’organisation. Des partenariats de formation sont possibles ainsi que l’organisation de tournois basés sur le principe de franchise profitant de leur notoriété. Cet événement a débuté dans les années 2000 avec 100 participants pour arriver en 2019 à 2 500.