La réaction de Madame la Ministre à la suite de la proposition européenne concernant le loup
Session : 2023-2024
Année : 2024
N° : 383 (2023-2024) 1
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Question écrite du 10/04/2024
de LEPINE Jean-Pierre
à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
Depuis 1992, la directive européenne 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que des espèces de la faune et de la flore sauvages (directive dite « Habitats ») protège les populations de loups en Europe, mais il existe des possibilités de dérogations. Dans certaines régions d'Europe, les loups sont considérés comme étant trop nombreux.
Récemment, la Commission européenne a proposé de les faire passer au statut de simple protection qui est plus souple et permet de les éliminer plus facilement. Cette proposition, qui doit encore faire l'objet d'une approbation des États membres, est réclamée par les éleveurs dans plusieurs pays.
Ces derniers arguent du fait que, depuis le retour du loup, des meutes créent un danger pour le bétail et provoquent des conflits avec les communautés locales d'agriculteurs et de chasseurs. Selon eux, les loups seraient plus de 20 000 dans 23 pays de l'Union européenne et ces meutes grandissent et occupent des territoires de plus en plus grands.
La Wallonie recense actuellement trois meutes sur son territoire, tandis que la Flandre en compte une.
À l'inverse, les associations de défense de la nature, dont le WWF, mettent en avant le rôle positif sur la régulation de la biodiversité.
Madame la Ministre pourrait-elle me faire part de son analyse de la proposition européenne ? Quelle est la position qu'elle défend ?
A-t-elle été sollicitée par les associations de défense de la nature ? Qu'ont-elles mis en avant dans leur plaidoyer ?
Quels engagements éventuels Madame la Ministre a-t-elle pris à leur égard ?
Réponse du 28/05/2024
de TELLIER Céline
La Convention de Berne vise à préserver la flore et la faune sauvages européennes et leurs habitats naturels. Ce traité, conclu sous l'égide du Conseil de l'Europe, est entré en vigueur le 1er juin 1982. L'Union européenne est partie contractante à cette convention depuis le 1er septembre 1982. Le loup gris (Canis Lupus) figure à l’annexe II de la Convention de Berne, ce qui implique sa protection stricte.
L’Union se doit de respecter la Convention au travers de sa propre réglementation. Ainsi, le Loup figure en particulier aux Annexes II (Espèces animales et végétales d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) et IV (Espèces animales et végétales présentant un intérêt communautaire et nécessitant une protection stricte) de la Directive « Habitats » (92/43/CEE du 21 mai 1992).
Le 20 décembre 2023, la Commission européenne a publié une proposition de décision du Conseil qui vise à abaisser le statut de protection du Loup en le faisant passer de l'Annexe II sur les « Espèces de faune strictement protégées » à l'Annexe III sur les « Espèces de faune protégées » de la Convention de Berne. Une telle modification doit être soumise à l’aval du Comité permanent de la Convention de Berne. La Commission européenne propose que l’Union européenne demande que cette proposition d'amendement soit examinée lors de la prochaine réunion du Comité permanent qui se tiendra en décembre prochain.
Il faut noter que cette proposition concerne le statut de protection du loup au niveau de la Convention de Berne et non au niveau de l’Union européenne. Il s’agit d’une condition préalable pour pouvoir, éventuellement, adapter le statut du loup au niveau de la Directive européenne « Habitats » et ensuite au niveau des états membres qui le souhaiteraient. Si la proposition est adoptée, le Loup resterait ainsi strictement protégé au niveau de l’Union, du moins dans un premier temps.
Pour la parfaite information, si c’est bien la première fois que la Commission européenne émet une telle proposition, la Suisse a proposé à plusieurs reprises d’abaisser le statut de protection du loup, à savoir en 2006, en 2018, puis en 2022. Le principal argument avancé par la Suisse était que le nombre de loups en Europe avait considérablement augmenté depuis l'entrée en vigueur de la Convention et qu'une protection stricte n'était donc plus nécessaire. La Suisse n’a cependant pas été soutenue dans cette démarche.
En décembre 2022, soit il y a 18 mois, l’Union européenne a voté en bloc contre cette proposition suisse, en avançant comme principale raison l’état de conservation du Loup, défavorable dans la plupart des régions évaluées, malgré une augmentation du nombre estimé de loups dans l’Union européenne, et en Europe au sens large.
Depuis décembre 2022, aucun rapport officiel n’a modifié ces constats. La proposition émise par la Commission en décembre 2023 se base sur une analyse approfondie de la situation du loup dans l'Union européenne et sur les données scientifiques disponibles sur l'espèce, à savoir les données communiquées par les autorités nationales des États membres de l'Union européenne lors des rapportages, ainsi que les données pertinentes recueillies dans le cadre d'un exercice de collecte de données ciblé. Le résultat de cette analyse confirme une tendance à la hausse de la population, ainsi que l'expansion continue de l'aire de répartition du loup, mais ne permet pas de conclure à un changement de statut de l’état de conservation.
Je suis bien consciente des difficultés qui peuvent être liées à la cohabitation avec une espèce de grand carnivore. C’est la raison pour laquelle, dès le début de mon mandat, j’ai adopté un Plan de cohabitation avec le loup qui prévoit plusieurs mesures concrètes pour prévenir ou indemniser les dommages.
J’ai effectivement été interpellée par les associations de défense de la nature qui mettent en avant les arguments suivants : - aucune donnée scientifique justifiant un changement de statut n'a été fournie dans l'analyse approfondie de la Commission sur la situation des loups dans l'Union européenne. Selon la dernière évaluation de l'état de conservation basée sur les rapports des États membres en 2019, le loup est dans un état de conservation défavorable dans six des sept régions biogéographiques de l'Union européenne ; - à l’échelle globale, l'impact des loups sur le bétail dans l’Union européenne est très faible (moins de 0,1 % de taux de prélèvement) ; - l'abaissement du statut de protection compromettrait fortement les travaux en cours visant à mettre en place des mesures de coexistence entre les loups et les communautés locales ; - les efforts pour mettre en place des mesures préventives sont payants, alors que la régulation des loups n’est pas une solution pertinente.
Ces associations soulignent également que les loups font partie intégrante du patrimoine naturel de l'Europe et jouent un rôle essentiel dans le maintien de l'équilibre des écosystèmes et de la biodiversité. Le retour du loup dans des régions d'Europe où l'espèce avait disparu est un succès considérable en matière de conservation qui ne doit pas être mis en péril.
Je suis sensible à ces différents arguments et je pense, moi aussi, qu’il est primordial de poursuivre nos efforts de cohabitation avec cette espèce qui nécessite toujours une attention particulière. Par ailleurs, à mon sens, la législation actuelle donne déjà la souplesse suffisante pour agir en cas de problème particulier. En effet, l’article 6 de la Convention de Berne, transposé par l’article 16 de la Directive « Habitats », permet, pour les cas les plus problématiques, de déroger aux mesures de protection de l’espèce, moyennant le respect de plusieurs conditions. Cette flexibilité est d’ailleurs jugée suffisante par plusieurs États membres dans lesquels les populations de loups sont bien plus nombreuses qu’en Belgique.
Le dossier est actuellement examiné au sein des organes ad hoc du Conseil de l’Union européenne (plus précisément du groupe de travail biodiversité), présidé ce semestre par la Belgique. Les fondements scientifiques et juridiques de la proposition de la Commission y sont actuellement discutés en détail, avant que les États membres soient invités à se prononcer sur le fond. Du fait de son rôle de présidence, la Belgique n’est pas appelée à se prononcer à ce stade du processus, sauf en cas de vote formel. La dernière position belge s’opposait à la diminution du statut de l’espèce. Si le débat devait être réouvert, je défendrais le maintien de cette position.