à DEMOTTE Rudy, Ministre-Président du Gouvernement wallon
Monsieur le Ministre-Président est un habitué des déclarations fortes sur le fait wallon. En mars 2010 déjà, il a parlé d’une « identité positive » et souligné la nécessité d’un « projet identitaire et mobilisateur, qui soutienne une conscience collective wallonne décomplexée ». Il a alors proposé de rebaptiser la Région wallonne Wallonie, consacrer Namur comme capitale, donner une devise à celle-ci et créer un ordre pour les talents wallons.
Le parlement a confirmé Namur comme capitale wallonne en octobre 2010, l’ordre du Mérite wallon a été institué et les premières décorations ont suivi.
L’élan initié en 2010 s’est enlisé en juin 2013 avec cinq points noirs sur le nez de la Wallonie. Ils ont parachevé une coûteuse étude sur l’image de marque internationale de la Wallonie, qui a abouti à l’évidente conclusion que celle-ci, essentiellement exportatrice, doit promouvoir son ouverture au monde. Point n’est besoin de souligner le ridicule d’une mention « Wallonia.be » qu’il faut racheter à son propriétaire flamand et qui ne l’est pas encore à ce jour.
Bref, une étude à plus de 500 000 euros et un logo critiqué et moqué jusque dans les travées parlementaires, esthétiquement peu mobilisateur et donc en contradiction avec les ambitions de mobilisation et d’unité que Monsieur le Ministre-Président a affichées dans le débat de 2010.
Cet été, Monsieur le Ministre-Président a réitéré l’opération de communication en évoquant la nécessité de « l’émergence d’une identité nationale wallonne », dont il a d’emblée précisé qu’elle ne serait pas un nationalisme « pur et dur », mais donnerait « aux Wallons la confiance dont ils manquent parfois ». À cette occasion, il a fait la différence entre un nationalisme wallon « d’ouverture » et un nationalisme flamand « de repli », qualifié de « venin pour la Belgique ».
Le ministre de l’Économie ayant dit préférer une « forme de patriotisme économique », Monsieur le Ministre-Président a nuancé son propos et parlé d’« élan civique ». Lors des fêtes de Wallonie, il a souligné la nécessité d’une « fierté wallonne », « d'un élan civique et d'un attachement affectif » à la Wallonie. Il a ensuite expliqué qu’un « projet citoyen n'est pas un projet froid ou une simple adhésion aride à un intérêt économique commun. Il se nourrit, aussi, du sentiment d'appartenir collectivement à une même ambition ».
Je peux partager plusieurs affirmations de Monsieur le Ministre-Président, mais celui-ci conviendra que tout cela n’est pas exactement la même chose et qu’il y a plus que des nuances sémantiques entre un nationalisme (fût-il d’ouverture) et un « attachement affectif », même mâtiné de « fierté ».
Qu’entend M. le Ministre-Président par nationalisme wallon ? Quelle définition et quel contour lui donne-t-il exactement ?
Peut-il aussi (re)préciser ce qui motive son constat, les conséquences qu’il en tire, les axes politiques qu’il en dégage et les mesures concrètes qu’il estime devoir être mises en œuvre pour atteindre cet objectif ?
L’important est que les Wallons se mettent en état de prendre leur destin en main quelle que soit la forme future de la Belgique et des relations avec Bruxelles et avec la Flandre. De ce point de vue, Monsieur le Ministre-Président fait bien de souligner qu’il y a des raisons d’être optimistes, pour autant qu’il renonce à ces politiques austéritaires qu’imposent l’Europe et Bruxelles, deux instances devant lesquelles il a – je le dis avec toute l’estime que je lui porte et tout le respect que je dois à sa fonction – une propension à courber l’échine et à ainsi hypothéquer le redressement économique wallon tout en détricotant le tissu social, qui se caractérise désormais par une aggravation des inégalités et la mise à mal de la classe moyenne, avec les risques que cela représente pour la démocratie.
Pour autant aussi que Monsieur le Ministre-Président se dresse enfin contre ceux dont les partis-pris particularistes ou les décisions ont pour effet de nuire à l’intérêt général et de désertifier la Wallonie. Ainsi, le sous-localisme empêche le Gouvernement wallon d’adopter une position commune sur le désastreux plan d’investissement pluriannuel de la SNCB. Cela, alors même que des zones entières de la Wallonie voient le rail se raréfier (pour ne pas dire disparaître) et que la survie de la dernière gare de triage wallonne est sérieusement menacée au profit d’Anvers depuis de longs mois.
Dans la foulée de son exhortation à partager collectivement une même ambition, Monsieur le Ministre-Président évoque le « plein emploi en 2025 » en Wallonie. A priori, on ne peut qu’acquiescer.
Néanmoins, le fossoyeur du modèle social allemand fut un social-démocrate (Gerhard Schroeder pour ne pas le nommer) et les politiques suivies et même promues par les partis socialistes ou sociaux-démocrates au pouvoir en Europe. Il y a donc lieu de craindre que le plein emploi que Monsieur le Ministre-Président annonce pour 2025 ne soit surtout celui des mini-jobs à 450 euros par mois, dont l’Unizo et les libéraux flamands réclament désormais l’adoption dans notre pays.
Outre-Rhin, 20 % des contrats de travail salarié sont aujourd’hui des mini-jobs à 450 euros/mois et que ce sont eux qui expliquent le « bon résultat » (sic) de l’économie allemande face au chômage. Cela, alors que l’Organisation internationale du travail (OIT) accuse explicitement la politique allemande en matière de compétitivité salariale d’être « la cause structurelle » de la crise de la zone euro. Monsieur le Ministre-Président est-il d’accord avec ce constat de l’OIT ?
Monsieur le Ministre-Président peut-il indiquer ce qu’il entend par « plein emploi en 2025 » et ce qu’est un contrat de travail acceptable à ses yeux ?
Réponse du 14/10/2013
de DEMOTTE Rudy
Le 20 août dernier, dans le cadre de la conférence de presse de présentation du programme des fêtes de Wallonie à Namur, j’ai rappelé que nos fêtes étaient nées voici un siècle, de par la volonté de l’Assemblée wallonne, l’ancêtre de notre parlement. J’ai ainsi rappelé quel était le contexte historique de ce choix et des revendications wallonnes : un contexte militant d’affirmation identitaire ; une identité qui fut toujours portée dans l’ouverture, d’où mon qualificatif de « positif ».
Dans un contexte médiatique de vacances, cette incise a davantage retenu l’attention que la confirmation qu’il y aurait bien un feu d’artifice en point d’orgue des fêtes namuroises. Cela a nourri les débats estivaux, chose sans doute excessive mais que nous ne devons pas le regretter car il est à noter que ce débat fut quasi exclusivement sémantique.
La question fut de savoir si le terme était opportun ? Et, de ce point de vue, je partage d’ailleurs, l’essentiel des positions formulées. Pour le reste, qu’ai-je noté ? Que la plupart des intervenants affirmaient qu’il aurait mieux valu parler d’identité. C’est positif. Voici quelques années et c’était encore un peu le cas lorsque j’ai abordé ce thème en 2010, le concept d’identité wallonne en dérangeait certains. Parfois ceux-là mêmes qui le préconisent aujourd’hui. C’est une bonne chose car cette évolution est naturelle, utile voire nécessaire. En effet, oui, nous avons besoin d’une identité wallonne ouverte et décomplexée, oui, nous avons besoin d’une conscience régionale collective et oui nous avons besoin d’un esprit d’entreprise ou d’un élan civique pour porter le projet de société wallon car la Wallonie est et sera un cadre de référence essentiel pour assurer notre développement et le bien-être de notre population.
Les plus clairvoyants l’ont dit avant les autres. C’était aussi le constat de la société civile réunie au sein de la Commission Zénobe en 2009. C’était inscrit dans la Déclaration de politique régionale et le Plan Marshall 2.vert. C’était au centre des mes déclarations de 2010 et, mieux, ce fut au cœur de notre action commune. Car c’est ensemble que nous avons confirmé Namur comme capitale de la Wallonie. C’est ensemble que nous avons substitué usuellement le terme « Wallonie » à l’appellation « Région wallonne ». C’est ensemble que nous nous sommes retrouvés sous l’emblème unificateur du coq. Et c’est ensemble que nous avons créé la distinction du Mérite wallon. Un « ensemble » qui s’étend à toute la représentation parlementaire, majorité et opposition actuelles. Une telle unanimité n’avait jamais été rencontrée sur ces questions à haute valeur symbolique. On se souvient, d’ailleurs, à ce propos, de l’analyse de Monsieur Miller lors du vote du décret capitale, évoquant le chemin parcouru vers une évidence aujourd’hui partagée.
Tout ceci va de pair avec une évolution institutionnelle et sociétale forte qui a placé les régions au centre et au cœur de notre système fédéral. Dans ce cadre, j’ai retrouvé mon propos dans la bouche de quantité d’acteurs de premier plan. Chacun avec sa formulation, chacun avec sa sensibilité, dans un discours qui n’est heureusement pas monocorde mais dans un même état d’esprit : que ce soit dans le discours des fêtes de Wallonie du président de notre assemblée ou des bourgmestres de nos grandes villes, que ce soit dans le projet de développement présenté par l’opposition parlementaire, que ce soit dans les appels des partenaires sociaux ou que ce soit dans les déclarations des responsables politiques bruxellois qui posent exactement le même constat pour leur région ; la Région bruxelloise, dernière née sur le plan institutionnel mais qui, en quelques années, a accompli une démarche d’identification citoyenne autour d’un projet partagé qui est aujourd’hui évidente et fédératrice.
Voilà donc quelle est aussi ma position, rappelée dans mon discours des fêtes de Wallonie. Une position basée sur la conviction de « l’importance d’une fierté wallonne », « l’importance d’une confiance féconde en nos capacités », « l’importance d’un élan civique pour transformer nos efforts en progrès » « et l’importance, aussi, d’un attachement affectif à notre Wallonie ! », pour soutenir « un projet citoyen qui n’est pas un projet froid ou une simple adhésion aride à un intérêt économique commun mais qui se nourrit, aussi, du sentiment d’appartenir collectivement à une même ambition et à une population ouverte et solidaire, consciente d’ellemême dans sa formidable diversité, en se sentant wallonne, sans excès ni outrance, avec toute la force de la sérénité ».
Enfin, s’agissant de la question relative au « plein emploi », il convient, là aussi, de simplement lire mon propos qui était le suivant : « Il ne s’agit plus de lutter contre la résignation mais de continuer à travailler, en montrant que le redressement se trouve, désormais, au bout de nos efforts. Je ne lis d’ailleurs rien d’autre dans les appels des acteurs économiques et sociaux qui fixent, notamment, pour objectif d’atteindre le plein emploi en 2025. Le plein emploi ! Qui aurait simplement osé évoquer ce concept pour la Wallonie, voici dix ans ? On l’aurait alors traité d’utopiste ! Aujourd’hui, c’est simplement faire preuve d’ambition. Nous ne sommes plus en quête d’un horizon lointain, nous marchons vers un but et cette conviction doit libérer toutes les énergies ». Par ces mots, je faisais directement allusion aux déclarations de l’Union wallonne des entreprises qui évoquait explicitement cette perspective comme un objectif destiné à rejeter le pessimisme ambiant et formulait des pistes en la matière. Des propos et des pistes qui sont donc ceux de cette organisation patronale mais qui, à ce titre, s’intègrent dans la réflexion qui associe l’ensemble des partenaires sociaux. Pour ce qui est des objectifs et des moyens retenus par le gouvernement, l’honorable membre se reportera à la Déclaration de politique régionale et au Plan Marshall 2.vert qui formalisent l’accord de majorité ainsi qu’aux orientations identifiées dans le cadre du Plan Marshall 2022.