L'usage de la formule de Bradford dans le contrôle des absences pour maladie des agents du Service public de Wallonie (SPW)
Session : 2013-2014
Année : 2013
N° : 292 (2013-2014) 1
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Question écrite du 16/01/2014
de WESPHAEL Bernard
à NOLLET Jean-Marc, Ministre du Développement durable et de la Fonction publique
Une brochure distribuée en décembre dernier aux agents du SPW présente, presque incidemment, dans le cadre d’une annexe, le mode de calcul des absences pour cause de maladie, nommé facteur (ou formule) de Bradford. On aurait voulu faire passer l’information sous le manteau qu’on ne s’y serait pas pris autrement !
Cette formule est supposée mesurer « le degré de perturbation économique occasionné par l’absence maladie des membres de l’organisation », en l’occurrence le SPW. Il apparaît que ce mode de calcul est susceptible de mettre en difficulté un agent s’il s’absente à plusieurs reprises pour maladie pendant une courte période.
Monsieur le Ministre peut-il fournir les critères objectifs qui ont permis de fixer à 250 le seuil « au-delà duquel la situation est jugée critique pour l’organisation » ?
Peut-il également indiquer ce qu’il adviendra alors concrètement pour l’agent qui, atteignant ce score, sera ainsi implicitement accusé de mettre le SPW dans une « situation critique » ?
Dans « Vaincre l’absentéisme » (paru chez Dunod), François Meuleman écrit en 2011 que le facteur de Bradford « comporte pourtant certains risques : il surinvestit la fréquence et se focalise donc sur les effets induits par les ruptures de charges opérationnelles (gap en termes de prestations, de compétences, ou de contacts). Pour certains postes, c’est pertinent pour d’autres, non. Les jobs présentiels, par exemple, ou ceux plus généralement à faible qualification ne correspondent pas à cette réalité. Dans ces cas, la perte est directement corrélée au ratio jours d’absence/jours théoriques de présence ».
Polytechnicien atypique, expert en ressources humaines et spécialisé dans l'approche croisée, formateur et consultant, François Meuleman poursuit en soulignant qu’un autre risque lié à l’usage du facteur de Bradford « réside dans la stigmatisation de certains types de salariés : âgés, handicapés, à santé déficiente ou parents d’enfants en bas âge ».
Dans le climat de stigmatisation de l’absence maladie qui s’incarne dans l’usage systématique du terme d’absentéisme pour désigner les absences des agents, cette formule servant à « quantifier » l’impact des absences d’un agent malade sur l’organisation du travail, tend donc à augmenter les risques de sanction, voire de licenciement, potentiellement encourus par celui-ci sitôt qu’il aura atteint le seuil fatidique de 250. Surtout s’il est âgé, handicapé, à santé déficiente ou parent d’enfants en bas âge !
On voit bien que le facteur de Bradford n’est pas la panacée et que son emploi peut ajouter la stigmatisation à la stigmatisation. D’autres indicateurs existent-ils pour mesurer les absences au travail, notamment pour maladie ? Lesquels sont utilisés pour évaluer les agents du SPW ? Les données obtenues avec le facteur de Bradford sont-elles croisées ou non avec celles résultant de l’utilisation des autres indicateurs ? Pour quelles raisons et, le cas échéant, de quelle façon ?
L’utilisation du facteur de Bradford n’aura-t-elle pas pour effet paradoxal de développer le présentéisme ou le surprésentéisme, c’est-à-dire la présence sur les lieux de travail d’agents dont l’état de santé exigerait un arrêt maladie dans l’intérêt non seulement de leur propre santé, mais aussi du service, ne serait-ce que pour éviter qu’ils contaminent leurs collègues, avec, pour résultat paradoxal, une augmentation générale des absences pour maladie et donc, un accroissement de « perturbation économique » pour le SPW ?
Plus généralement, Monsieur le Ministre peut-il préciser les dispositions prises pour éviter que l’utilisation du facteur de Bradford ne se transforme en un moyen aisé de licencier les agents gêneurs, âgés, handicapés, à santé déficiente ou parents d’enfants en bas âge de santé fragile, voire poussés à l’épuisement professionnel (burn-out) par un harcèlement hiérarchique volontaire ou non ?
Réponse du 30/01/2014
de NOLLET Jean-Marc
Je souhaite tout d’abord attirer l’attention de l’honorable membre sur la volonté du Comité stratégique du SPW de vouloir mener une gestion positive de l’absentéisme. Une première communication a été adressée à l’ensemble du personnel du SPW, par le biais d’un article dans la revue interne Osmose de décembre 2013.
Cet article témoigne du souhait de l’institution de mettre en place une gestion positive de l’absentéisme, conçue de manière globale.
L’accent est mis sur le rôle clé des managers directs parce qu’ils détiennent un certain nombre de leviers pouvant influencer l’absentéisme. Ils sont également les plus concernés par l’organisation ou la réorganisation du travail à la suite de l’absence de leurs collaborateurs.
Cette gestion positive de l’absentéisme passe par différentes phases. Dans un premier temps, il s’agit de s’interroger et de mettre en évidence les facteurs qui peuvent provoquer l’absentéisme et plus particulièrement ceux trouvant leur origine dans le contexte professionnel.
Si tel est le cas, il convient alors d’envisager et de mettre en place des mesures préventives, en veillant à la motivation et à l’engagement des collaborateurs, en mettant en place des plans de formations, en étant attentif à l’équilibre vie privée-vie professionnelle, en s’assurant de l’ergonomie du poste de travail, en optimisant la communication, en formant en leadership les managers directs,…
Enfin, chaque collaborateur qui revient d’une période d’absence doit être vu par son manager. L’accent doit être mis, dans cette étape, sur la communication entre le manager et son collaborateur.
Cette approche a été présentée aux organisations syndicales qui l’ont accueillie positivement.
La nouvelle culture managériale que le Comité stratégique a décidé d’insuffler, en instaurant un cycle de formation destiné aux directeurs du SPW, permet déjà de contribuer à la mise en place d’un certain nombre de mesures préventives et constitue, dès lors, un premier atout dans la gestion de l’absentéisme. Mais le Comité stratégique a décidé d’aller plus loin dans sa démarche, en faisant le lien entre cette nouvelle culture managériale et la gestion positive de l’absentéisme.
Il a donc décidé de compléter le cycle de formation initial par un module complémentaire permettant à chaque manager, d’une part, de mieux cerner et prévenir l’absentéisme et, d’autre part, de mettre en place des entretiens d’absentéisme axés sur la recherche de solutions positives et constructives entre le supérieur hiérarchique direct et les agents.
Ce nouveau module de 2 jours permet à chaque manager, à l’aide de cas pratiques basés sur la réalité du SPW, de prendre conscience de l’importance de son rôle positif dans la gestion de son équipe ; mais aussi, d’améliorer la motivation et l’engagement de ses collaborateurs via une meilleure gestion de l’absentéisme ; et enfin, de développer ses compétences pour mener de manière efficace différents types d’entretien d’absentéisme.
Après 6 mois de mise en pratique sur le terrain, il est prévu de réunir les participants pour qu’ils partagent leurs expériences et les évaluent.
L’honorable membre constatera donc que la philosophie poursuivie n’est pas axée sur le contrôle.
En ce qui concerne la brochure distribuée, en décembre dernier, aux agents du SPW et à laquelle il fait allusion, celle-ci a été réalisée dans une volonté de transparence.
En effet, l’objectif poursuivi par le Comité stratégique était de se conformer aux dispositions relatives à l’utilisation des données personnelles du personnel du SPW, reprises dans la base de données ULIS, dans le cadre de la production de statistiques RH, et plus particulièrement celles relatives à l’absentéisme et au présentéisme.
La charte et son annexe, évoquées par l’honorable membre, répondent à une suggestion émise par la Commission de la protection de la vie privée. Tant leur contenu que leur mode de distribution ont été concertés avec les organisations syndicales.
En ce qui concerne plus particulièrement le facteur de Bradford, je tiens à préciser qu’il s’agit d’un indicateur parmi d’autres permettant de fournir des informations sur la thématique de l’absentéisme dans une institution.
Cet indicateur est utilisé régulièrement par de nombreuses organisations et proposé par de nombreux spécialistes de la gestion des ressources humaines.
L’annexe de la charte que j’ai évoquée préalablement circonscrit, en son article 2, l’objectif poursuivi par la production de cet indicateur. Il s’agit de : 1° connaître parfaitement son organisation en vue d’optimaliser l’administration du personnel en matière d’absence ; 2° contribuer à l’amélioration de chaque service en éclairant les responsables sur certaines situations particulières ; 3° aider à trouver des mesures de prévention ; 4° mieux appréhender une politique de contrôle médical tel qu’il est prévu par le Code de la fonction publique.
Quant au seuil de 250, ce chiffre est communément utilisé, car il correspond à des fréquences d’absence qui deviennent problématiques pour gérer une institution.
Comme le souligne l’annexe, « le facteur de Bradford fournit un constat chiffré sans connaître les causes de ce résultat. Pour cette raison, le facteur de Bradford doit être interprété avec la plus grande prudence ».
Les représentants de SD Worx, qui délivrent aux directeurs du SPW la sensibilisation et la formation sur la thématique de l’absentéisme, insistent particulièrement sur les limites de cet indicateur qu’il y a lieu de considérer comme une alerte à se poser les bonnes questions et à actionner les différents leviers présentés lors de la formation. Il n’est donc nullement question de stigmatiser l’une ou l’autre population.
Ils évoquent aussi le fait que des dysfonctionnements peuvent apparaître en deçà de ce seuil et qu’il appartient au manager d’y être également attentif.
Les autres indicateurs en matière d’absentéisme qui sont en cours d’élaboration ne sont pas des indicateurs individuels mais des indicateurs par « groupes cibles » : direction générale/département/direction, tranches d’âges, niveaux, genre,…. Dans un souci de respect de la protection des dispositions en matière de protection de la vie privée, les indicateurs ne sont produits que pour des cibles statistiques supérieures ou égales à 10 unités.
Les finalités clairement définies dans l’annexe de la charte, de même que la formation délivrée au manager en mettant l’accent sur les leviers que sont la motivation, l’engagement, le bien-être,…, sont autant de garanties contre les effets paradoxaux que sont le « présentéisme » ou le « surprésentéisme ».
Enfin, je signale à l’honorable membre que la signature de la charte et de son annexe constituent un engagement du Comité stratégique d’utiliser le facteur de Bradford pour les finalités évoquées à l’article 2 de cette même annexe.