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Conséquences de l'arrêt de la Cour d'Arbitrage invalidant le taux de 90 % de droits de succession.

  • Session : 2004-2005
  • Année : 2005
  • N° : 99 (2004-2005) 1

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  • Question écrite du 28/06/2005
    • de BROTCORNE Christian
    • à DAERDEN Michel, Ministre du Budget, des Finances, de l'Equipement et du Patrimoine

    La presse s'est récemment fait l'écho de l'arrêt n°107/2005 de la Cour d'arbitrage du 22 juin dernier invalidant le taux de 90% en matière de droits de succession.

    Cet arrêt fait suite au décret, adopté par le Parlement wallon le 22 octobre 2003, modifiant les articles 48 et 54 du Code des droits de succession et prévoyait, notamment en matière de droits de succession, l'introduction d'une tranche supplémentaire pour laquelle un taux de 90% est réclamé aux héritiers en ligne collatérale (neveux ou nièces) ou aux tiers. Cette tranche venant ainsi se superposer aux 80% qui constituaient jusqu'alors le taux maximum.

    Or, la Cour d'arbitrage a, dans son arrêt du 22 juin dernier, considéré qu' : « un taux d'imposition de 90% pour la tranche supérieure à 175.000 euros serait manifestement confiscatoire et priverait donc, sans indemnité, en violation du principe d'égalité et de non-discrimination, une catégorie de contribuables de leur droit de propriété, sans que cette privation soit raisonnablement justifiée. Ce taux de 90%, qui serait le plus élevé en Europe, aboutirait dans les faits à une confiscation pure et simple, car la combinaison d'un seuil bas (175.000 euros) et d'un taux exorbitant (90%) créerait le risque réel d'appauvrissement du patrimoine personnel de l'ayant droit. Celui-ci courrait le risque de devoir débourser au-delà de 100% de l'émolument dont il a hérité lorsque l'actif successoral se compose de biens qui ne sont pas immédiatement liquides et réalisables et dont la valeur peut fluctuer de manière importante et rapide, ce qui serait de nature à le faire hésiter quant à l'acceptation de la succession.

    La fixation de taux élevés en matière de droits de succession est de nature à affecter le droit du testateur de disposer de son bien que lui reconnaît l'article 544 du Code civil. Elle peut rendre impossible le legs à une personne à revenus modestes d'un immeuble ou d'un bien indivisible puisque cette personne devra nécessairement s'en défaire pour acquitter les droits de succession avec le risque de ne pouvoir le vendre à un prix suffisant dans le délai légal de paiement des droits de succession. ».

    Pour la Cour d'arbitrage, « le législateur décrétal a porté une atteinte disproportionnée à la fois au droit du testateur de disposer de ses biens et aux espérances légitimes qu'a le légataire de les recueillir, en fixant un taux qui est sans commune mesure avec les droits fiscaux exigés pour d'autres formes de transferts de propriété et avec ceux qui frappent d'autres catégories
    d'héritiers. ».

    A cet égard, Monsieur le Ministre pourrait-il me préciser les conséquences de l'arrêt de la Cour

    d'Arbitrage à l'égard du budget de la Région ? Quel sera l'impact budgétaire d'éventuels remboursements ?

    Pourrait-il également me préciser s'il envisage de réformer fondamentalement la législation en matière de droits de succession ? Sinon, pourquoi ? Si oui, envisage-t-il d'aligner les taux des droits de succession de telle manière qu'ils ne présentent plus un caractère disproportionné par rapport aux pays et régions limitrophes ? Envisage-t-il de réduire le nombre de barèmes ? N'estime-t-il pas opportun d'indexer les tranches des barèmes ?

    En tant qu'impôt, les droits de succession impliquent une conception politique déterminée de transmission d'un patrimoine, et, dans l'état actuel de la législation, ceux-ci sont fixés en fonction du lien affectif que permet de présumer le lien de parenté, d'alliance ou de cohabitation légale avec le défunt.

    A cet égard, Monsieur le Ministre n'estime-t-il pas que cette distinction est de moins en moins pertinente au regard de l'évolution des modèles familiaux dans notre société ? Si oui, quelles initiatives envisage-t-il de prendre en la matière ? Sinon, pourquoi ?
  • Réponse du 31/08/2005
    • de DAERDEN Michel
    L'honorable Membre trouvera ci après les renseignements demandés.

    Le décret du 22 octobre 2003 a concrétisé une réforme fiscale pour ce qui concerne les droits de successions, à savoir le relèvement du montant exempté des droits de succession, de 12.500 euros à 25.000 euros, en ligne directe, entre époux et cohabitants légaux, compensés notamment par le relèvement des barèmes applicables entre «étrangers».

    Pour rappel, le recours en annulation, introduit contre ce décret auprès de la Cour d’arbitrage en date du 17 mai 2004, attaquait, tant l’octroi de l’exemption susvisée en tant qu’elle était limitée à la ligne directe, que l’ensemble du relèvement des taux entre «étrangers».

    L’arrêt de la Cour d’arbitrage, rendu le 22 juin dernier, a constaté que :

    - d’une part, même s’ils sont très élevés, les tarifs des droits de succession entre «étrangers» ne sont pas disproportionnés par rapport aux tarifs appliqués aux autres catégories d’héritiers, puisque ces héritiers «étrangers» ne font pas partie de la famille du défunt ;

    - d’autre part, la hauteur d’un taux de 90% porte toutefois une atteinte disproportionnée au droit du testateur de disposer de ses biens.

    La Cour d’arbitrage a ainsi maintenu le relèvement des exemptions en ligne directe, entre époux et cohabitants légaux, mais elle a situé le maximum des taux entre «étrangers» à 80% au lieu de 90%.

    La Région wallonne ne peut bien entendu que se soumettre à cet arrêt.

    En ce qui concerne les conséquences pratiques de cet arrêt, à savoir la situation des héritiers ayant reçu d’un «étranger» décédé depuis le 19 novembre 2003 un héritage dont la valeur dépasse 175.000 euros et imposé à un taux marginal de 90%, il appartient au Service Public Fédéral des Finances, qui est actuellement toujours chargé du service de cet impôt régional, de les déterminer.

    Des premiers contacts ont toutefois été pris avec l’administration fédérale afin d’examiner la manière d’appliquer au mieux cet arrêt. Celle-ci a, dès le 30 juin, transmis une première instruction à l’attention de ses receveurs concernant la portée de l’arrêt pour les dossiers en cours et à recevoir. Une instruction complémentaire suivra concernant les restitutions.

    Concernant l’impact budgétaire de cet arrêt, le relèvement du taux marginal de 80% à 90% entre «étrangers», sur la tranche d’héritage excédant 175.000 euros, devait compenser, en partie, le relèvement de la tranche exemptée en ligne directe, entre époux et cohabitants légaux, de 12.500 euros à 25.000 euros, à concurrence de +/- 3 millions d’euros par an. Il est bien entendu que cette estimation ne tenait pas compte d’éventuelles successions exceptionnelles.

    Par rapport aux impôts régionaux et à vos préoccupations concernant le budget régional, j’insisterai sur la prudence avec laquelle les recettes budgétées sont estimées.

    Enfin, vu, d’une part, le maintien du taux marginal de 80% applicable entre «étrangers» pour la partie excédant 175.000 euros et, d’autre part, l’évolution favorable constatée ces dernières années en matière de droits de succession (les recettes perçues étant souvent plus importantes que les recettes prévues), les effets de cet arrêt devraient en être atténués.

    Dans sa déclaration de politique régionale, le Gouvernement wallon a identifié 4 axes de politique fiscale en Région wallonne. Un de ces axes est de faire, par priorité dans les quartiers en difficulté, de la fiscalité immobilière et des droits de succession un levier pour l’accès au logement.

    Quant au caractère disproportionné des taux en Région wallonne par rapport aux régions limitrophes, j’indiquerai, à titre de comparaison, qu’en Région flamande, si les taux applicables entre «étrangers», y compris entre tantes, oncles, neveux et nièces, sont lissés et paraissent plus favorables qu’en Région wallonne, le calcul des droits s’effectue sur la somme totale de la succession. En Wallonie, par contre, le calcul des droits s’effectue sur la part recueillie par chacun des héritiers, calcul qui peut s’avérer, dans nombre de cas, plus favorable.

    Je voudrais également vous rappeler que, par le décret du 22 octobre 2003, la tranche exemptée des droits de succession en ligne directe, entre époux et entre cohabitants légaux, a été relevée de 12.500 à 25.000 euros lorsque la part nette recueillie par l’ayant droit n’excède pas 125.000 euros.

    Quant à la prise en compte de l’évolution des modèles familiaux dans notre société, je vous rappellerai les décrets des 14 novembre 2001 et 22 octobre 2003 qui ont permis l’application des taux en ligne directe, d’une part, aux cohabitants légaux et, d’autre part, aux enfants de famille recomposées.