La propagation inquiétante de l'échinococcose alvéonaire.
Session : 2005-2006
Année : 2005
N° : 49 (2005-2006) 1
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Question écrite du 02/12/2005
de PARY-MILLE Florine
à LUTGEN Benoit, Ministre de l'Agriculture, de la Ruralité, de l'Environnement et du Tourisme
L'échinococcose alvéolaire est une maladie parasitaire mortelle pour l'homme causée par un ver microscopique. Les principaux vecteurs de cette maladie sont le renard, ainsi que le chat et le chien.
Depuis 1982, 364 cas ont été ainsi recensés en France, avec une incidence de 15 à 20 cas par an. Le taux de survie de cette maladie n'était que de 30 % il y a 30 ans, mais, suite à une meilleure prise en charge et à une évolution des pratiques thérapeutiques, le taux de survie est passé à 90 %.
Lors de la réunion du 20 octobre dernier du conseil d'administration de l'entente interdépartementale contre la rage et autres zoonoses, il s'est avéré que l'aire géographique du parasite compte une trentaine de départements, soit bien plus que les estimations de ces dernières années ne le laissaient prévoir. En outre, il apparaît que le nombre de renards infectés Outre-Quiévrain est en nette augmentation.
On sait depuis quelques années que de nombreux renards sont infectés par cette maladie en Région wallonne, mais il semble que la zone d'endémie de cette maladie soit située au sud du sillon Sambre et Meuse avec un tiers de la population de renards infectés.
Depuis 1999, sept personnes ont été déclarées infestées par le parasite en Belgique, ce qui n'est pas énorme, mais ce chiffre risque d'augmenter vu que le nombre de renards, qui était environ de 4.000 individus en 1993 est passé, dix ans plus tard, à 13.500.
En outre, comme l'a montré une étude britannique, le renard a tendance à envahir la périphérie des villes où il trouve le gîte et le couvert, et ce, à l'abri des chasseurs. Cette modification de comportement pourrait entraîner une multiplication des cas d'échinococcose alvéolaire, puisque les contacts seraient plus fréquents entre les hommes et les renards.
Puis-je demander à Monsieur le Ministre si, comme en France, l'aire géographique de cette maladie s'est accrue ? Quelle est-elle exactement ?
Quel est le nombre de personnes infectées en 2004 ? Ce nombre est-il en augmentation par rapport au début des années 2000 ?
Comment lutter contre ce phénomène inquiétant et quels moyens y sont consacrés par la Région ? Ne pourrait-on pas diffuser certains conseils de prudence de manière systématique auprès de certains publics cible via leurs associations représentatives (exemple : ne pas cueillir de baies en forêt à certains endroits) ?
Réponse du 08/12/2005
de LUTGEN Benoît
Je prie l'honorable Membre de trouver-ci après les informations concernant la propagation de l'échinococcose alvéolaire. La partie scientifique de ces informations proviennent des travaux de Madame Geneviève Ducoffre de Institut de Santé publique - Section d'épidémiologie - à Bruxelles, ainsi que des travaux scientifiques réalisés par Régis Hanosset, Chercheur à la Faculté de Médecine vétérinaire de l'Université de Liège, dans le cadre d'une convention de recherche entre la Région wallonne et l'Université de Liège concernant ce parasite. Celles-ci vous sont transmises avec leurs autorisations.
Cycle parasitaire de l'échinococcose
Echinococcus multilocaris, un petit ver plat de la famille des ténias, est l'agent causal de l'échinococcose alvéolaire humaine. Ce ver se retrouve à l'état adulte chez des carnivores sauvages, essentiellement le renard dans nos régions, mais également plus rarement chez le chien ou le chat, qui jouent ainsi le rôle d'hôte définitif. Ceux-ci ne souffrent pas de la présence du ver. Les œufs produits par le ténia sont évacués avec les selles du carnivore et déposés sur des végétaux ou sur le sol. Ces œufs peuvent ensuite être ingérés par certains rongeurs, tels que le campagnol terrestre, le campagnol des champs ou le rat musqué. Ces animaux constituent les hôtes intermédiaires qui vont abriter le stade larvaire qui est lui potentiellement pathogène. Les œufs vont éclore, migrer vers le foie ou d'autres organes où ils provoqueront une lésion kystique. Accidentellement, l'homme peut prendre la place du rongeur et jouer le rôle d'hôte intermédiaire. Pour le parasite, il s'agit alors d'un cul-de-sac épidémiologique.
Situation de l'échinococcose chez le renard en Belgique
Avant 1992, aucune donnée n'était disponible sur la présence de l'échinococcose alvéolaire sur le territoire belge. C'est dans le cadre d'une étude subventionnée par l'Institut d'expertise vétérinaire du Ministère de la Santé publique qu'on a démontré pour la première fois la présence du parasite au sein de la population vulpine du plateau ardennais et de la Lorraine belge : 15 % des 85 renards analysés étaient porteurs. Cette région, proche de la zone endémique de la Lorraine française, présente certaines caractéristiques environnementales favorables à l'installation du parasite : basses températures et altitude entre 500 mètres et 1.000 mètres.
Ces premiers résultats ont poussé la Région Wallonne à étendre l'étude à l'ensemble de la province du Luxembourg. L'enquête réalisée entre 1993 et 1995 sur 145 renards indiquait un pourcentage d'infestation élevé (51%). En 1997, l'Institut de médecine tropicale et l'Université d'Anvers ont détecté la présence du ténia chez trois des cent renards examinés en Flandre. Un projet de recherche européen a permis de poursuivre l'enquête de 1998 à 2001 sur certaines régions du territoire belge. La distribution géographique du parasite a ainsi pu être mieux cernée : l'étude a confirmé la présence de renards infestés par Echinococcosus multilocularis et l'existence d'un gradient d'infestation décroissant d'est en ouest, probablement lié aux variations géoclimatiques (altitude, précipitations, températures moyennes). Les prévalences d'infestation les plus élevées ont toujours été observées depuis 1992 sur le plateau de l'Ardenne centrale.
L'étude financée par l'Europe ayant pris fin en 2001, le professeur Losson du service de parasitologie de la Faculté de médecine vétérinaire de l'ULg a sollicité l'aide financière de la Région wallonne pour poursuivre les études, notamment en utilisant une technique de détection plus sensible. Le renard étant l'hôte principal du parasite et notre administration étant compétente en matière d'espèces gibiers, une convention d'étude de deux ans a été signée par le Ministre Happart en décembre 2002. Malgré des aspects de l'étude relevant plus spécifiquement de la Santé publique (évaluation du risque potentiel joué par les carnivores domestiques et évaluation du risque encouru par l'être humain au sein de certains groupes socio-économiques), la Région, compétente pour la faune sauvage, a pris en charge l'ensemble du financement de l'étude afin de permettre à l'équipe scientifique de l'ULg d'examiner la problématique dans son ensemble.
Les premiers résultats, non définitifs, issus de cette étude sont les suivants :
1. a. A la date du 31 mai 2004, 827 renards ont été récoltés et 682 renards ont été examinés. La technique de raclage intestinal fait état des résultats suivants selon les provinces: - Brabant wallon : 7,5 % d'infestation sur les 67 renards récoltés ; - Hainaut occidental : 21,3% d'infestation sur les 108 renards récoltés ; - Liège : 14,5% d'infestation sur les 214 renards récoltés (13% en Hesbaye et 40% en Condroz liégeois) ; - Namur : 1,6% d'infestation sur les 59 renards récoltés ; - Luxembourg : 40,6% d'infestation sur les 234 renards récoltés.
b. L'utilisation d'une technique plus sensible (sédimentation) a permis d'affiner les résultats pour un certain nombre de renards récoltés. A la date du 31 mai 2004, 203 renards ont été examinés par cette technique. Les résultats sont les suivants: - Brabant wallon : 11% d'infestation sur les 18 renards analysés ; - Hainaut occidental : 40% d'infestation sur les 45 renards analysés ; - Liège : 44% d'infestation sur les 45 renards analysés ; - Namur : 40% d'infestation sur les 10 renards analysés ; - Luxembourg : 47% d'infestation sur les 85 renards analysés.
2. Les résultats concernant les chats et les chiens ne seront disponibles qu'en décembre 2006. Néanmoins, on a déjà retrouvé des ténias sp sur 10% des matières fécales de chien analysées. Reste à déterminer le type de ténia. A ce jour, il n'a été mis aucun Echinococcus multilocaris en évidence.
3. En 2003, 1.149 micro-rongeurs (campagnols, musaraignes,…) ont été capturés et analysés. Seuls deux cas étaient positifs. Des analyses ont également pu être effectuées sur des rats musqués (2.224 en 2003 et 502 en 2004) et sur des rats d'égout (32 en 2004). Pour 2003, le portage de l'échinococcose chez les rats musqués est variable selon une distribution géographique qui suit la même tendance que pour le renard ; 0% dans le Brabant wallon jusqu'à 14% (en 2003) ou même 23% (en 2004) dans la province du Luxembourg.
4. Le quatrième et dernier volet de l'étude, qui concerne l'évaluation du risque humain, est actuellement en cours : déjà une cinquantaine d'agents des forêts de la DNF ont fourni, via la médecine du travail (SPMT), des échantillons de sang soumis à des tests sérologiques. Tous les résultats sont négatifs. D'une manière générale, les experts considèrent que l'épidémiologie de l'échinococcose multiloculaire ou alvéolaire est particulièrement complexe.
La distribution géographique de la maladie semble en apparente extension. Le nombre croissant d'atteintes diagnostiquées chez l'homme serait sans aucun doute lié aux campagnes d'information de la profession médicale mais peut-être aussi à une pression parasitaire plus importante. En particulier, l'envahissement des milieux périurbains et même urbains par le renard roux, principal réservoir parasitaire, doit être pris au sérieux.
Comment éradiquer ce fléau ?
Il n'existe actuellement pas de vaccination contre cette maladie. L'éradication du parasite est difficile. La chasse intensive du renard ne semble pas être la solution adéquate, d'un point de vue écologique, éthique et scientifique. Par ailleurs, d'autres carnivores, tels que les chats les chiens, mais également certains mustélidés seraient également des vecteurs possibles de la maladie, même si le renard reste l'hôte le plus réceptif au parasite.
Les cas de contamination de l'échinococcose chez l'homme sont cependant rares. Le risque d'ingestion d'œufs est minime et l'infection serait due à une exposition répétée ou prolongée. Depuis 1999, seuls huit cas ont été détectés. D'après nos renseignements, les deux personnes qui en seraient décédées étaient, l'une en immunodéficience (sidéen) et l'autre, âgée et sous traitement d'immunodépresseurs. Les facteurs prédisposant ne sont pas tous connus ; il semblerait néanmoins que la possession de chats ou de chiens, la chasse ou certaines activités professionnelles (cultivateur, jardinier, garde chasse, bûcheron,…) en région d'endémie puissent représenter des facteurs de risques dans la contamination humaine.
Comment mettre en garde des habitants ?
Une plaquette d'information éditée par l'Institut scientifique de santé publique reprend une série de précautions à prendre pour diminuer le risque de contamination :
- ne manipuler les renards ou autres animaux potentiellement infectés, morts ou vivants, qu'avec des gants à usage unique ; - éviter de consommer des légumes crus provenant de jardins accessibles à des renards ou des fruits sauvages crus provenant d'un endroit potentiellement souillé par des renards infectés. Une cuisson à haute température détruit les œufs (10 minutes à 60 °c par exemple) ; - se laver les mains à l'eau chaude et au savon après tout travail impliquant un contact avec de la terre potentiellement contaminée ou le contact avec des chiens ou des chats en régions endémiques ; - vermifuger toutes les 4 semaines les chats et les chiens vivant dans une région potentiellement à risque ; - pour les personnes exposées, se soumettre à un contrôle sérologique régulier (bisannuel ou annuel) pour permettre la détection précoce d'une infection éventuelle.
Par ailleurs, il est recommandé de limiter les sources de nourritures provenant des déchets domestiques à proximité des habitations et principalement des jardins potagers. De même, il est nécessaire de décourager les gens qui tentent de nourrir des renards pour plaisir de les voir à proximité de leur maison.
Mesures concernant la chasse ou les forêts
L'équipe de scientifiques travaillant sous convention pour la Région wallonne a participé à l'information des chasseurs par leurs interventions lors de réunions de conseils cynégétiques ou d'évènements liés à la chasse. Par ailleurs, le personnel de la DNF, qui a été sensibilisé aux risques liés à l'échinococcose, ainsi que certains chasseurs, collaborent à l'étude scientifique en acheminant des renards morts vers les centres de collecte disposés par les chercheurs de l'ULg (convention « Echinococcose » et convention « réseau de suivi sanitaire du gibier ») en une quinzaine de points en Région wallonne.
Pour plus d'informations scientifiques, je vous suggère l'article paru dans les annales de médecine vétérinaire, 2004, 148, 153-167, intitulé : « Données récentes sur une zoonose d'actualité : l'échinococcose alvéolaire due à Echinococcus multilocularis ».