/

Les évolutions dans la lutte contre les discriminations en matière de logement

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2020
  • N° : 52 (2020-2021) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 18/11/2020
    • de DELPORTE Valérie
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    Une étude de la VUB sur la discrimination au logement en Wallonie vient de paraître, dans la lignée des études que l’université avait publiées à Gand. Pour rappel, une délégation de notre commission, dont je faisais partie, s’est rendue en février dans la Ville de Gand pour prendre connaissance des avancées en matière de lutte contre la discrimination à l’emploi et au logement. Durant cette journée, nous avons pu constater la réalité du phénomène discriminatoire et apprécier l’efficacité des tests de situations qui modifient clairement les comportements discriminatoires.

    À la question que je posais fin juin au Ministre du Logement, Monsieur Dermagne a répondu qu’il avait chargé ses services de rédiger un avant-projet de décret modifiant celui du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation en vue de permettre les contrôles mystères. (La pratique du client mystère permet de déterminer si un agent immobilier accepte une demande discriminante de la part d’un propriétaire).

    L’examen de la légalité du texte était en cours. Où en est-on actuellement ?

    Par ailleurs, le prédécesseur de Monsieur le Ministre avait relancé le groupe de travail « Lutte contre les discriminations en matière de logement » afin qu’il puisse échanger par voie numérique durant la crise sanitaire et avancer sur les pistes déjà établies, à savoir la rédaction d’une brochure, la réalisation de petites vidéos à destination d’un large public, ou encore le renforcement de la formation des intervenants dans les logements public et privé. Il mentionnait que l’IPI, l’institut professionnel des agents immobiliers, collabore déjà avec Unia pour l’organisation de formations.
    Mais à la lecture des conclusions de l’étude de la VUB, nous craignons que les mesures actuelles soient bien trop faibles pour résoudre le problème.

    Les conclusions de l’étude sont sans appel : « Il est très clair qu'il existe une discrimination systématique contre les minorités ethniques sur le marché du logement. … Les propriétaires privés exercent une discrimination beaucoup plus grande contre les minorités ethniques que les agents immobiliers. À Mons, ce sont les bailleurs privés qui discriminent le plus avec un taux de discrimination net époustouflant de 73 %, suivi de Charleroi (47 %), Namur (45 %) et Liège (19 %). »
    « Le problème de la discrimination ethnique sur le marché du logement locatif est très sévère à Mons et Namur (parmi propriétaires privés et agents immobiliers) et à Charleroi (parmi les propriétaires privés), et moyennement sévère à Liège (chez les bailleurs privés). »

    L’étude de la VUB décrit bien ses limites : la discrimination ethnique envers des candidats locataires, dont le nom a une consonance marocaine. Et les auteurs de l’étude invitent à approfondir d’autres cas de discrimination : sur d’autres origines ethniques, sur la présence d’un handicap physique ou mental, sur le niveau social (bénéficiaires de revenus de remplacement - chômage ou CPAS) ou encore de genre. De plus elle ne concerne que les villes et mériterait qu’on se penche sur les territoires ruraux.

    Monsieur le Ministre a-t-il répondu favorablement aux recommandations des auteurs de l’étude, afin de mener une étude plus large sur la discrimination locative en Wallonie ? Au vu de cette première étude, peut-il nous dire si ses services ont avancé sur la possibilité de mener des tests de situation ?

    Un avant-projet de décret sera-t-il bientôt déposé au Gouvernement ?

    A-t-il envisagé la mise en place de sanctions à l’égard des propriétaires, ou agences immobilières qui persisteraient dans un comportement discriminatoire ?
  • Réponse du 19/11/2020
    • de COLLIGNON Christophe
    L’étude concernant la discrimination ethnique sur le marché du logement locatif privé en Wallonie menée par le professeur Pieter-Paul Vehaege de la VUB et parue ce 2 novembre dresse un constat relativement alarmant de la discrimination ethnique rencontrée dans quatre grandes villes wallonnes (Charleroi, Liège Namur et Mons).

    Cette étude n’est pas une surprise pour mon cabinet qui était en relation avec le professeur Verhaege depuis un certain temps.

    L’analyse est basée sur 1 109 tests de correspondances qui ont été menés entre février et avril 2019. Pour ces tests, deux candidats fictifs — une « personne test » avec un nom à consonance marocaine et une « personne de contrôle » avec un nom à consonance « locale » — sollicitaient la visite d’un bien mis en location sur Immoweb (géré par une agence immobilière ou un propriétaire).

    Le message automatique envoyé à l’agence ou au propriétaire était exactement le même, la seule différence résidant dans l’origine « ethnique » du nom du candidat, qui pouvait être trouvé sur son adresse électronique ou son profil.

    Les résultats obtenus étaient alors classés selon quatre possibilités :
    - les deux candidats recevaient une invitation à visiter le bien ;
    - seule la personne avec un nom à consonance « belge » était invitée ;
    - seule la personne avec un nom à consonance marocaine était invitée ;
    - aucun des candidats n’était invité.

    Ces possibilités permettaient de calculer différents taux : celui d’invitation de la personne avec un nom marocain, celui de la personne avec un nom « belge » et le taux de discrimination net.

    Ces résultats ne portent que sur les discriminations basées sur l’origine ethnique (précisément marocaine), ils ne représentent que la Wallonie urbaine et ils n’évaluent que la première phase du processus de location.

    Néanmoins, une discrimination élevée à l’encontre des minorités ethniques a été clairement relevée. Les candidats avec un nom marocain étaient moins invités à visiter le bien (28 %).

    Il apparaît également que les propriétaires privés « personnes physiques » sont plus discriminants à l’encontre des minorités ethniques que les agents immobiliers (43 % contre 20 %).

    Les candidats avec un nom « belge » sont invités à visiter le bien par des agents immobiliers dans 27 % des cas et par des propriétaires dans 21 % des cas. En comparaison, les candidats avec un nom marocain sont invités à visiter le bien par des agents immobiliers dans 20 % des cas et par les propriétaires dans 11 % des cas.

    Le taux de discrimination net le plus haut est celui de Mons (64 %), suivi par Namur (39 %). Le taux élevé de discrimination à Mons est surtout provoqué par le taux extrêmement bas d’invitations des candidats ayant un nom marocain. Celui de Namur est davantage causé par le taux supérieur d’invitation à visiter le bien pour les candidats ayant un nom « belge ». À Mons, les propriétaires discriminent le plus, avec un taux net de discrimination de 73 %.

    La discrimination systématique des minorités ethniques est donc à déplorer dans le marché locatif privé en Wallonie, en tout cas dans les quatre grandes villes citées.

    Cela dit, outre les discriminations liées à l’ethnie, c’est contre les discriminations de manière générale que nous entendons lutter. Je suis particulièrement sensible à cette question et pense l’avoir montré au sein même de notre Assemblée. J’entends donc poursuivre résolument sur les bases déjà posées par mon prédécesseur, avec une volonté forte d’avancer, de manière rapide et efficace.

    Afin de lutter contre les discriminations en matière de logement locatif privé, le groupe de travail réunissant des participants issus d’organismes concernés par cette question — Unia, l’Institut professionnel des agents immobiliers, la Fédération des agents immobiliers francophones (Federia), le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté… — s’est réuni par vidéoconférence, le 16 octobre.

    Les projets repris par ce groupe sont notamment la création et la production de capsules vidéo pour sensibiliser chacun à la discrimination en matière de logement. La première capsule est prévue pour 2021 et sera largement diffusée. Dans le même temps, une brochure à destination des professionnels et de ceux qui gravitent autour de la location privée est en cours de rédaction en collaboration avec Unia.

    Au-delà, j’ai prévu de déposer au Gouvernement wallon, une note d’orientation relative à la lutte contre les discriminations dans l’accès au logement. Celle-ci démontre, hélas, tout en s’appuyant sur l’étude du professeur Vehaege, que la discrimination dans l’accès au logement reste une triste réalité.

    Au-delà de ces constats, elle a pour objectif de dresser l’inventaire de l’ensemble des mesures générales et spécifiques qui visent à lutter efficacement contre la discrimination dans l’accès au logement. Parmi celles-ci, on retrouve notamment les capsules et la brochure que j’évoquais ainsi que la mise en œuvre de contrôles mystères.

    À cet égard, je compte déposer rapidement au Gouvernement — c’est-à-dire dès après que le Conseil des ministres aura marqué son accord sur ma note d’orientation — un avant-projet de décret modifiant le décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation et le Code wallon de l’habitation durable, en vue de renforcer la lutte contre la discrimination dans ce domaine.

    Cet avant-projet de décret vise à intégrer la pratique des contrôles mystères et prévoit l’institution de sanctions pour les bailleurs et agents immobiliers qui ne respecteraient pas l’obligation de non‑discrimination.

    Les modalités pratiques et organisationnelles permettant la mise en œuvre de ces contrôles mystères est également en cours de réflexion au sein de mon administration. Il va de soi que ceux-ci porteront sur l’ensemble des critères protégés et visés dans le décret du 6 novembre 2008 et ne se limiteront pas au critère « ethnique ».

    En espérant que ces contrôles puissent voir le jour, il est évident qu’un reporting régulier sera effectué par l’administration, ce qui nous permettra de mesure l’évolution en la matière et, espérons‑le, de voir la discrimination diminuer en Wallonie.