/

L'implication dans le processus décisionnel d'un conseiller communal riverain d'un projet de création de voirie ou d'un projet d'urbanisme

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2021
  • N° : 386 (2020-2021) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 13/04/2021
    • de AHALLOUCH Fatima
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    L'implication des citoyens dans la vie de leur quartier implique souvent une mobilisation concernant des projets d'urbanisme. Un conseiller communal peut être riverain d'un projet. Quel est le cadre qui s'applique en la matière ?

    À titre d'exemple, une décision d'un Conseil communal de Mouscron a fait l'objet d'un recours auprès de l'administration. Le collège avait remis un avis défavorable pour la création d'un trottoir, indispensable pour le projet d'urbanisme qui allait suivre. Cette décision a ensuite été soumise au vote du conseil communal en tenant compte de l'ensemble du projet. Un recours a été introduit contre la délibération du conseil communal relative à la voirie communale et le Gouvernement y a donné une suite favorable.

    On retrouve comme motif de la décision favorable, notamment : « le Gouvernement constate que la décision de refus mentionne explicitement la présence d'un conseiller communal, lors de la délibération datée du 26/10/2000 ; - que la délibération ne donne aucune information sur les actes matériels qui doivent être pris en pour respecter l'interdiction prévue par l'article L1122-19 du code précité. - considérant que la délibération dont recours apparaît viciée ».

    La présence du conseiller communal directement concerné lors du vote du conseil est donc ici mise en avant. Monsieur le Ministre peut-il préciser la notion « d'intérêt direct » évoquée dans la motivation ?

    Un projet qui prendrait place en face de chez lui est-il dans ce cadre-là ? Un projet qui prendrait place dans son quartier est-il dans ce cadre-là ?

    Cette interdiction de délibérer concerne-t-elle uniquement des élus riverains qui se sont manifestés ou également des élus riverains qui ne se sont pas manifestés dans le cadre de l'enquête publique ? Quelles sont les modalités à mettre en place dans ce type de situation lors de la délibération ? Quelles sont les recommandations de Monsieur le Ministre en la matière aux élus locaux ?
  • Réponse du 03/05/2021
    • de BORSUS Willy
    On m’interroge sur l’attitude à avoir lorsqu’on est conseiller communal, ou échevin, et qu’un projet d’urbanisme nous touche personnellement en tant que riverain.

    L’article L1122-19 du CDLD dispose que : « Il est interdit à tout membre du conseil et du collège :
    1° d’être présent à la délibération sur des objets auxquels il a un intérêt direct, soit personnellement, soit comme chargé d’affaires, avant ou après son élection, ou auxquels ses parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclusivement ont un intérêt personnel ou direct.
    Cette prohibition ne s’étend pas au-delà des parents ou alliés jusqu’au deuxième degré, lorsqu’il s’agit de la présentation de candidats, de nomination aux emplois, et de poursuites disciplinaires;
    2° d’assister à l’examen des comptes des administrations publiques subordonnées à la commune et dont il serait membre; ».

    L’Union des Villes et Communes de Wallonie précise à ce sujet ceci (Fiche Focus : Les droits et les devoirs du conseiller communal) :
    Il est généralement admis, sur base d'une jurisprudence du Conseil d'État (C.E. n° 27.081 du 29 octobre 1986.), que cette interdiction (CDLD, art. L1122-19, 1°) doit être entendue de manière tout à fait restrictive, faisant interdiction aux conseillers d'être présents à la délibération dont l'issue leur procurera immédiatement et nécessairement un avantage (ou un désavantage) en argent ou appréciable en argent, étant entendu que les délibérations portant sur des présentations de candidats ou des nominations à des emplois ou sur des poursuites judiciaires sont toujours considérées comme des délibérations à impact pécuniaire immédiat et nécessaire.
    L'intérêt doit être personnel, c'est-à-dire que l'intérêt - outre qu'il doit résulter immédiatement de la décision prise - doit affecter exclusivement le patrimoine du conseiller communal ou de ses proches. L'intérêt collectif n'est ainsi pas pris en compte (par exemple, un conseiller communal pourrait participer à la délibération du conseil communal décidant l'adoption d'un règlement de taxe relatif au remboursement de travaux d'égouts effectués dans la rue de son domicile. De la même manière, l'on considère que lorsqu'il s'agit d'accorder des jetons de présence aux conseillers communaux, cette disposition n'est pas applicable).
    Cette interdiction vaut également lorsque le conseiller dispose d'un intérêt comme « chargé d'affaires », hypothèse qui sera à établir au cas par cas. Il est admis que le « (…) conseiller ne doit pas s'abstenir à la délibération allouant un subside à une société dont il est membre. En ce qui concerne les administrateurs d'ASBL, le Conseil d'État a confirmé la même théorie : il faut vérifier si la délibération du conseil relative à l'ASBL peut procurer ou non un intérêt direct et personnel au conseiller (…) ». (Ch. Havard, Manuel pratique de droit communal, La Charte, 1999, p. 118.).
    La prohibition s'étend au cas où l'intérêt existe dans le chef du conseiller lui-même ou dans celui de ses parents ou alliés jusqu'au quatrième degré inclusivement, cette extension étant ramenée aux parents et alliés au deuxième degré, lorsqu'il s'agit de la présentation des candidats, de nominations aux emplois et de poursuites judiciaires ».

    De manière plus large, le principe général d'impartialité doit être appliqué à tout organe de l'administration active, et sa violation pourrait aboutir à une annulation par le Conseil d’État. En matière d’urbanisme, quelques décisions récentes abordent ce sujet.

    Dans un arrêt n° 247.911 du 25 juin 2020, le Conseil d’État a par exemple estimé que :« L'impartialité d'un organe collégial ne peut être mise en cause que si, d'une part, des faits précis qui font planer des soupçons de partialité sur un ou plusieurs membres de ce collège peuvent être légalement constatés et que, d'autre part, il ressort des circonstances que la partialité de ce ou de ces membres a pu influencer l'ensemble du collège. Aucune des deux conditions n'est rencontrée. D'une part, le représentant de la demanderesse de permis n'est pas membre du collège communal et n'a donc pas pris part au processus décisionnel. D'autre part, le fait qu'une procédure civile intentée par les parties requérantes, visant la démolition partielle du bâtiment, soit actuellement pendante ne suffit pas à démontrer la perte d'indépendance et d'impartialité de l'auteur du permis d'urbanisme attaqué. En réalité, le fait que plusieurs membres du collège communal se sont auparavant opposés au projet et sont désormais en faveur de celui-ci tendrait plutôt à accréditer l'impartialité de cet organe, lequel est collégial. ».

    Dans une affaire où était dénoncé un manque d’impartialité du collège communal « comprenant en son sein le groupe politique du promoteur immobilier (conseiller communal) ayant construit le projet litigieux », le Conseil d’État a jugé que :  « L'impartialité du collège communal ne peut être mise en cause dès lors que, d'une part, le représentant de la demanderesse de permis n'est pas membre du collège communal et n'a donc pas pris part au processus décisionnel, et d'autre part, à supposer que cette personne, conseiller communal, ait eu une attitude déplacée lors du vote du conseil communal sur l'introduction éventuelle d'un recours contre une décision ministérielle qui lui était favorable, ce fait ne démontre pas qu'elle aurait influencé l'ensemble de l'organe collégial appelé à statuer ni, partant, la perte d'indépendance et d'impartialité de l'auteur de l'acte attaqué. En réalité, le fait que des membres du collège communal se soient auparavant opposés au projet pour ensuite s'y montrer favorables tendrait plutôt à établir l'impartialité de cet organe collégial. » (CE n° 248.134 du 11 août 2020).

    Dans une affaire dans laquelle le premier échevin avait déclaré dans la presse qu’il espérait que le demandeur de permis « aurait le feu vert, car c'est un vrai bosseur », ce que le Conseil d’État a assimilé à un soutien public apporté à un projet en cours d'examen de la demande de permis, motivé par une raison étrangère aux critères légaux d'appréciation d'une demande de permis d'urbanisme, mais tenant aux qualités personnelles supposées du demandeur de permis et « qui traduit une méconnaissance du devoir de réserve que l'on est en droit d'attendre d'un échevin, membre du collège communal appelé à se prononcer sur une demande de permis d'urbanisme, dès lors qu'il n'est pas établi ni même soutenu que celui-ci a décidé de s'abstenir de participer à la séance du collège délivrant le permis », il a jugé que : « Quant à savoir si la déclaration de soutien public au projet du premier échevin a pu influencer l'ensemble du collège, l'échevin en question n'a pas pris une part active quelconque dans l'instruction de la demande de permis. La déclaration litigieuse intervient par ailleurs après que le collège communal a donné un avis favorable sur la demande, essentiellement fondée sur l'avis du service technique de l'urbanisme, sachant qu'après avoir rendu un premier avis défavorable, le fonctionnaire délégué a donné un avis favorable à la suite des modifications et compléments apportés au projet par le demandeur de permis, ce qui a déterminé l'octroi par le collège communal du permis d'urbanisme. En outre, la thèse de la société requérante selon laquelle la seconde enquête publique aurait été faussée par la déclaration publique de l'échevin ne repose que sur de pures conjectures. Enfin, si dans un courrier annexé à la demande de permis, l'architecte de l'auteur du projet fait état de contacts préalables qu'il a eus avec des membres du service communal d'urbanisme et du service régional d'urbanisme, en précisant que « lors de la présentation du projet à ces différents services, nous avons reçu un avis favorable » et qu'ils ont donc poursuivi leur travail afin de finaliser les documents en vue de l'obtention du permis d'urbanisme, l'existence de tels contacts - usuels dans ce domaine - ne suffit pas à démontrer un parti-pris méconnaissant le principe de neutralité. Ils sont d'ailleurs dans certains cas organisés par une disposition législative. Par conséquent, il n'est pas démontré que l'octroi par le collège communal du permis d'urbanisme litigieux procède d'une violation du principe d'impartialité ou d'une attitude discriminatoire incompatible avec le principe de neutralité, quelles que soient les réserves qu'appellent par ailleurs les déclarations de l'échevin mis en cause (CE n ° 248.486 du 6 octobre 2020) ».

    Il est inévitable qu’un jour ou l’autre, un permis d’urbanisme ou d’urbanisation, avec ou sans ouverture de voirie, intéresse particulièrement un membre du collège communal ou un membre du conseil communal qui habite à proximité du projet. Cet intérêt particulier est normal, il peut s’exprimer par une réclamation lors d’une enquête publique par exemple, et cette réclamation n’est pas de nature à nécessiter un retrait de la personne concernée lors de la délibération.

    Un conseiller communal s’engage bien entendu à respecter les règles de déontologie et d’éthique qui figurent dans le règlement d’ordre intérieur du conseil communal, ce qui signifie qu’il doit notamment s’astreindre à faire preuve de loyauté envers l’institution comme envers le citoyen, et à diffuser des informations objectives.