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L'augmentation des prix du bois et la pénurie annoncée

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2021
  • N° : 492 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 25/05/2021
    • de EVRARD Yves
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Les matériaux de construction en général sont en train de connaître des hausses de prix extrêmement conséquentes. Le bois n'échappe évidemment pas à la règle et dans ce secteur spécifique, les messages de mise en garde des fournisseurs de matériaux en bois ne cessent d'alerter leurs clients pour qu'ils soient très prudents dans l'élaboration de leur devis ou de délais de livraison.

    Parallèlement, la demande en bois a explosé ces derniers mois en liaison sans doute avec la période de la Covid-19 et l'engouement du public à investir dans des aménagements de maison ou jardin.

    Dans le même temps, l'offre diminue et le marché international est très fluctuant. Le prix du bois aurait doublé en 6 mois aux États-Unis qui achètent de grandes quantités en Europe provoquant de ce fait un déséquilibre du marché. Une pénurie mondiale est annoncée.

    Cette situation est-elle prise en compte et pourrait-elle provoquer des aménagements dans la nouvelle gestion forestière pour une forêt résiliente que le Gouvernement entend mettre en place ?

    Monsieur le Ministre a-t-il déjà eu des contacts avec la Ministre de la Forêt sur le sujet ? Qu'en ressort-il ?

    Selon lui, la viabilité économique de la filière bois est-elle effectivement mise en péril entraînant de ce fait la viabilité économique des entreprises qui en dépendent que ce soit dans le secteur de la construction ou des aménagements de parcs et jardins ?

    Dans le contexte actuel, quelles perspectives peut-il donner à ces secteurs ?
  • Réponse du 18/06/2021
    • de BORSUS Willy
    La tension que connaît actuellement le secteur du bois résulte de la conjonction de plusieurs facteurs :
    - production perturbée par la pandémie en 2020 et donc stocks plus réduits ;
    - réduction des exportations de bois canadiens vers les États-Unis où la reprise économique, plus forte qu’en Europe, dope la construction qui tente de récupérer le retard accumulé depuis la crise des subprimes ;
    - très forte reprise économique en Chine également ;
    - difficultés de transport du fait d’un déséquilibre de transports maritimes.

    Les experts sont partagés quant à la durée de cette tension sur les prix – on entend parler de semaines, de mois, voire d’années – et quant à la disponibilité à court terme des produits bois, malgré le fait que les unités de transformation travaillent à plein régime. Des augmentations de capacité et de nouvelles unités sont en cours d’installation, mais elles ne donneront leurs effets que dans 1 à 2 ans. Cette augmentation de capacité risque néanmoins d’avoir des effets pervers à long terme en augmentant la pression sur la ressource.

    D’une manière générale, il n’y a pas de pénurie de matière tant en Europe – où les prélèvements restent inférieurs aux accroissements – qu’à l’échelle mondiale, du moins pour le moment. La situation actuelle résulte plutôt d’un déséquilibre temporaire des flux. Un expert canadien relevait dernièrement qu’il n’y a pas une pénurie de bois, mais une pénurie de bois bon marché !

    Il ne faut cependant pas négliger le fait que la demande mondiale en bois ne cesse de croître, notamment en matière de production d’énergie, alors que la ressource tend à se réduire du fait des tempêtes, maladies… mais également de la pression humaine ! La concurrence sur la matière risque de se faire donc de plus en plus grande avec un impact durable sur son prix. Tôt ou tard donc, les prix doivent se stabiliser et redescendre, mais les experts s’accordent pour dire qu’ils ne reviendront pas à leur niveau initial d’avant pandémie.

    La pénurie de sciages résineux est conjoncturelle… pour le moment. Le danger, c’est que les propriétaires forestiers ne soient maintenant tentés d’exploiter en masse leurs épicéas, par crainte de nouvelles attaques d’une part, et d’autre part pour tirer profit de la flambée des prix et ainsi reconstituer leur trésorerie. Si cela se produit, de conjoncturelle, la pénurie deviendra structurelle, et toute la filière « résineux » sera dangereusement fragilisée. Comme toujours en matière forestière, il faut donc éviter de ne considérer que l’intérêt à court terme.

    Le maintien de la pérennité de notre forêt wallonne prend donc ici une dimension stratégique. Certaines essences en place montrent dès à présent leurs limites, ce qui impose la recherche de nouvelles pistes. Comme il n’existe pas de solution miracle, une approche empirique du problème s’impose sur base d’une multiplication des essences plantées de façon à répartir les risques.

    L’effet de cette politique ne sera bien entendu pas immédiat pour les entreprises qui pourront continuer sur leur lancée pendant plusieurs années encore, le temps de valoriser la ressource en place actuellement. On pourrait espérer que cela dure le temps d’une révolution (en sylviculture, c’est le nombre d’années séparant l’installation d’un peuplement de sa récolte finale), mais c’est sans compter, outre le risque de voir les propriétaires se débarrasser de leurs épicéas, l’impact des facteurs extérieurs comme les scolytes, les tempêtes, les sécheresses… qui en réduiront inéluctablement la durée.

    Dans le contexte actuel, il est clair que les segments avals de la filière souffrent. Ils ont été pris au dépourvu par cette flambée imprévue des prix. Ils doivent maintenant gérer cette flambée, mais aussi s’accommoder des aléas et incertitudes de livraison qui handicapent lourdement leurs activités. Des voix s’élèvent dès lors pour réclamer des mesures protectionnistes (interdiction d’exportation, taxation…) que nos politiques commerciales nationale et européenne ne permettent cependant pas d’envisager. Ce n’est toutefois pas d’application pour les politiques commerciales de certains pays comme la Russie (qui taxera les exportations de bois dont le taux d’humidité est supérieur à 22 % le 1er juillet et interdira les exportations de bois non transformés à partir du 1er janvier 2022), les USA ou la Chine quand leurs intérêts nationaux sont en jeu.
    S’il est difficile de donner des perspectives à court terme, il faut dès à présent avoir des visées à plus long terme en préparant une mutation des habitudes et des compétences des entreprises de façon à structurer la mobilisation, la transformation et la valorisation des futures essences, mais également des essences secondaires actuelles qui présentent de bonnes aptitudes d’adaptation et donc de résilience (bouleau, saule, etc.). Une telle mutation doit être encouragée par le Gouvernement wallon et portée par les organismes de soutien au développement économique et technique de la filière.

    La filière bois se trouve ici à une croisée de chemins et son avenir reposera sur sa capacité à faire le bon choix. Diversifier la matière première sans adapter parallèlement l’outil de transformation et les habitudes de consommation serait très hasardeux.