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L'impact des inondations de juillet 2021 sur le secteur agricole

  • Session : 2020-2021
  • Année : 2021
  • N° : 598 (2020-2021) 1

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  • Question écrite du 05/08/2021
    • de FLORENT Jean-Philippe
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    De nombreuses exploitations agricoles ont été touchées par les inondations des 14, 15 et 16 juillet. Champs de culture dévastés, laiteries sous eaux, bétail tué…
     
    Les services de Monsieur le Ministre ont-ils pu établir une évaluation provisoire des conséquences financières pour les exploitations wallonnes ?
     
    Le Fonds des calamités agricoles sera-t-il mobilisé ?
     
    De manière générale, les inondations posent aussi la question de la capacité de nos sols à absorber de grandes quantités d'eau. Si ces inondations ont été d'une intensité exceptionnelle, il n'en demeure pas moins que certains terrains n'absorbent plus suffisamment les eaux de pluie qui s'abattent parfois sur notre région.
     
    Peut-il nous détailler les actions entreprises pour encourager davantage les agriculteurs à rendre les surfaces agricoles plus perméables ?
     
    Quelles conclusions sur le terrain peut-on tirer des dernières inondations ?
     
    Certains terrains particulièrement exposés ne devraient-ils pas être mieux pensés et aménagés afin d'absorber au maximum l'eau de pluie (plantation de haies, de couvertures végétales, choix des cultures…) ?
     
    Comment accompagne-t-il les agriculteurs dans cette réflexion ?
  • Réponse du 02/09/2021
    • de BORSUS Willy
    Les services extérieurs de la Direction de la Recherche et du Développement sont actuellement sollicités à titre d’experts pour participer prioritairement à des commissions de constats de dégâts, pour des dégâts aux cultures qui sont les conséquences directes des inondations découlant de débordements de rivières (atterrissements, embâcles, coulées de boue, dépôts de débris divers, et cetera) sur des terrains agricoles en bordure des cours d’eau).
    Par ailleurs, ils sont également sollicités pour des commissions de dégâts pour les dégâts aux cultures qui sont les conséquences d’une accumulation d’eau, de ruissellement, et cetera, en raison des précipitations répétées et intenses.
    En parallèle, les agents contactent également les agriculteurs impactés qui ont été identifiés via le croisement de la couche cartographique des inondations et des déclarations de superficies 2021.

    Il est indéniable que les événements météorologiques de juillet 2021 demanderont à chaque secteur de notre société d’avoir un regard sur ses pratiques et ses choix. L’agriculture n’y fait pas exception, tant les sédiments charriés ont perturbé le fonctionnement des ouvrages hydrauliques, aggravé les dégâts dans les bâtiments et causé des dégâts dans les champs eux-mêmes.

    Des mesures ont déjà été prises pour encourager les agriculteurs à rendre les surfaces agricoles plus perméables :

    1) Un service spécialisé Gestion-Intégrée-Sol-Erosion-Ruissellement :

    La lutte contre le ruissellement érosif figure donc à l’agenda de mon administration, et ce depuis 2011 avec les Conventions GISER SPW-UCL-ULg, qui ont abouti en 2017 à la création de la cellule GISER au sein de l’administration SPW-ARNE. Les travaux d’étude de ces spécialistes sol-érosion-ruissellement ont notamment produit les cartes des axes de concentration du ruissellement, la carte de sensibilité à l’érosion par parcelle agricole, et la cellule gère aujourd'hui la carte numérique des sols de Wallonie. Les agents affectés à la Cellule GISER accompagnent les communes dans leur travail de concertation avec les agriculteurs, en vue de limiter la production de ruissellement et d’érosion. A ce jour, la Cellule a travaillé sur plus de 1000 bassins versants ruraux en Wallonie (160 communes). Des documents techniques sont produits périodiquement et la presse agricole spécialisée se fait également l’écho des recommandations de GISER.

    2) L’action sur les surfaces agricoles plus vaste que le paramètre « perméabilité » :

    L’érosion, due au ruissellement et donc à la diminution des capacités d’infiltration des sols agricoles, est un problème hélas récurrent depuis plus de 30 ans. Le contexte agricole actuel amène à une accentuation de ces problèmes. En voici les causes, même si celles-ci doivent être exprimées et quantifiées avec nuance :

    1. La diminution de l’élevage de ruminants et donc de prairies ;
    2. La perte de matière organique dans les sols ;
    3. L’augmentation des surfaces de légumes de plein champ.

    Il serait erroné toutefois de croire que l’augmentation de la perméabilité des surfaces agricoles puisse être une piste majeure de la prévention des inondations.
    En effet, la perméabilité d’un sol limoneux est de l’ordre de 10exp(-6) m/s, soit 3,6 mm/h. (Les spécialistes nous permettront cette simplification, ceci est un ordre de grandeur, bien d’autres facteurs interviennent comme la texture, l’aspect de surface, la teneur en eau du sol, la matière organique, etc.) Or les pluies mesurées localement lors des orages de juin et des pluies de juillet 2021 dépassent largement cette valeur. Et lorsque le sol et le sous-sol sont saturés en eau, la vitesse d’infiltration diminue encore nettement. Le cumul des pluies des 14-15-16 juillet 2021 atteint et dépasse les 200 mm/3j dans les communes de l’est de la Province de Liège (291 mm à Jahay, 260 mm à Stavelot) ; une telle quantité n’était plus “absorbable” par pénétration dans un sol devenu imperméable, car saturé.

    En revanche, l’action sur les terres agricoles doit porter en priorité sur leur résistance à l’érosion lorsque du ruissellement violent apparaît. Les pratiques qui favorisent une meilleure résistance des surfaces cultivées sont principalement : la limitation des longueurs de pente dans une même culture, la diversité des cultures dans un même versant, la présence d’un couvert végétal sur la plus grande partie de l’année, l’interdiction de certaines cultures sur les parcelles les plus sensibles à l’érosion (BCAE (Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales) 6), le travail raisonné du sol et le maintien d’un taux de matière organique suffisant (en accord avec le PGDA - Programme de Gestion Durable de l'Azote en agriculture). En complément avec ces pratiques, des éléments de paysage peuvent être très utiles pour leur effet de ralentissement hydraulique lorsqu’ils sont positionnés judicieusement, comme des bandes enherbées, des haies denses, des bandes boisées.

    3) Les associations d’encadrement agricole :

    Pour accompagner les agriculteurs dans leurs choix de pratiques et d’éléments de paysage, la Wallonie finance depuis de nombreuses années un système d’encadrement agricole, sous forme d’ASBL qui complète le travail des agents de terrain de l’administration (SPW ARNE – Direction de la Vulgarisation, Direction de l’aménagement foncier rural, Direction du Développement rural…).
    Les ASBL Greenotec, Natagriwal et Protecteau reçoivent un soutien financier de la Wallonie. Ces associations encadrent et apportent un conseil aux agriculteurs afin de les aider à mettre en place des pratiques culturales favorisant l’infiltration des eaux de ruissellement dans les sols.

    Plus particulièrement, Natagriwal soutient les agriculteurs dans leurs démarches pour mettre en place les programmes agro-environnementaux liés à la PAC (2014-2020).

    La principale mission de Greenotec est d’apporter aux agriculteurs des conseils pour passer de techniques culturales conventionnelles vers des techniques de conservation des sols (TCS). Ces TCS impliquent essentiellement le non-labour, de laisser les débris végétaux chaumes et pailles dans les champs, une bonne rotation des cultures … tout cela limite l’érosion des sols et permet une meilleure infiltration des eaux dans le sol.

    Protecteau fournit des conseils dans le cadre de la conditionnalité liée à la PAC impliquant les agriculteurs à respecter des bonnes pratiques agricoles et environnementales (ici notamment dans la gestion durable de l’azote). Cette ASBL fournit également des conseils sur le choix des cultures intermédiaires (couverture minimale des sols).

    4) Vers l’établissement d’un nouveau cadre grâce à la PAC (post-2020) :

    Les propositions en discussion actuellement pour la prochaine PAC (2023-2027), intègrent ces problématiques. Elles devront permettre une meilleure protection des sols et encadrent ou interdisent certaines pratiques culturales sur des terres agricoles à fort risque érosif. À savoir :
    BCAE 1 – Maintien des prairies permanentes ;
    BCAE 4 – Bandes tampons le long des cours d’eau ;
    BCAE 6 – Gestion du travail du sol ou autres techniques de cultures appropriées pour limiter la réduction du risque de dégradation des sols notamment en tenant compte de la pente ;
    BCAE 7 – Couverture minimale du sol aux périodes et dans les zones les plus sensibles ;
    BCAE 9 – Part minimale (5 % de SAU) de la superficie agricole consacrée aux éléments ou zones non productifs – conservation des éléments du paysage ;
    MAEC dont la MAEC sol ;
    Investissements non productifs sur terres agricoles (subsides pour fascines, talus, fossé, noue, bassin de rétention, et cetera) ;
    Ecorégimes « Couverture des sols » (qui favorise la mise en place d’intercultures longues, les rotations diversifiées et les prairies) et « Cultures favorables à l’environnement ».

    5) Via l’outil Décide, le CRA-W va encourager les agriculteurs à équilibrer leur bilan humique (stocker du carbone dans le sol), carbone qui joue un rôle de « colle » entre les particules de sol et améliore la capacité d’infiltration du sol.

    Il faut également préciser que les inondations qui ont eu lieu dans l'est de la Belgique se trouvent dans des régions de prairies avec peu de cultures. À ce niveau, l'agriculture semble directement peu responsable des inondations.
    Dans les régions de cultures, depuis plusieurs années, des éléments de solutions existent déjà et sont proposés par des acteurs de recherche et/ou de vulgarisation soutenus par la Wallonie : diguettes d’inter-buttes en pomme de terre, microdépression en maïs, sous-semis en maïs et en colza, travail minimum du sol, semis direct…sans être exhaustif.
    Nous pouvons tirer plusieurs conclusions de ces inondations.
    La première qu’effectivement, le potentiel d’absorption des terres agricoles est hélas dépassé lors de ce type d’événement. Il faut encourager les agriculteurs à réaliser des bilans humiques, ce qui sera le cas via la MAEC sol proposée pour la prochaine PAC, limiter la taille des parcelles (surtout des parcelles pentues) et inciter fortement les mesures antiérosives dans les zones les plus problématiques tout en accompagnant les agriculteurs dans la mise en place de ces pratiques.
    La deuxième conclusion, c’est que les cartes des axes de concentration du ruissellement reflètent bien ce qui se passe en réalité (comparaisons effectuées par des agents SPW sur site le 14 et le 15 juillet). Les cartes existantes donnent donc un outil robuste pour anticiper les zones problématiques à l’avenir.

    Sur la base de ce constat, il faudra en effet que les terrains agricoles particulièrement exposés fassent l’objet d’une attention spécifique, et, le cas échéant, en fonction de l’analyse, que les pratiques soient adaptées à la contrainte de ruissellement. Cette adaptation pourrait passer par le choix de privilégier à certains endroits la prairie ou des cultures spécifiques, mais aussi par la plantation de haies denses, la création de chenaux enherbés et de bandes enherbées, etc. C’est une réflexion à mener au cas par cas par l’agriculteur et dans laquelle mon administration sera attentive à donner des éléments d’aide à la décision (sur la base de la carte des axes de concentration du ruissellement et de la carte de sensibilité à l’érosion par exemple).

    Un autre point d’attention sera de préserver au maximum les zones de rétention naturelles existantes, comme les cuvettes, les zones humides, etc. C’est déjà le cas actuellement, notamment via l’obligation du CoDT de consulter la Cellule GISER en cas de projet de remblais sur ce type de zone.

    En termes d’accompagnement, le système d’encadrement agricole existant sera mis à contribution, car cette matière fait partie de sa spécialité (Natagriwal, Protect’Eau, Greenotec, …).

    Des surfaces agricoles importantes peuvent être réorganisées en profondeur via l’aménagement foncier. L’aménagement foncier permet de définir un projet d’aménagement concerté avec tous les acteurs du territoire. Il combine travaux hydrauliques (zones d’immersion temporaire, bassins d’orage, fossés tampons…), travaux de plantation, travaux de voirie et réorganisation du parcellaire agricole.
    Dans le cas présent, intégré dans une stratégie globale de reconstruction des zones sinistrées, l’aménagement foncier peut être utilisé dans une logique de réduction des flux en amont des zones sinistrées afin d’y amélioration la résilience. Un aménagement foncier peut être décidé d’office par le Gouvernement wallon ou sollicité auprès de celui-ci par une commune ou 10 propriétaires et/ou exploitants agricoles.
    Les communes peuvent également solliciter une subvention régionale pour la mise en place de dispositifs destinés à la protection contre l'érosion des terres agricoles et à la lutte contre les inondations et coulées boueuses dues au ruissellement. Cette subvention régionale permet de financer la mise en place des infrastructures sur terrains publics à hauteur de 60 à 80 %.

    Les services de la DAFOR (Direction de l’Aménagement foncier rural) sont à disposition des communes et des acteurs ruraux pour initier les études de faisabilité de nouveaux projets.