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L'impact de l'entrée en vigueur du nouveau droit des biens sur les dispositions des articles 2, 8°, 27 et 28 du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 51 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 01/10/2021
    • de SCHYNS Marie-Martine
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Ce 1er septembre est entré en application le nouveau Code du droit des biens. Dans l'article 3.2. il est précisé que «  les dispositions du présent livre ne préjudicient pas aux dispositions spéciales régissant des biens particuliers telles que les droits de propriété intellectuelle ou les biens culturels. »
     
    Dans sa réponse à la question N° 55-2-000559 de Mme la Députée V. Matz (21.5.2021) le Ministre de la Justice répond (point 2 b) « le commentaire de l'article 3.2. du projet de nouveau livre III du Code civil indique que « cette disposition est une application du principe selon lequel prévaut une règle particulière qui déroge à la règle générale (…) Certaines des compétences concernant ces biens (les biens culturels ou d'autres bien spécifiques) ont été régionalisées ou communautarisées. Par conséquent des décrets contiennent également de plus en plus de dispositions susceptibles d'affecter le droit des biens. C'est le cas, par exemple, des biens du domaine public, de l'universalité de fait, des actifs financiers, etc. ( CR, Doc. 55-173/001, p. 13 ). Le nouvel article 3.2 du Code civil concerne donc également les dispositions particulières régissant les biens du domaine public, adoptées dans la limite des compétences octroyées à chacune des autorités publiques ».
     
    Peut-on en déduire que, en application de l'article 3.2. du nouveau Code civil, les articles 2, 8°, 27 et 28 du décret wallon du 6 février 2014 relatif à la voirie communale constituent ainsi « une règle particulière qui déroge à la règle générale » du Code civil (qui est le droit supplétif) et des « dispositions affectant le droit des biens » en ce sens qu'elles font entrer dans la voirie communale (qui est un élément du domaine public), à titre de servitudes publiques de passage, des biens préalablement privés dès qu'ils répondent aux conditions fixées par les articles 2, 8°, 27 et 28 du décret wallon du 6 février 2014 ?
     
    Peut-on en déduire aussi que les dispositions de l'article 3.67, § 3, et les dispositions de l'article 3.18 du nouveau Code civil ne sont applicables qu'à celui qui revendique une servitude civile de passage à son profit (compétence fédérale), mais pas à ceux qui revendiquent des servitudes publiques de passage régies par les dispositions des articles 2, 8°, 27 et 28 du décret du 6 février 2014  (compétence régionalisée) ?
     
    L'article 3.26 du nouveau Code civil prévoit que la prescription acquisitive est constatée « par décision de justice ». Il vise cependant en principe les prescriptions acquisitives relatives notamment aux servitudes civiles de passage.
     
    Par ailleurs, les articles 27 et 28 du décret wallon du 6 février 2014 relatif à la voirie communale déterminent qu'une voirie communale peut être créée par prescription acquisitive en respectant les conditions de l'article 2, 8° du même décret, mais sans que soit requise une décision judiciaire puisque la servitude publique de passage se crée par le simple écoulement du temps respectant les conditions de l'article 2, 8° du décret.
     
    Monsieur le Ministre peut-il confirmer que les servitudes publiques de passage (composantes du domaine public) continuent de pouvoir s'acquérir exclusivement, conformément à la volonté du législateur wallon, par le simple écoulement du temps dans le respect des articles 2, 8°, 27 et 28 du décret du février 2014 relatif à la voirie communale et sans que la décision judiciaire visée à l'article 3.26 du nouveau Code civil ne soit requise ?
  • Réponse du 18/10/2021
    • de BORSUS Willy
    Comme l’a effectivement précisé le Ministre de la Justice dans sa réponse à la question N° 55-2-000559 de Mme la Députée V. Matz (21.5.2021), l’article 3.2 du nouveau Livre 3 du Code civil relatif aux « Biens », souligne que des dispositions spéciales, propres à des biens particuliers, peuvent déroger aux règles générales que contient le livre en question.

    Est ainsi posé le principe de subsidiarité des dispositions générales contenues dans ce nouveau livre, selon lequel celles-ci s’appliqueront tant que des dispositions particulières différentes ne seront pas prévues dans des législations spéciales concernant des biens déterminés.

    « Le régime juridique de la voirie terrestre et des voies hydrauliques, quel qu'en soit le gestionnaire […] » constituant une compétence régionalisée par l’article 6, X, 2bis, de la loi spéciale de réforme institutionnelle du 8 août 1980, tel qu’inséré par la loi spéciale du 16 juillet 1993, visant à achever la structure fédérale de l'État, compétence mise en œuvre par la promulgation du décret du 6 février 2014, en ce qui concerne la voirie communale, peut contenir des dispositions spéciales qui « dérogent » à la règle générale, pour reprendre les termes utilisés par le Ministre fédéral de la Justice, Monsieur Vincent Van Quickenborne.

    Les articles 27 et 28 du décret précité constituent effectivement des règles particulières dérogeant à la règle générale du Code civil fixée par l’article 2.67, § 3.

    Cette dérogation réside, d’une part, dans le fait qu’ils permettent la création d’une servitude ou droit public de passage sur un bien privé, lorsqu’il ne s’agit pas d’une simple tolérance de son propriétaire, là où l’article 2.67, § 3, du Code civil prévoit que la possibilité de se rendre sur ce terrain « non bâti et non cultivé » non clôturé constitue une tolérance dudit propriétaire, ne permettant pas de fonder la prescription acquisitive d’un quelconque droit réel.

    D’autre part, l’article 28 permet également à la commune, lorsque cet immeuble privé est effectivement utilisé à titre de passage public, que la servitude publique de passage soit constituée ou en cours de constitution, d’acquérir la pleine propriété de l’assiette de la voirie ainsi créée ou en cours de création, par la pose d’actes d’appropriation.

    Enfin, il peut être noté que ces articles constituent également des dispositions dérogatoires au nouveau livre du Code civil en ce qui concerne les délais de prescription des servitudes et droit de propriété, mais également en ce qui concerne le principe de la prescription extinctive de ceux-ci par non-usage (article 3.126).

    En ce qui concerne le délai de prescription acquisitive de la servitude de passage, et donc de la création d’une voirie communale, en ce qui concerne le délai d’acquisition de la propriété de l’assiette de cette voirie, celui-ci est maintenu à 30 ans (10 ans en présence d’un plan d’alignement), là où l’article 3.27 du Code civil prévoit un délai de 10 ans (30 ans en l’absence de bonne foi, laquelle est cependant présumée).

    La création d’une voirie communale par le biais d’une servitude publique de passage demeure donc toujours possible en application des articles 27 à 31 du décret relatif à la voirie communale, la création de cette voirie impliquant un passage du public remplissant les conditions visées à l’article 2, 8° dudit décret.

    Comme le confirment les travaux parlementaires du décret précité et la jurisprudence du Conseil d’État, le droit de passage du public est acquis et la voirie communale est effectivement créée, dès que le délai de prescription acquisitive est écoulé.

    L’acte de constat dressé par le conseil communal, visé à l’article 29, est nécessaire pour éviter la création occulte de voiries communales et permettre aux propriétaires concernés d’émettre d’éventuelles contestations concernant la réalité du droit de passage public créé, d’en contester les preuves étudiées par le conseil communal et d’obtenir des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire, seuls compétents, qu’il soit statué sur l’existence de la servitude publique de passage en question.

    La servitude publique de passage et, partant, la voirie communale n’existe donc, après un usage trentenaire, que sous la condition qu’un juge saisi d’une contestation relative à ce droit de passage ne fasse pas droit à celle-ci, comme cela ressort notamment des enseignements d’un arrêt récent du Conseil d’État (C.E., 1/04/2021, n°250.290, WILMS).

    La création d’une voirie par l’usage du public ne nécessite donc pas d’être constatée par décision de justice, par un accord avec le propriétaire du bien concerné ou par une déclaration unilatérale de celui-ci, comme le prévoit l’article 3.26 du livre 3 du Code civil.

    Une décision de justice sera uniquement nécessaire pour fixer les droits respectifs du propriétaire et du public, lorsque l’existence de cette voirie est contestée devant les cours et tribunaux.

    En revanche, en ce qui concerne l’acquisition de la propriété de l’assiette de la voirie par prescription, en application de l’article 28 du décret, laquelle fait entrer le terrain concerné dans le domaine public communal, l’article 3.26 précité est bien applicable.

    La nécessité de disposer de l’accord du précédent propriétaire de l’assiette de la voirie en question, ou, à défaut d’un tel accord, d’un jugement constatant l’effet de la prescription acquisitive, existait déjà avant l’entrée en vigueur du nouveau livre 3 du Code civil, compte tenu de la nécessité de disposer d’un titre pour procéder à la transcription d’une mutation immobilière dans les registres de l’administration générale de la documentation patrimoniale.