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Les méthodes de calcul des agrégats liés aux règles budgétaires européennes

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 25 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 06/10/2021
    • de HAZEE Stéphane
    • à CRUCKE Jean-Luc, Ministre du Budget et des Finances, des Aéroports et des Infrastructures sportives
    Le débat autour de la révision des règles du pacte de stabilité et de croissance, dans le contexte de la lutte contre la pandémie et de la nécessaire relance, est aujourd'hui ouvert. De nombreuses voix s'élèvent pour prôner une modification structurelle de ces règles afin de les mettre au service des besoins de nos sociétés et de la planète.
     
    Un aspect méconnu du cadre budgétaire européen actuel, et trop rarement discuté est celui des modèles budgétaires et calculs mathématiques et statistiques sous-tendant l'application des règles budgétaires. Ces modèles et méthodes de calcul se basent en fait sur une série d'hypothèses et d'estimations qui reflètent des visions économiques et ne sont dès lors pas neutres. Elles devraient donc être davantage explicitées et débattues. C'est un aspect crucial des règles budgétaires qui, même si a priori très technique, ne doit pas être exclu du débat démocratique. 
     
    Parmi les modèles utilisés pour l'application des règles budgétaires européennes, il s'agit spécifiquement de pointer l'estimation du solde budgétaire structurel. Cet agrégat macroéconomique vise à évaluer la responsabilité directe des Gouvernements dans les situations budgétaires nationales, en faisant abstraction de la conjoncture économique. Il est central dans la définition de la trajectoire budgétaire à moyen terme définie par la Commission européenne et transmise aux États membres. Or l'estimation de ce solde structurel dépend de modèles économiques basés eux-mêmes sur des hypothèses engagées. C'est le cas en particulier du modèle dit de l'output gap (utilisé pour évaluer la composante structurelle du solde structurel).
     
    Si ces estimations et modélisations se font essentiellement au niveau national, l'application des règles budgétaires européennes qui en découle affecte nécessairement aussi la politique budgétaire wallonne et il est également pertinent et nécessaire de s'y intéresser à notre niveau. C'est tout simplement notre marge d'action politique et notre capacité d'investissement qui est en jeu.
     
    Dans cette perspective, je souhaiterais interroger Monsieur le Ministre sur différents points.
     
    A-t-il connaissance de cette problématique et des enjeux liés à l'utilisation de ces modèles économiques pour nos finances publiques ?
     
    Quelle est son analyse juridique sur cette question ?
     
    Estime-t-il que la Belgique est juridiquement contrainte d'utiliser les mêmes modèles d'estimation que la Commission ou y a-t-il une marge de manœuvre juridique pour tester d'autres modèles d'estimation, si leur fiabilité se révèle supérieure à celui de la Commission ?
     
    Dans quelle mesure le risque d'erreurs lié aux modèles actuels est-il pris en compte par lui et ses homologues du Gouvernement fédéral et des entités fédérées lors de l'élaboration de la trajectoire budgétaire, spécialement en période de crise lorsque ce risque est maximal ?
     
    Quels liens entretient-il avec le Bureau fédéral du Plan au sujet des estimations macro-économiques qu'il produit pour les niveaux national et régional ?
     
    A-t-il, et ses homologues des autres entités fédérées et fédérale, un regard sur le choix des modèles utilisés par le Bureau fédéral du Plan ?
     
    Ceux-ci lui sont-ils présentés, expliqués et justifiés à intervalles réguliers ?
    Le cas échéant, pourrait-il nous fournir ces explications et justifications ?
  • Réponse du 26/10/2021
    • de CRUCKE Jean-Luc
    Les règles budgétaires européennes de la zone euro sont traduites en droit belge par l’Accord de coopération entre l’État fédéral, les Communautés, les Régions et les Commissions communautaires relatif à la mise en œuvre de l’article 3, §1er, du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire du 13 décembre 20213.

    Au niveau européen, seule la Belgique dans son ensemble doit répondre aux différentes exigences européennes. Cependant, l’accord de coopération du 13 décembre 2013 prévoit la répartition de l’objectif budgétaire national, tel que défini dans le Pacte de stabilité, entre les différentes entités : « Dans le cadre de la mise à jour du Programme de stabilité, les objectifs budgétaires annuels de l'ensemble des pouvoirs publics définis en termes structurels conformément aux méthodes de la Commission de l'Union européenne sont répartis en termes nominaux et structurels entre les différents niveaux de pouvoir de l'ensemble des pouvoirs publics, en s'appuyant sur un avis de la Section Besoins de financement des pouvoirs publics du Conseil supérieur des Finances. ». L’accord prévoit également que l’objectif budgétaire global ainsi que les objectifs budgétaires individuels (en termes nominaux et structurels) doivent faire l’objet d’une décision du Comité de concertation.

    La Section Besoin de financement du CSF est chargé de deux missions. La première est normative et se traduit par des recommandations relatives à la trajectoire budgétaire (ex ante) et la deuxième est une mission d’évaluation (ex post) du respect des objectifs budgétaires tels que précisés dans la décision du Comité de concertation.

    Pour réaliser ses missions et donc déterminer le solde structurel de la Belgique et de ses entités, la Section utilise la méthodologie communément admise par la Commission européenne à savoir l’estimation du solde cycliquement corrigé (issu de l’Economic Paper 536 « Adjusting the budget balance for business cycle : the EU methodology » édité par la Commission européenne) qu’elle ajuste ensuite en fonction des opérations non récurrentes dites « one-shot ou one-off ».

    Alors que la Commission européenne, lors de son évaluation du solde structurel de la Belgique, utilisera les travaux du groupe de travail sur l’output-gap (faisant partie du Comité de Politique économique européen) pour évaluer la composante cyclique du solde, la Section se base sur les estimations et projections du Bureau fédéral du Plan (BfP) faisant partie d’un scénario macroéconomique global. Le BfP a réalisé en novembre 2020 une comparaison des output-gap issus du groupe de travail européen et de ses propres projections et il apparait que, sur la période 2010-2021, la différence maximale observée entre les deux sources d’estimations ne soit que de 0,2 point de pourcentage (Lutgen V., septembre 2020, « Estimation de la croissance potentielle et de l’output gap pour la Belgique – Rapport au Conseil central de l’Économie », Bureau fédéral du Plan.). Sachant qu’un écart par rapport à la trajectoire de moyen terme est considéré comme important par la Commission lorsqu’il est supérieur à 0,5 % du PIB, cette marge entre l’output-gap issu du groupe de travail européen et celui issu du BfP semble donc acceptable.

    En ce qui concerne le modèle macroéconomique du BfP et ses prévisions à court terme, soit les budgets économiques de février et de septembre, ceux-ci sont toujours précédés d’un Comité scientifique rassemblant, outre les membres du BfP, des représentants de divers organismes comme l’ONSS et l’ONEM, de la Banque Nationale, de l’État fédéral ainsi que des Communautés et Régions. Les réunions du Comité scientifique sont l’occasion de questionner le modèle macroéconomique et de soumettre des adaptations si nécessaires. Ces réunions font ensuite l’objet d’un PV transmis à chacun des membres et une fois celui-ci approuvé, la publication du budget économique peut avoir lieu. De plus, tous les trois ans et comme le prévoit la loi du 28 février 2014, ces prévisions de court terme ainsi que les perspectives de moyen terme sont évaluées à la lumière des réalisations et le modèle adapté en conséquence (la dernière évaluation est disponible sur le site du BfP. Dobbelaere L. et Lebrun I., 11 novembre 2020, « Evaluation de la précision des prévisions à court terme et des perspectives à moyen terme du BFP – une mise à jour des Working Papers 12-17 et 13-17 », Bureau fédéral du Plan.).

    Dans le contexte actuel de pandémie, les incertitudes quant au cadre macroéconomique sont naturellement plus grandes c’est pourquoi la clause dérogatoire générale prévue par le Pacte de stabilité et de croissance a été déclenchée en mars 2020. En effet, la pandémie de COVID-19 a été considérée comme « crise majeure » comme prévu dans le Pacte de stabilité. À ce titre, les États membres (EM) se sont vu octroyer une flexibilité budgétaire plus grande, à savoir l’autorisation de s’écarter temporairement de la trajectoire de moyen terme à condition que la viabilité des finances publiques ne soit pas compromise. L’activation de cette clause permet aux EM de mener une politique budgétaire prônant la mise en œuvre de toutes les mesures temporaires nécessaires à l’endiguement de la crise sanitaire et de réagir aux conséquences socio-économiques qui en découlent, tout en restant dans le cadre européen.