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La régulation des géants du web (GAFAM)

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 78 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 15/10/2021
    • de HARDY Maxime
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    La récente panne de Facebook et de ses filiales a une nouvelle fois mis en évidence la position monopolistique des GAFAM et donc l'extrême dépendance de certains secteurs économiques à ceux-ci.

    La même semaine, une ancienne cadre de Facebook, Frances Haugen a révélé des milliers de documents qui mettent en évidence des mensonges et des tromperies de Facebook, du tort qu'il cause aux adolescents et de son impact dévastateur sur la démocratie.

    En séance plénière, consécutivement à ces événements, Monsieur le Ministre évoquait la problématique que cela pose en matière d'autonomie stratégique de l'Europe et la nécessité de réguler ces acteurs. À ce sujet, des outils législatifs, le Digital Service Act et le Digital Market Act notamment, sont en cours d'élaboration au niveau européen.

    Peut-il faire le point sur l'état d'avancement des discussions à leur sujet ?

    Est-ce que les événements récents sont de nature à renforcer les dispositions contenues dans ces textes ?

    Quand pouvons-nous espérer une entrée en vigueur de ces textes ?

    Le 29 septembre dernier, la première réunion du Trade and Technology Council (TTC) s'est tenue à Pittsburgh, aux États-Unis.

    Ce TTC a pour objectif de renforcer la collaboration entre l'Europe et les USA sur une série de sujets dont la régulation des acteurs de la technologie. Selon lui, que pouvons-nous attendre de ce TTC en matière de régulation ? Quelle est sa vision de la problématique ?
  • Réponse du 29/10/2021
    • de BORSUS Willy
    Les deux dossiers réglementaires que l’honorable membre évoque dans sa question sont effectivement de grande importance tant pour leur aspect « numérique » qu’« économique ». Je le remercie de l’intérêt qu’il leur porte.

    En effet, le Digital Services Act (ou DSA) a vocation à régir les services numériques qui ont un rôle d’intermédiaires dans la mise en relation du consommateur avec les biens, les services et les contenus. Il cible donc principalement la protection des utilisateurs de ces plateformes (majoritairement les citoyens). Concrètement, le DSA vise à s’attaquer à certains des principaux problèmes associés aux grandes plateformes : la diffusion de discours haineux et de produits illégaux et dangereux, et la domination des plateformes « gatekeeper » (contrôleurs d’accès) sur certains marchés. Tout repose sur l’équilibre à trouver entre l’accroissement de leur surveillance et le bon développement du marché intérieur.

    Concernant les plateformes en particulier - et les GAFAM pour ne pas les citer - cette législation vise à une plus grande clarté de leurs obligations, une meilleure sécurité juridique et la mise en place d’obligations asymétriques spécifiques (prévention des utilisations abusives, plus grande transparence…). L’Union européenne souhaite soutenir l’expansion des petites plateformes par une exemption de certaines de ces obligations.

    Le Digital Market Act (ou DMA) a lui pour objectif principal la réglementation des plateformes en ligne, notamment celles de plus grande taille, pour éviter qu’elles puissent contrôler l’accès aux marchés numériques. La réglementation de leur comportement vise à parvenir à un marché plus équitable pour tous, des opérateurs du marché aux consommateurs. Concrètement, il leur serait interdit de mettre en place un traitement préférentiel vis-à-vis de leurs propres produits, d’empêcher les utilisateurs de désinstaller des applications ou des logiciels préinstallés ou encore de limiter la possibilité pour les consommateurs de contracter hors des plateformes.

    Pour répondre à sa première question, cette législation « services numériques » est la priorité de la Présidence slovène (tout comme elle l’était lors de la Présidence portugaise avant elle) qui entend bien être en mesure de présenter une orientation générale au Conseil de novembre 2021 sur les deux textes de ce paquet. Des réunions présentielles sur les deux Règlements (DSA et DMA) ont lieu chaque semaine - parfois deux fois par semaine - au sein du groupe de travail Marché intérieur sur la proposition de Règlement sur les services numériques (DSA). Quant à la proposition de Règlement sur les marchés numériques (DMA), l’examen est poursuivi en groupe de travail Concurrence. La révision chapitre par chapitre se termine pour le DSA et la Wallonie participe à l’élaboration de la position belge par le biais des experts en charge de la matière à l’Agence du Numérique.

    L’agenda européen et les procédures étant ce qu’elles sont, les textes ne devraient être validés que lors de la prochaine présidence assurée par la France, entre janvier et juin 2022.

    Les récents évènements ne devraient pas avoir d’impact particulier sur ces textes étant donné le nombre très important d’experts contribuant à leur rédaction et le fait que de tels cas de figure ne sont pas neufs et sont même à la base de cette démarche de légifération. Ils sont plutôt de nature à prouver que la future réglementation européenne est sur la bonne voie, qu’elle était nécessaire, et que les plateformes (grandes ou petites) vont devoir revoir leur mode de fonctionnement.

    Concernant ses interrogations sur le Conseil américano-européen du commerce et des technologies, l’UE et les États-Unis ont convenu d’objectifs concrets et défini leur champ d’action futur. Ils se sont engagés à travailler en étroite collaboration sur des priorités communes telles que le contrôle des exportations, le filtrage des investissements étrangers, des normes pour les technologies émergentes et critiques, notamment l’intelligence artificielle, ainsi que la sécurité des chaînes d’approvisionnement, notamment dans le domaine des semi-conducteurs (qui comme l’honorable membre le sait est particulièrement affecté ces derniers temps au point de créer des pénuries dans plusieurs secteurs d’activité).

    Un des groupes de travail mis en place par ce Conseil a trait à la gouvernance des données et aux plateformes technologiques et a en charge d’échanger sur les approches respectives de « data governance » et de plateformes technologiques. L’objectif est d’échanger les points de vue sur la réglementation actuelle et future des deux parties, afin d’arriver à des collaborations sans pour autant affecter l’autonomie de l’Union européenne et des États-Unis. Des thématiques de collaboration ont été identifiées : les contenus illégaux et dangereux, et leur amplification via des algorithmes, la transparence et l’accès aux données des plateformes pour la recherche ainsi que responsabilité démocratique des intermédiaires numériques. Autrement dit, il est évident que les mesures réglementaires prises par l’Europe indisposent les grands acteurs du secteur, qui comme il l’a souligné sont principalement américains. Mais la protection des citoyens et l’éthique ne sont pas l’apanage de l’Europe et les États-Unis pourraient vouloir s’inspirer de bonnes pratiques afin de protéger leurs propres consommateurs.

    Le fait que cette collaboration ait été mise en place est une bonne chose, et il me semble important de l’encourager autant que possible, car nous avons tout à y gagner. Mais il ne faut à mon sens pas attendre de trop grands développements sur le volet juridique, car tant l’Europe que les États-Unis tiennent - à juste titre - à leur autonomie. Et quand bien même les discussions devaient aboutir à quelque chose de concret, la mise en œuvre prendrait du temps.

    Mon opinion est donc d’accueillir cette initiative positivement voire avec enthousiasme, mais de rester vigilant quant aux implications pour nos citoyens et nos entreprises afin de veiller au respect de leurs droits et de permettre aux entreprises l’accès à un marché concurrentiel.