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Le rapport du Centre commun de recherche JRC et la politique "Farm to fork"

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 96 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 19/10/2021
    • de CASSART-MAILLEUX Caroline
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    La transposition agricole du « Green Deal », adopté par l'UE en décembre 2019, s'opère via deux programmes distincts, à savoir la stratégie Biodiversité et la stratégie « Farm to fork ».

    Alors que ces programmes sont actuellement en cours de traduction en actes législatifs, une information interpellante a été rapportée par certains médias. En effet, selon plusieurs sources, la Commission européenne n'aurait pas directement mis à disposition des eurodéputés les conclusions inquiétantes du rapport JRC. Celui-ci prévoirait une baisse significative de la production agricole européenne, mettant à mal notre souveraineté alimentaire.

    Ce rapport peut-il avoir une influence sur les négociations en cours pour la PAC ?

    Monsieur le Ministre est-il inquiet par rapport à une éventuelle baisse significative de notre souveraineté alimentaire et production agricole ?

    Va-t-il prendre contact avec ses homologues belges afin de discuter de ce point lors d'un prochain conseil Agri ?
  • Réponse du 28/10/2021
    • de BORSUS Willy
    Il s’agit bien entendu d’un dossier sensible qui retient toute mon attention. Il faut préalablement rappeler en quelques mots ce que prévoit le contenu de ces 2 stratégies : moins 50 % de produits phytosanitaires d’ici 2030, moins 20 % d’engrais d’ici 2030, 25 % des surfaces en Bio dans l’ensemble de l’UE et la révision d’un ensemble de législations.

    Pour rappel en novembre 2020, l’administration américaine (USDA) avait déjà publié une étude d’impact des stratégies européennes « F2F » et « biodiversité » sur l’agriculture européenne. Sans même tenir compte des conséquences de la transition vers 25 % de la production biologique et de la plantation de 3 milliards d’arbres, l’analyse d’incidence américaine constate que les propositions de la Commission réduiraient la production agricole de l’UE de 12 %, augmenteraient les prix de 17 %, réduiraient les exportations de 20 %, augmenteraient les importations de 2 %, diminueraient le revenu agricole brut de 16 % et augmenteraient le coût alimentaire annuel par habitant dans l’UE de 153 dollars.

    Début juin, j’ai pris connaissance des divers articles de presse liés au think tank « Farm Europe » qui indiquait l’existence d’une étude d’impact qui « serait bloquée » depuis plus de 6 mois au Cabinet du VP Timmermans afin de ne pas perturber les négociations du trilogue sur le cadre général de la future PAC. S’en sont suivis, plusieurs contacts entre le Think thank (son Président Yves Madre) et mon Cabinet afin de vérifier les divers éléments publiés dans la presse.

    C’est la raison pour laquelle, j’ai écrit le 7 juillet dernier au Commissaire à l’Agriculture et au Vice-Président de la Commission en charge du Green deal (Franz Timmermans) demandant si la Commission avait effectivement réalisé cette étude d’impact et dans l’affirmative quelles étaient les conclusions tirées par la Commission EU ?

    Je n’ai évidemment pas connaissance si le contenu de mon courrier a eu une certaine portée ; n’ayant d’ailleurs toujours pas reçu de réponse à ce jour. Toutefois, j’ai constaté fin juillet la publication de l’étude d’impact de la Commission réalisée par le JRC (Centre de Recherche de la Commission). D’ailleurs, le moment choisi, à l’aube des vacances des institutions européennes, a suscité un certain étonnement chez certains.

    Comme vous le savez, cette étude indique une diminution potentielle de la production de 5 à 15 % d’ici 2030 et une hausse d’environ 10 % des prix à la production. Cela pose évidemment une série de questions.

    Le 20 septembre, une première réunion technique de débriefing s’est tenue entre la Commission et les experts des États membres. Lors de cette réunion, la Commission a insisté sur le fait que l’étude n’était pas une étude d’impact à proprement parler. Pour elle, il s’agit plutôt d’une analyse de la mise en œuvre poussée/ambitieuse de ce qui est prévu dans les objectifs quantitatifs des 2 stratégies. La Commission a indiqué également les limitations du modèle économétrique utilisé (qui ne peut pas intégrer le changement dans les habitudes alimentaires, la réduction du gaspillage alimentaire, la connexion au haut débit dans les régions rurales, les avantages sur la santé et la biodiversité…)

    Toujours selon la Commission, l’étude tend à montrer que la mise en œuvre de la PAC aura un impact d’autant plus positif sur les émissions de CO2, d’ammoniac et d’azote que les mesures des 2 stratégies sont appliquées. La Commission a aussi expliqué aux experts des États membres que cet impact négatif pourrait être moins important que prévu par le modèle, car il faudrait aussi tenir compte d’une possible adaptation des producteurs en matière de production ainsi que du changement du comportement du consommateur. Finalement selon elle, il faut également noter que le volume d’exportations de l’UE devrait diminuer, mais l’UE devrait rester toutefois le premier exportateur mondial de produits agricoles.

    Concernant les règles de concurrence équitable, les pays tiers et les fuites de carbone vers le reste du monde, la Commission a indiqué qu’il semble que des pays tiers suivent des voies similaires à la nôtre. Les « fuites » devraient donc être plus faibles que ce que prévoit le modèle.

    Il va de soi, qu’en tant que Ministres de l’Agriculture, ces divers éléments m’interpellent.

    Lors du Conseil des Ministres européens de l’Agriculture, plusieurs États membres, dont notamment la Belgique, l’Autriche, le Portugal et l’Espagne, se sont inquiétés des fuites, qui déplaceraient une partie de la production agricole vers des pays tiers moins engagés dans la lutte contre le changement climatique. La France a demandé plus de cohérence entre la politique commerciale et le green deal. Aucune réponse précise n’a été apportée par le Commissaire sur ce point.

    En tant que Ministre de l’Agriculture et face à une perspective de décroissance d'une telle ampleur de nos productions agricoles européennes, je m’interroge sur les fondements européens et sur l’évolution de notre politique agricole commune qui est une politique publique intégrée au niveau européen :

    - Qu’adviendrait-il de notre objectif de souveraineté alimentaire dans le contexte géostratégique actuel alors que l’UE est en train de développer son concept d’« autonomie stratégique ouverte » ?
    - Le secteur agricole est-il donc toujours considéré en tant qu’un secteur économique par les services de la Commission ? J’ai parfois l’impression que certains souhaiteraient que agriculteurs deviennent de « simples jardiniers » rétribués par les moyens de la politique agricole.
    - Finalement, la PAC est un des éléments importants du « Green deal ». Toutefois, je crains que les efforts de nos producteurs et nos agriculteurs dans le cadre de la PAC soient insuffisants si la politique commerciale ne s’inscrit pas de la même manière dans la stratégie du « Green deal ». Comment nos agriculteurs peuvent-ils lutter contre les distorsions de concurrence à l'échelle internationale sans nous assurer du respect du principe de level playing field dans les accords de libre-échange en cours de négociation ? Je suivrai de manière très attentive les travaux de la Présidence française à cet égard qui en fera une priorité.

    Je rappelle bien entendu que les différents questionnements n’enlèvent rien quant à mon soutien déterminé aux ambitions de transition environnementale et de respect de nos engagements climatiques tels que légitimement formulés par la Commission européenne, mais nos agriculteurs ont besoin de transparence et de perspectives à moyen et long terme.