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L'immobilisation de camions wallons en Flandre et le contrôle de la taxe kilométrique

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 34 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 27/10/2021
    • de MATAGNE Julien
    • à CRUCKE Jean-Luc, Ministre du Budget et des Finances, des Aéroports et des Infrastructures sportives
    Il me revient de mes contacts qu'un camion wallon a récemment été bloqué par les contrôleurs de l'administration flamande de la fiscalité et obligé de payer sur place des amendes « wallonnes » remontant à l'année 2016.

    L'administration flamande a constaté dans le système informatique qu'il y avait 9 infractions. Ils ont réduit l'amende à 5 infractions sur base du fait qu'il n'y a qu'une infraction « comptabilisée » par 3 heures.

    Quels sont les accords passés entre les 3 régions en matière de contrôles de la taxe kilométrique ?

    Comment se fait-il que des fonctionnaires flamands bloquent des véhicules belges, sur place, pour le paiement d'amende « taxe kilométrique » émise par une autre région et ce, alors que s'agissant de nationaux, il existe d'autres possibilités de recouvrement d'impayés ?

    S'agissant du recouvrement d'impayés et à supposer qu'il s'agisse du recouvrement d'amendes impayées, au terme des recours administratifs et/ou judiciaires, comment se fait-il que des amendes de l'année 2016 « trainent » encore dans le système informatique des contrôleurs ?
    L'administration wallonne n'est-elle pas en faute d'avoir traîné à gérer ces amendes, de manière plus proactive ? La Région wallonne ne risque-t-elle pas une nouvelle condamnation pour abus d'autorité ?

    Le système informatique des contrôleurs intègre-t-il le fait que les amendes ont pu être contestées ? Dans la négative pourquoi ?

    Quel est l'état du contentieux administratif en matière d'amende relative à la taxe kilométrique ?

    Quel est l'état du contentieux judiciaire en matière d'amende relative à la taxe kilométrique ?

    Le système de contrôle wallon va-t-il être adapté sur le modèle des deux autres régions ? Dans l'affirmative, quand et pourquoi ?

    Les transporteurs wallons sont-ils bien à l'abri de l'immobilisation, sur place, de leurs véhicules en cas de contrôle ? Quelles sont les instructions données aux fonctionnaires wallons en la matière ?

    L'UPTR dénonce le fait que des camions wallons ont été récemment bloqués par des fonctionnaires du SPW Fiscalité pour le paiement, immédiat, sur place, d'amendes « potentielles », pour lesquelles le transport n'a reçu qu'une « demande de renseignements ». À défaut de titre exécutoire découlant de l'établissement d'un avertissement extrait de rôle, sur quelle base juridique opèrent les fonctionnaires du SPW Fiscalité pour opérer de la sorte ? Que pense Monsieur le Ministre de cette situation ? Quelles sont ses instructions ?
  • Réponse du 06/12/2021
    • de CRUCKE Jean-Luc
    L’accord de coopération entre les Régions :

    Le décret wallon du 16 juillet 2015 « instaurant un prélèvement kilométrique à charge des poids lourds pour l’utilisation des routes » (décret PKM) est entré en vigueur le 1er avril 2016.

    Ce décret est fondé sur l’accord de coopération du 31 janvier 2014 entre les trois Régions de note pays relatif à l’introduction du prélèvement kilométrique sur le territoire de celles-ci et à la constitution d'un Partenariat interrégional de droit public appelé « Viapass » ayant la forme d'une institution commune telle que visée à l'article 92 bis, 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

    L’accord de coopération édicte les principes généraux de la taxe, les exonérations et la méthodologie de calcul y liées.

    En matière d’amendes administratives, l’accord prévoit en son article 13 : « une Région peut infliger une amende administrative, si une carence d'enregistrement des kilomètres parcourus est constatée par un système d'observation ou un membre du personnel d'une Région compétent pour ce faire. Dans le cas où une amende administrative est infligée par une Région, la recette de l'amende administrative revient à la Région qui a infligé l'amende. »

    Cet accord n’impose pas de procédure unique quant à l’établissement, la perception ou le recouvrement de ces amendes.

    Exigibilité et recouvrement des amendes :

    En Wallonie :

    Le décret du 16 juillet 2015 (Région wallonne) fait référence, en son article 24, au décret du 6 mai 1999 relatif à l’établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes : « Les amendes administratives découlant des infractions visées à l'article 22 sont, sauf dérogation prévue par le présent décret, perçues et, le cas échéant, enrôlées, et recouvrées, par le fonctionnaire désigné par le Gouvernement, conformément aux articles 17 bis, 18, 18 bis, 21, 29 à 31, 35 à 57 sexies du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes. »

    Ainsi, lorsqu’un transporteur encourt une amende relative à la taxe kilométrique en Wallonie, celle-ci est immédiatement exigible sur base de l’article 17bis, §1er, c) du décret du 6 mai 1999 : « §1er. Aucune somme de taxes ne peut être perçue des redevables, que:

    c. soit en vertu d’une invitation à payer ou d’un décompte fiscal, directement adressé au redevable par le service désigné par le Gouvernement ».

    Cet article fait écho à l’article 11bis §4 du décret du 6 mai 1999, lequel précise en son point c) que les agents contrôleurs ont le droit de se faire acquitter immédiatement entre leurs mains, par le conducteur du véhicule, le montant éludé de la taxe, majoré d’une amende administrative, lors du constat sur la voie publique de l’infraction de non-paiement de la taxe.

    Cette disposition s’applique tout aussi bien en taxe de circulation qu’en prélèvement kilométrique, le décret du 16 juillet 2015 instaurant un prélèvement kilométrique à charge des poids lourds pour l'utilisation des routes faisant expressément référence en son article 23 à cette disposition décrétale.

    La perception des taxes ou amendes impayées lors d’un contrôle routier est un moyen parmi d’autres d’en assurer le recouvrement.

    En outre, la possibilité pour un contrôleur wallon de percevoir immédiatement sans un titre exécutoire préalable n’a pas été jugée illégale.

    Au contraire, la Cour constitutionnelle, dans son arrêt n°106/2020 du 9 juillet 2020 a confirmé, dans un de ses considérants, que la disposition en cause (en l’espèce l’article 11bis §4 du décret du 6 mai 1999) autorise les fonctionnaires compétents de la Région wallonne, par dérogation à la procédure de perception ordinaire, à se faire acquitter immédiatement entre leurs mains le montant éludé de la taxe, majoré d’une amende administrative lors du constat sur la voie publique de l’infraction de non-paiement.

    Il ressort de l’emploi dans cette disposition des termes « immédiatement » et « constat sur la voie publique » que ces fonctionnaires peuvent recourir aux pouvoirs prévus par cette disposition sans disposer d’un rôle rendu exécutoire. Ce faisant, la Cour constitutionnelle a donc validé le processus de contrôle existant notamment en matière de prélèvement kilométrique.

    En cas de contrôle, la Région d’origine de l’amende n’a pas d’influence sur le traitement de celle-ci. L’ensemble des amendes dues en Belgique est réclamé au redevable au moment de son contrôle dans quelque Région celui-ci ait lieu.

    Toutefois, les contrôleurs wallons ont instruction de ne pas bloquer les véhicules belges. Les transporteurs belges sont donc bien à l’abri de l’immobilisation sur place de leurs véhicules en cas de non-paiement des amendes dues.

    L’Administration possède en effet de nombreux moyens visant à la perception des taxes ou amendes impayées. Pour les véhicules immatriculés en Belgique, parmi les autres moyens pour contraindre le redevable à s’acquitter de ses obligations fiscales, citons notamment :
    - la saisie et la vente du ou des véhicules appartenant à l’entreprise de transport ;
    - la saisie-arrêt des revenus dont bénéficie l’entreprise ;
    - la prise d’inscription hypothécaire sur les biens immeubles appartenant à l’entreprise.

    Ces différents moyens sont tout aussi efficaces pour le redevable que la procédure de contrôle.

    Les infractions génératrices d’amendes constatées automatiquement (portiques, appareillage mobile) en Wallonie font l’objet d’une investigation (avec envoi d’une demande de renseignements) avant enrôlement de(s) (l’)amende(s) en cause. Ces investigations sont prévues dans l’article 23 du décret du 16 juillet 2015 : « Pour les investigations et contrôles afférents aux amendes administratives, les fonctionnaires désignés par le Gouvernement disposent des mêmes droits que ceux visés aux articles 11 bis, 12 et 12 bis du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales wallonnes. » Cette procédure implique qu’un certain temps se passe entre le moment de survenance de l’infraction et le moment où le redevable est averti de celle-ci. Cela est imputable au fait qu’une latence de quelques jours existe entre la validation de l’infraction par l’agent du Compliance Center, la création d’une VN (Violation notice – équivalent au PV) et son injection dans le système informatique. L’enrôlement, quant à lui, intervient plus tard encore.

    L’article 27 du décret du 16 juillet 2015 prévoit « L'administration peut recouvrer les montants dus à une autre Région en matière d'amendes administratives concernant le prélèvement kilométrique, détenir ces montants à titre de consignation et transférer ces montants à la Région à laquelle ils reviennent. » Ce ‘recouvrement pour autrui’ est présent dans les législations des trois Régions. La procédure de recouvrement mise en œuvre répond dans ce cas aux prescrits légaux de la Région qui exerce le recouvrement.

    Dans les autres Régions :

    En Flandre et en Région de Bruxelles-Capitale, l’exigibilité de l’amende n’intervient qu’après l’enrôlement de celle-ci.

    Dans ces deux Régions, il y a enrôlement systématique des amendes, sans investigation préalable. Le redevable peut uniquement faire valoir ses droits par l’introduction d’un recours administratif.

    Si la Wallonie n’applique pas la rétention du véhicule lorsque le redevable est belge, privilégiant d’autres voies de recouvrement, il n’est pas impossible que la procédure mise en place dans les autres Régions soit différente.

    Quant à l’ancienneté des amendes réclamées :

    Comme la question ne fournit pas d’information concernant le cas concret évoqué. Il n’est donc pas possible de répondre précisément quant à l’historique des amendes en cause dans un dossier en particulier.

    Partant du principe qu’un certain laps de temps peut s’écouler entre la survenance de l’infraction, sa notification au redevable puis son enrôlement, celui-ci a effectivement pu être réalisé au cours des années 2016 ou 2017.

    Le manque d’information ne nous permet pas de communiquer quant aux diverses démarches de perception et de recouvrement entamées par l’Administration wallonne sur un dossier en particulier.

    Et l’introduction d’une réclamation par le citoyen ouvre dans les applications informatiques de l’Administration, un contentieux qui suspend temporairement les mesures d’exécutions mises en place jusqu’à ce que litige soit définitivement tranché. En attendant, l’administration fiscale peut prendre toute mesure destinée à garantir les droits du Trésor.

    Une fois de plus, force est de constater que l’absence de renseignements concernant le cas évoqué ne permet pas d’appréhender ici la durée de cette éventuelle suspension.

    Toujours est-il que, sur base de l’article 56 du décret du 6 mai 1999, « La prescription du recouvrement de la taxe, des intérêts et des amendes fiscales est acquise à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de:
    – leur date d'échéance telle que celle-ci résulte de l'article 23 du présent décret, pour ce qui concerne les taxes et les amendes fiscales ;
    -… »

    Dans le cas présent, cette prescription interviendrait en 2021 ou 2022. C’est donc à bon droit que le fonctionnaire contrôleur flamand a réclamé les amendes dues.

    Pour terminer, il ne serait de toute manière pas de bonne pratique de communiqué publiquement sur le dossier d’un redevable particulier, même par le biais d’une question parlementaire, dès lors que cela peut contrevenir aux règles de base de la vie privé et de la protection des données

    Quant aux moyens de recours et à l’état des contentieux :

    Au sein du département du contentieux et du support juridique du SPW Finances, la Direction du contentieux administratif connaît des réclamations administratives introduites à l’encontre des amendes en matière de prélèvement kilométrique payées, des amendes ayant fait l’objet d’une VN SUM et des amendes enrôlées (ayant fait l’objet d’un avertissement-extrait de rôle notifié au redevable), dans le respect de l’article 25 du décret du 6 mai 1999.

    Le Compliance center opère quant à lui un traitement préalable qui permet d’amoindrir le contentieux.

    Lorsqu’une réclamation administrative arrive au contentieux, un dossier est ouvert et le recouvrement est suspendu sur les droits querellés. Ces dossiers sont traités par ordre chronologique d’arrivée dans le service. Lorsque le dossier est clôturé et qu’une décision administrative est notifiée au redevable, le receveur en est informé et le recouvrement peut reprendre sur les droits ayant éventuellement fait l’objet d’un maintien.

    De nombreux dossiers ouverts concernent des amendes de type C (500 euros : « On board uni »t présente dans le véhicule non activée ou dont l’utilisation automatisée est rendue impossible par un manquement) et, même lorsque les autres arguments soulevés par le redevable ne sont pas retenus, les premières amendes de l’année civile font systématiquement l’objet d’un dégrèvement partiel conformément à l’art. 22, §3 du décret du 16 juillet 2015, le Contentieux administratif étant tenu de statuer en équité.

    En raison d’un manque de ressources, un retard était accumulé qui tend à se résorber. Bien qu’il subsiste un reliquat de dossiers ouverts en 2020, tenus en suspens pour des raisons diverses, ceux-ci sont sur le point d’être clôturés. Les agents du contentieux administratif traitent actuellement les réclamations introduites en 2021.

    Concernant à présent le contentieux judiciaire, et dès qu’un recours judiciaire est introduit, les droits constatés des amendes sont signalés administrativement en « contentieux », ce qui suspend tous les actes de recouvrement et d’exécution telle notamment l’immobilisation des véhicules (article 53 du décret du 6 mai 1999)

    La grande majorité des procédures judiciaires concerne des infractions antérieures au 01/01/2018 (amendes d’un montant de 1000 €). Dans ces dossiers, suite à l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 10/10/2019 (133/2019) et en application du « principe de la rétroactivité de la loi pénale la plus douce », l’administration fiscale wallonne propose d’initiative aux redevables d’adapter le montant au nouveau tarif prévu à l’article 22 du décret du 16/07/2015 tel que modifié par le décret du 13/12/2017.

    Cela aboutit souvent à des conclusions d’accord, même si certains redevables maintiennent des demandes de dégrèvement total ou de réductions plus conséquentes.