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La juridiction unifiée du brevet

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 115 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 05/11/2021
    • de BIERIN Olivier
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    La 21e réunion du comité préparatoire pour une juridiction unifiée du brevet, la Unified Patent Court (UPC), a eu lieu au Luxembourg le 27 octobre.

    Suite au Brexit, il manque un pays pour déclarer l'entrée en vigueur du traité du Protocole d'Application Provisoire (PPA) du Brevet unitaire. L'absence du Royaume-Uni devrait être contournée via une déclaration adoptée lors de cette réunion du comité. Cette manœuvre est-elle légale, et comment la Belgique et la Wallonie se sont positionnées à ce sujet ?

    L'étude d'impact de la Commission sur ce projet date déjà de 2011, et est basée sur une autre étude de 2009. Monsieur le Ministre a-t-il demandé une mise à jour de cette étude d'impact ?

    Certains analystes du secteur estiment que les frais devant cette cour pour une action en validité seront 100 fois plus élevés qu'en Belgique, 20 000 euros contre 165 euros, et que cela mettra en difficulté nos PME. A-t-il relayé ces préoccupations dans les concertations intrabelges et au niveau européen ?

    Enfin, des acteurs du secteur du numérique craignent que cette cour ne s'immisce dans le domaine de la création de logiciels et d'applications, qui sont pour le moment exemptés de brevet en Europe. A-t-il pris position afin de clarifier cet élément et le cas échéant de s’y opposer fortement ?
  • Réponse du 19/11/2021
    • de BORSUS Willy
    Il s’agit d’un sujet très technique qui est âprement discuté entre les États membres et l’OEB (Office Européen des Brevet) pour la mise en place d’une juridiction unifiée du brevet et les modalités associées, qui est prévue pour le second semestre 2022.

    En Belgique, cette matière est directement traitée par le SPF Économie. Un contact bilatéral a été mené par mes services avec la Direction générale de la Réglementation économique du SPF Économie.

    L’honorable membre trouvera ci-dessous les réponses à ses différentes sous-questions.

    Le comité préparatoire a pour mission de préparer l’entrée en opération de la Juridiction unifiée du brevet. Cette juridiction fait partie d’une réforme globale du système des brevets en Europe adoptée en 2012 et 2013 visant la création du brevet unitaire (UPP - Unitary Patent Protection) - qui a été approuvée par les États membres de l’UE dans le cadre d’une coopération renforcée – et comportant un volet juridictionnel qui prévoit la mise sur pied de la Juridiction unifiée du brevet (UPC - Unified Patent Court). Cette juridiction offrira aux entreprises un système juridictionnel plus simple et plus efficace en Europe pour traiter les litiges relatifs à la validité et aux infractions (contrefaçon) qui concernent tant les brevets européens classiques que les brevets européens avec effet unitaire. La centralisation du contentieux apportera en outre, par la création d’une jurisprudence cohérente et de qualité, une plus grande sécurité juridique pour les utilisateurs du système européen des brevets.

    Le brevet unitaire et la juridiction unifiée du brevet sont des outils qui permettront de dynamiser le marché de l’innovation en Europe. Le « paquet brevet » revêt une importance particulière pour l’innovation et pour l’emploi en ce qu’il permet de donner davantage de solutions à nos entreprises en termes de sécurité juridique, de simplification des formalités administratives, de réduction des coûts de protection et de valorisation de leurs actifs innovants.

    Cette réforme s’inscrit aussi dans le cadre de la mise en œuvre de la feuille de route de la Commission européenne pour moderniser le système de la Propriété intellectuelle afin de favoriser et soutenir le développement économique des PME innovantes en leur permettant une meilleure accessibilité à la protection par la propriété intellectuelle.

    Un projet de déclaration interprétative est effectivement en cours d’élaboration au sein du Comité préparatoire concernant l’article 3 du Protocole sur l’application provisoire. Ce projet de déclaration est conforme aux dispositions de la Convention sur Vienne sur le droit des traités, notamment son article 31(1), selon lequel « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».

    Ce projet de déclaration interprétative a pour but de clarifier que l’intention des Parties contractantes de l’Accord UPC en adoptant le Protocole sur l’application provisoire (et son article 3 en particulier qui fixe les modalités d’entrée en vigueur du protocole) était bien de viser, par un effet de miroir, la règle visée à l’article 89 de l’Accord UPC, qui prévoit que l’entrée en vigueur de l’accord requiert le dépôt de 13 instruments de ratification ou d'adhésion, « y compris par les trois États membres dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets au cours de l'année précédant celle lors de laquelle la signature du présent accord a lieu ». Le terme « États membres » est défini dans l'Accord UPC comme un État membre de l'Union européenne (article 2.b).

    Étant donné qu'à partir du 31 janvier 2020, le Royaume-Uni n'est plus un État membre de l'UE, sa ratification n'est plus nécessaire pour l'entrée en vigueur de l'accord. En revanche, la ratification de l'État membre de l'UE dans lequel, après l'Allemagne et la France, le plus grand nombre de brevets européens a pris effet au cours de l'année précédant la signature de l'Accord UPC (en 2012), est requise. Cet État membre est l'Italie, laquelle a ratifié l'Accord UPC le 2 octobre 2017. En conséquence, il convient d’interpréter l’article 3 du PPA comme visant les trois États membres (à savoir les États membres de l’Union européenne) dans lesquels le plus grand nombre de brevets européens produisaient leurs effets au cours de l'année précédant celle de la signature de l'accord, à savoir l’Allemagne, la France et l’Italie.

    Cette déclaration n’a pas, en conséquence, pour but de contourner l’absence du Royaume-Uni - lequel n’est plus partie prenante au système UPC - et est parfaitement légale de l’avis unanime de l’ensemble des États membres contractants ayant ratifié le Protocole sur l’application provisoire, dont la Belgique. La position de la Belgique a été définie en collaboration avec les experts du SPF Affaires étrangères. La déclaration interprétative donne une interprétation de bonne foi du protocole et tient compte, outre le texte de l’article 3 du protocole, de son contexte, de son objet, de son but et du lien étroit existant entre cette disposition et l'article 89 de l'Accord UPC.

    Les règlements de l’UE relatifs au brevet unitaire - Règlements 1257/2012 et 1260/2012 - sont en vigueur et requièrent pour leur mise en application l’entrée en vigueur de l’Accord sur la Juridiction unifiée du brevet conclu en 2013. Il convient à présent de finaliser la mise en œuvre de la réforme du système des brevets en Europe, laquelle est réclamée par les milieux intéressés.

    Cette réforme est l’un des chantiers les plus anciens du marché intérieur et est réclamée depuis des décennies par les utilisateurs. Le Conseil Compétitivité est régulièrement saisi de lettres émanant des principales fédérations professionnelles (BusinessEurope, SMEunited, Eurochambers, Orgalim), soulignant la plus-value de cette réforme pour l’économie européenne et l’emploi, et appelant son entrée en vigueur dans les meilleurs délais afin de soutenir l'innovation et de stimuler la compétitivité des entreprises européennes, notamment des petites et moyennes entreprises. Ces fédérations professionnelles soulignent que la propriété intellectuelle est un élément clé de la politique industrielle de l'UE pour soutenir l'innovation et atteindre le double objectif de la transition numérique et climatique.

    En Belgique, les milieux intéressés ont souligné l’intérêt de cette réforme dans une tribune publiée dès 2013 (« Nécessité de créer une division nationale de la nouvelle Juridiction unifiée en matière de Brevets (“Unified Patent Court”, I.R.D.I., 2013/1).

    Par ailleurs, l’Accord UPC lui-même prévoit le principe d’une consultation régulière des utilisateurs du système des brevets.

    Le principe des frais devant la Juridiction unifiée du brevet est posé par l’article 36(3) de l’Accord UPC :
    « les frais de procédure […] comprennent un montant fixe, combiné à un montant fondé sur la valeur du litige, au-delà d'un plafond prédéfini. Le montant des frais de procédure est fixé à un niveau garantissant un juste équilibre entre le principe d'accès équitable à la justice, en particulier pour les petites et moyennes entreprises, les micro-entités, les personnes physiques, les organisations à but non lucratif, les universités et les organismes publics de recherche, et une contribution adéquate des parties aux frais exposés par la Juridiction, tenant compte des avantages économiques pour les parties concernées et de l'objectif visant à ce que la Juridiction s'autofinance et ait des comptes en équilibre. […] Des mesures de soutien ciblées en faveur des petites et moyennes entreprises et des micro-entités peuvent être envisagées ».

    Les frais de procédure devant la Juridiction unifiée du brevet ont été fixés en tenant compte des éléments suivants :
    - contrairement à la situation actuelle dans laquelle le contentieux est éclaté entre les cours et tribunaux nationaux, avec des décisions parfois divergentes, voire contradictoires, et dont les issues sont incertaines et risquées pour les PME, les décisions de la Juridiction unifiée du brevet seront directement applicables dans tous les États contractants membres de l’Accord UPC et seront rendues par une juridiction internationale spécialisée dont la compétence pourra couvrir jusqu'à 24 États membres avec une seule action, ce qui évitera les litiges parallèles dans plusieurs États membres différents ;
    - la Juridiction unifiée du brevet sera hautement spécialisée et n'emploiera que des juges expérimentés en matière de brevets (à la fois des juges qualifiés sur le plan juridique, mais aussi des juges qualifiés sur le plan technique dans les matières visées par le ou les brevets faisant l’objet du contentieux). Ceci doit être comparé à la situation actuelle des États membres - dont la Belgique - qui n'ont pas de tribunaux spécialisés en matière de brevets, peu de juges expérimentés en matière de litiges de propriété intellectuelle et de brevets en particulier, et dans lesquels les délais de traitement des affaires sont parfois très longs. Les PME sont particulièrement vulnérables lorsqu’il s’agit de faire face à de longs délais de procédure et à un degré élevé d'insécurité juridique étant donné qu’elles ont parfois des difficultés de trésorerie, doivent développer leurs produits rapidement et ont donc besoin d'une sécurité juridique aussi vite que possible en matière de propriété intellectuelle ;
    - toute entreprise belge développant des activités à l’étranger doit actuellement mener des procédures contentieuses complexes et coûteuses dans plusieurs pays (Pays-Bas, Allemagne, France, etc.) afin le cas échéant de demander la nullité d’un brevet européen qui limite indûment son activité ou de défendre son brevet contre toute atteinte dont il ferait l’objet. Elle doit donc exposer des coûts nettement plus élevés que ceux limités aux frais de la procédure devant une juridiction belge ;
    - le système mis en place par l’UPC prévoit que les PME et les autres catégories d’utilisateurs faibles peuvent obtenir la suppression des frais fondés sur la valeur du litige et obtiennent par ailleurs une déduction de 40 % des frais de procédure (il convient donc de déduire 40 % du montant de 20.000 euros cité dans la question écrite). D’autres tempéraments existent. Par exemple si une action est entendue par un juge unique, la partie redevable des frais de procédure recevra un remboursement de 25 % de ceux-ci. En outre, une partie peut réclamer le remboursement intégral des frais de procédure dans le cas où leur montant menace son existence économique. Enfin, un système d’aide légale est disponible. L’UPC a également un centre de médiation et d’arbitrage qui permet de faire l’économie d’un litige si les parties en décident ainsi ;
    - les frais de procédure constituent une (petite) partie seulement des frais de contentieux, qui sont majoritairement constitués des frais d’avocats et de représentation.

    Les frais de procédure devant l’UPC ne peuvent donc être comparés aux frais d’une procédure contentieuse devant une juridiction belge.

    L’UPC s’inscrit par ailleurs dans le contexte de la création du brevet unitaire qui présente les avantages suivants pour les utilisateurs :
    - les brevets unitaires conféreront une protection véritablement uniforme puisque le droit matériel des brevets régissant l'étendue et les éventuelles limitations des droits, ainsi que les recours disponibles en cas de contrefaçon, a été harmonisé dans l'Accord UPC ;
    - le brevet unitaire sera délivré par l'OEB qui agira comme un guichet unique, permettant un enregistrement simple et rapide de l’effet unitaire ;
    - aucune taxe n'est due pour le dépôt et l'examen de la demande d'effet unitaire ou pour l'enregistrement d'un brevet unitaire. En outre, les brevets unitaires ne seront pas soumis au système de taxes de renouvellement actuellement fragmenté : il n'y aura qu'une seule procédure pour obtenir l’effet unitaire, une seule monnaie et un seul délai, et aucune obligation de recourir à un représentant (mandataire en brevets) ;
    - aucune traduction post-délivrance du brevet ne sera exigée après une période transitoire de six ans. Pendant cette période, une traduction sera requise à titre d'information uniquement et n'aura aucun effet juridique ;
    - pour les PME, les personnes physiques, les organisations à but non lucratif, les universités et les organismes de recherche publics basés dans l'Union européenne, un système de compensation couvrira les coûts de traduction de la demande de brevet si celle-ci a été déposée dans une langue officielle de l'UE autre que l'anglais, le français ou l'allemand. Ils recevront une somme forfaitaire de 500 euros lorsque leur brevet unitaire sera enregistré. La demande de compensation devra être déposée en même temps que la demande d'effet unitaire ;
    - le registre de la protection unitaire par brevet, disponible en ligne, comprendra des informations sur le statut juridique des brevets unitaires - notamment sur les licences et les transferts. Cela contribuera également à encourager le transfert de technologie et l'investissement dans l'innovation.

    La réforme du brevet unitaire et de la Juridiction unifiée du brevet ne modifie pas le droit de la Convention sur le brevet européen (CBE) et les conditions pour obtenir une protection par brevet :
    - le brevet unitaire est un brevet européen auquel est conféré un effet unitaire après sa délivrance, laquelle est effectuée selon les principes fixés par la CBE (dont la non-brevetabilité des programmes d’ordinateurs inscrit à l’article 52(2)c) de la convention) ;
    - la Juridiction unifiée du brevet appliquera, pour les procédures dont elle sera saisie, le droit de la CBE (cf. l’article 24(1) de l’Accord UPC) ;
    - La centralisation du contentieux offre une garantie supplémentaire par rapport au système actuel caractérisé par l’éclatement du contentieux auprès des juridictions nationales, en ce que la Juridiction unifiée du brevet peut statuer sur une action en nullité des brevets européens qui seraient délivrés en méconnaissance de l’article 52(2)c) de la CBE et rendre une décision applicable dans tous les États membres contractants de l’Accord UPC.