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L'impact des récentes inondations sur la biodiversité

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2021
  • N° : 127 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 05/11/2021
    • de MATAGNE Julien
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    Quelques mois après les inondations, et surtout la mise en œuvre des travaux d'urgence notamment sur la réhabilitation de berges et talus ou d'égouts, les scientifiques et naturalistes professionnels ou non commencent seulement à prendre la mesure de l'impact sur les oiseaux, les poissons et autres habitants des berges wallonnes.

    Les espèces dites communes et répandues sont par définition résilientes en cas de perturbations environnementales. Le contexte est, par contre, bien plus problématique pour les espèces rares et déjà menacées d'extinction. Mentionnons la libellule Cordulia Corsa pour laquelle il ne restait qu'une seule population près de Bomal, ou encore les mieux connus mulettes épaisses (moule d'eau douce) ou martins-pêcheurs qui ont aussi sans doute été impactés.

    Dans ce cadre, Madame la Ministre a-t-elle et/ou va-t-elle procéder à un état des lieux détaillé de la situation en termes de biodiversité suite aux inondations ? Chaque espèce ou groupe d'espèces ayant des exigences particulières, des mesures spécifiques sont-elles envisageables et envisagées pour tenter d'atténuer l'impact occasionné ?

    Outre les ravages du courant et des crues, la pollution de l'eau représente un danger important causé notamment par les travaux effectués en urgence, la quinzaine de stations d'épuration mises hors service ainsi que les dizaines de kilomètres d'égouts, de collecteurs endommagés et inopérants dans les vallées touchées. Parallèlement aux travaux de restauration du réseau, quelles initiatives va-t-elle prendre ou a-t-elle prises afin de quantifier l'impact et agir concrètement en vue d'un rétablissement progressif de la situation pour les espèces les plus touchées ?
  • Réponse du 15/12/2021
    • de TELLIER Céline
    Dans les premiers jours qui ont suivi les crues et inondations malheureuses que nous avons subies mi-juillet 2021, j’ai demandé à mon Administration d’évaluer leur impact sur l’environnement, la faune et la flore, et de me proposer les mesures d’atténuation les plus appropriées.

    Les bassins versants de l’Amblève, de la Lesse, de l’Ourthe et de la Vesdre sont ceux qui ont été les plus affectés par les crues, avec 8 500 hectares inondés, dont 30 % en Natura 2000. Quarante-cinq sites Natura 2000 sont touchés en partie, dont environ 1 000 ha d’Habitat d’Intérêt Communautaire.

    En marge du patrimoine biologique d’Intérêt communautaire pour lequel la Wallonie doit rapporter obligatoirement à la Commission européenne tous les 6 ans, les évènements de juillet ont également affecté des habitats et des espèces patrimoniaux.

    La liste des espèces patrimoniales (y compris les espèces N2000) potentiellement impactées à des degrés divers est conséquente : 12 espèces d’amphibiens et reptiles, 15 espèces de libellules, 22 espèces de papillons de jour, plus de 50 espèces d’oiseaux, 2 espèces de mollusques, plusieurs dizaines d’espèces végétales... Ce sont également 26 sites sous statut de protection (réserve naturelle, cavité souterraine d’intérêt scientifique) et 150 SGIB potentiellement impactés qui doivent faire l’objet d’une surveillance environnementale.

    Les crues de juillet sont à l’origine d’une modification, parfois très significative sur certains tronçons, de la physionomie des écoulements liquides par redistribution d’un volume important d’éléments solides de dimensions très variables issus de ces rivières et des milieux adjacents. Des phénomènes parfois très importants de dépôts d’atterrissement, d’érosion des berges, d’incision et de reméandration sont observés. La qualité écologique des cours d’eau s’en trouve modifiée.

    Sur les 6 bassins versants les plus impactés (Vesdre, Ourthe, Amblève, Lesse, Mehaigne et Dyle-Gette), 72 masses d’eau de surface (sur les 352 que compte la Wallonie) ont subi des crues exceptionnelles. Parmi celles-ci, 41 étaient définies en bon état écologique. La qualité écologique de ces masses d’eau doit être réévaluée au plus vite, afin de permettre une adaptation éventuelle du 3e PGDH (2022-2027) leur permettant, à son terme, de retrouver le bon état écologique.

    Les inondations ont également provoqué la dispersion de propagules de plantes exotiques envahissantes à travers tout le lit majeur des cours d’eau. C’est en particulier le cas des renouées asiatiques, mais probablement aussi de la balsamine de l’Himalaya et de la berce du Caucase. Les crues ont favorisé la dissémination des populations de renouées installées dans les têtes de bassins versants sous la forme de petites boutures de tiges ou de rhizomes fixées dans les embâcles et sur les banquettes alluviales (zones amont). Plus en aval, elles se sont plus largement disséminées au travers de toute la plaine alluviale. Leur développement est susceptible de porter atteinte à l’état de conservation des mégaphorbiaies alluviales (habitat 6430) et des forêts rivulaires (habitats 91E0* et 91F0*).

    Si, pour la biodiversité commune, les premières évaluations ne font pas craindre quant à l’état de conservation des populations, il pourrait en être autrement pour des populations déjà fragilisées. Une dizaine d’inventaires scientifiques de la faune piscicole ont été menés par mon Administration depuis les crues dans les rivières les plus touchées. Si les résultats sont rassurants pour les espèces de poissons rhéophiles tels que les truites, c’est surtout vrai sur les stations où le lit mineur, les berges et le lit majeur sont encore naturels et ont offert des abris et protections à la faune lors des crues.

    Un constat positif peut aussi être retiré de ces crues en observant que les forts débits de cet été ont permis de nettoyer les gravières et zones de fraie des éléments fins qui s’y étaient accumulés lors des années précédentes. Ceci devrait favoriser le frai de nombreuses espèces de poissons, comme les Salmonidae et le chabot.

    Des inquiétudes se portent néanmoins sur des espèces qui souffraient déjà d’un statut de conservation faible, voire défavorable. C’est le cas par exemple de la mulette épaisse, Unio crassus, un mollusque d’eau douce bivalve, dont la seule population de l’Ourthe a vu ses effectifs réduits de 40 % par les crues de mi-juillet. Autre cas critique, une libellule, la cordulie à corps fin, Oxygastra curtisii, dont la seule population wallonne était observée dans l’Ourthe près de Bomal et pour laquelle il faudra attendre les émergences printanières pour évaluer l’impact de crues sur l’état de conservation de cette population.

    En ce qui concerne les oiseaux, nos inquiétudes se portent sur le martin-pêcheur, l’hirondelle des rivages et le cincle plongeur, tous trois présents dans ces vallées de la Vesdre et de l’Ourthe avant les inondations, et dont il faudra attendre les nidifications printanières pour mieux cerner l’impact sur les populations.

    Une attention particulière est désormais portée par mon Administration sur une nouvelle menace qui pèse sur la nature de ces vallées : 180 km d’égouts et 40 km de collecteurs ont été détruits dans la Vesdre et dans l’Ourthe inférieure suite aux crues de juillet 2021. Quatre stations d’épuration sont toujours à l’arrêt complet tandis que 8 ont repris une activité partielle. Les eaux grises de grandes agglomérations urbaines sont donc toujours aujourd’hui rejetées dans la Vesdre, la Hoëgne et l’Ourthe sans épuration. La situation devrait revenir à la normale en janvier 2023. J’ai donc demandé dès le mois d’août à mon Administration de monitorer au plus près la qualité physico-chimique de ces rivières en aval de ces agglomérations. Des tests écotoxicologiques et un monitoring biologique sont également menés. Si les premiers résultats sont globalement rassurants, on note dans certains secteurs de la Hoëgne une augmentation des valeurs des paramètres liés à la pollution organique, sans heureusement aujourd’hui dépasser les seuils d’alerte. Nous devrons cependant rester attentifs à ces pollutions lorsque les débits redescendront, au printemps et à l’été prochains.

    Enfin, j’ai demandé à mon Administration que les travaux de sécurisation et de nettoyage toujours en cours dans ces vallées meurtries fassent l’objet d’une concertation environnementale par les services du DNF et du DEMNA. Cette concertation vise à rendre nos cours d’eau plus résilients face aux menaces environnementales auxquels ils doivent faire face en intégrant dès la reconstruction les enjeux environnementaux.

    Un plan d’actions de lutte contre la renouée du japon a été dressé pour ces vallées et il rentrera en activité dès 2022. La surveillance environnementale se poursuivra en 2022, 2023 et 2024.