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La saturation des institutions de prise en charge thérapeutique des jeunes et la hausse des psychotropes chez les adolescents

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 265 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 02/02/2022
    • de BELLOT François
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    Les cliniciens constatent que de nombreux jeunes sont actuellement en difficulté en matière de santé mentale. Ils souffrent particulièrement d'angoisses, voire de dépressions. Ils sont en situation de grande souffrance par rapport à la vie, avec des idées suicidaires et des volontés de changer leur environnement. La crise Covid n'y est pas pour rien, du moins chez certains. Elle a augmenté leur désarroi et leur mal-être.

    Il apparaît que la consommation des antidépresseurs a augmenté de 8 % chez les jeunes de moins de 20 ans en trois ans. Un taux interpellant alors qu'il faut être habituellement plutôt prudent pour l'utilisation de psychotropes, dont les antidépresseurs, chez les jeunes en raison de leur influence sur le cerveau qui est en plein développement à l'adolescence.

    Selon le psychiatre pour enfants et adolescents aux cliniques universitaires Saint-Luc, le Professeur Emmanuel de Becker, l'utilisation de ce type de médicament doit trouver place dans le cadre d'un accompagnement thérapeutique global, et ne doit pas être faite trop rapidement, à la légère.

    Libérer son mal-être par la parole, l'écriture ou d'autres formes d'activités, sont des formes douces de traitement à privilégier avant tout.

    Face à ces constats, une campagne de sensibilisation est-elle envisagée ? La priorité de Madame la Ministre est-elle de renforcer les mécanismes d'accompagnement et de sensibiliser les parents, ainsi que les médecins traitants aux risques de dépendances et de répercussions sur le cerveau de ces antidépresseurs ?

    Par ailleurs, a-t-elle des contacts avec son homologue fédéral, Monsieur Vandenbroucke, pour le renforcement des soins en santé mentale, surtout chez les jeunes ?

    Il y a vraisemblablement une saturation au niveau de la prise en charge des jeunes chez des psychiatres infanto-juvéniles. C'est ainsi que le jeune se retrouve chez son médecin de famille, faute de pouvoir rencontrer rapidement un spécialiste. Et les médecins traitants prescrivent des antidépresseurs faute d'autres solutions.
  • Réponse du 10/03/2022
    • de MORREALE Christie
    En préambule de cette réponse et comme le démontre l’analyse produite par la Mutualité libre en ce début d’année 2022, l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le recours des enfants et des adolescents aux soins de santé mentale est réel (l’impact de la pandémie de Covid-19 sur le recours des enfants et adolescents aux soins de santé mentale (Mutualité chrétienne | Belgique | Décembre 2021)).

    Notons néanmoins qu’au-delà des soins remboursés, qui nous fournissent un indicateur pertinent, il est plus mal aisé de conforter le constat par des chiffres récents.

    En effet, les chiffres actuels portent sur l’occupation des lits de pédopsychiatrie (au-delà de 2018 - Activités hospitalières dans les HP et les SPHG pour enfants et adolescents - Vers une Belgique en bonne santé (belgiqueenbonnesante.be)) -, sur la consommation de l’offre de soins de santé mentale dispensée par les équipes mobiles des réseaux dédiés aux enfants et aux adolescents, ou encore quant à la consommation de l’offre de soins de santé mentale par nos propres services de santé mentale. Notons que la perception des situations complexes ainsi que leur prise en charge peuvent également se retrouver en difficultés au regard des compétences dans le secteur de l’enfance et de l’adolescence avec des jeunes se retrouvant à la croisée de plusieurs secteurs et de prises en charge différentes.

    Aujourd’hui, l’enregistrement des consultations ou prestations tel qu’il est développé dans ces secteurs ne permettent pas d’établir de façon précise le nombre de jeunes patients pris en charge sur une année – ou deux en l’occurrence, 2020 ou 2021, que nous aurions pu confronter aux chiffres des deux années précédentes.

    L’AViQ travaille régulièrement avec les acteurs de terrain pour disposer de ces données, mais constate qu’il est difficile de les obtenir et d’en retirer des éléments précis, en dépit de tous les efforts.

    De manière générale, les organes d’avis et les experts qui s’y sont essayés s’accordent pour dire que ‘nous ne disposons pas de beaucoup de littérature scientifique concernant l’impact de la pandémie sur la demande et l’offre de soins de santé mentale pour enfants et adolescents en Belgique. Quelques sources proprement belges peuvent être complétées par des articles parus en France et d’autres pays européens que nous citons dans cette partie.’ (voir encore ²: MC-Informations 286 • décembre 2021, p 26. Ndbp 6, cité plus haut).

    Pour le surplus, nous devons nous fier aux témoignages des professionnels de ce secteur pour reconnaitre la difficulté de répondre à l’afflux des demandes, au caractère inédit et particulièrement préoccupant quant à l’âge des patients et aux troubles présents, et qui relèvent souvent d’une situation de crise ou même d’urgence vitale.

    Le second constat chiffré relatif à l’augmentation des psychotropes prescrits à des moins de 20 ans nous est fourni par les organismes assureurs. En effet, les données de prescription de médicaments nous sont fournies par ces derniers (Utilisation d’antidépresseurs et de prestations psychothérapeutiques chez les adolescents (Mutualités libres | Belgique | 25/01/2022)).

    Face à ces constats, il faut savoir que si certains outils en ligne sont déjà répertoriés et renseignés pour permettre aux citoyens, jusqu’aux plus jeunes, de renforcer leurs capacités à se sentir mieux, je confirme officiellement à l’honorable membre, comme suite à son interpellation du mois d’octobre, que la Campagne de santé mentale JEMELIBERE (pour retrouver
    le bien-être, des solutions existent
    et se partagent. - jemelibere) a été lancée à ma demande le lundi 14/2, à l’Espace Delta à NAMUR.

    Cette journée fut marquée par un événement pour célébrer le lancement de la campagne sur la santé mentale en présence de partenaires et au cours duquel un arbre « à souhait » digital a été inauguré. Cet arbre restera accessible durant le temps de diffusion de la campagne et chacun pourra y partager un mot, une pensée, pour une meilleure tolérance et prise en charge de la santé mentale. Il s’agit d’une campagne de sensibilisation autour du bien-être, de la santé mentale et de la bienveillance de la population wallonne, construite sur 2 grands objectifs étroitement liés :

    1. Sensibiliser :

    Un premier niveau qui vise à sensibiliser le plus grand nombre sur le sujet de la maladie mentale et des effets de la pandémie du Covid-19, avec un call-to-action global qui renvoie vers une page dédiée pour la campagne, et vers différents contenus utiles selon les différentes cibles. On parle ici davantage de médias comme la télévision, la radio, ou encore l’affichage.

    2. Informer :

    Un second niveau plus ciblé, qui vise à informer et renvoyer directement les cibles spécifiques vers des contenus dédiés et utiles (conseils, guides, présentations, informations, …) ; on parle ici principalement de l’activité générée par le Social Media Advertising et les réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, YouTube, ou encore Tinder. Elle comporte un axe dédié à la jeunesse et est portée par de nombreux témoignages.

    Je fonde beaucoup d’espoir de toucher un grand nombre de citoyens, et ainsi de leur proposer des pistes pour les inviter à s’exprimer et à favoriser leur bien-être. La communication adressée aux jeunes est très spécifique, nous en sommes pleinement conscients. Il nous semblait d’autant plus important d’inviter ceux qui ont osé faire un premier pas à s’exprimer, et donner peut-être à d’autres un signal positif. Le leitmotiv étant ‘Partager c’est se libérer’.

    Quant à la prévention, axe essentiel, mais qui ne répond qu’indirectement au problème soulevé de la surconsommation des psychotropes et à la nécessité de sensibiliser les professionnels de première ligne et des proches du jeune, ne perdons pas de vue qu’elle repose pour une large part, avec la promotion de la santé, sur des stratégies intersectorielles. Outre le secteur de la santé en première ligne, il convient d’associer aussi les secteurs connexes où gravitent les jeunes, tels que l’enseignement et la formation par exemple et toutes les compétences relevant de la Fédération Wallonie Bruxelles comme l’ONE, l’Aide à la jeunesse, et cetera.

    Un rapport de Commission du Parlement de la Communauté française datant du mois dernier nous livre 100 recommandations sur la santé mentale des jeunes (Rapport relatif à la « santé mentale des jeunes » (Rapport de Commission) (Parlement de la Communauté française | Communauté française (Belgique) | 27/01/2022) - Les rapports des auditions qui ont eu lieu sur le thème de la « santé mentale des jeunes » entre juin et décembre 2021 sont disponibles via ce lien : https://www.pfwb.be/le-travail-du-parlement/doc-et-pub/les-derniers-documents-publies (site consulté le 04/02/2022)) en une vision prospective, mais ne comprenant pas de moyens complémentaires en lien avec ce plan.

    Dans la même veine, cette fois concernant la détection et l’intervention précoces, le Conseil Supérieur de la Santé prône que tous les adultes soient attentifs à l’état psychosocial des jeunes au niveau local. Il cite les PMS, les plannings familiaux, les maisons pour jeunes, les écoles des devoirs, l’aide en milieu ouvert, comme autant de lieux où cette attention peut leur être portée.

    C’est dans cette perspective aussi que je soutiens le projet en matière d’action préventive du suicide : « devenez une sentinelle », que développera l’ASBL « Un Pass dans l’Impasse ».

    Quant au renforcement des soins, et aux initiatives prises au niveau fédéral et par ma participation à la CIM Santé, je suis également bien au fait et concertée sur les moyens déployés à l’initiative de mon collègue Franck Vandenbroucke au niveau fédéral pour réagir de façon proportionnée à la crise en matière de santé mentale publique, et résorber en partie ses conséquences délétères sur la jeunesse de notre pays.
    Ainsi, le Fédéral a doublé les Équipes mobiles de crise des réseaux Enfants-Adolescents et mis en place des mesures d’intensification et de création de capacités de soins (semi-) résidentiels supplémentaires pouvant être utilisées de manière flexible.

    Des ressources supplémentaires ont été mobilisées afin d'augmenter le nombre d'admissions d'enfants, d'adolescents et de jeunes adultes souffrant de problèmes psychiques graves, complexes et multiples, qui ne peuvent être aidés par des soins mobiles ou ambulatoires et qui nécessitent une admission (semi) résidentielle. Concrètement, les effectifs en termes de personnel des services K/k disposant de lits ou de places d'hospitalisation à temps plein ou à temps partiel, et des unités FOR K (y compris les lits de crise), ont été renforcés à raison de 1 ETP pour 8 lits K ou FOR K (à temps plein) ou places de nuit k (à temps partiel), et à raison de 1,36 ETP pour 8 places de jour k (à temps partiel) à partir du 15 avril 2021. La mesure est toujours en cours.

    En outre, des équipes de liaison ont été ajoutées temporairement par zone géographique des réseaux de santé mentale pour enfants et adolescents S afin de faciliter l’accès et réduire les séjours (améliorer le turn-over compte tenu des demandes qui affluent). Ces équipes seront composées d'au moins 1 ETP psychologue et/ou orthopédagogue, d'au moins 1,20 ETP infirmier psychiatrique et/ou éducateur ayant une expertise en pédopsychiatrie et d'un pédopsychiatre pour un maximum de 0,50 ETP.

    On évoquera également la mesure temporaire ayant bénéficié aux jeunes étudiants, pour un accueil plus adapté dans les conditions difficiles de la Covid-19, via les Académies.

    Enfin, il serait dommage de ne pas évoquer la mise en place d’une dimension nouvelle de la politique de santé mentale, poussée par les circonstances et un besoin manifeste d’une aide psychologique accessible financièrement et aussi localement que possible. Celle-ci aussi vise le public des jeunes pour une partie du budget qui lui est réservé, bien évidemment. Outre les séances individuelles, les prestataires peuvent également offrir des séances de groupe.

    Ce nouveau dispositif, qui est décrit dans une « convention santé mentale » (Dispenser des soins psychologiques de première ligne ou spécialisés via un réseau de santé mentale - INAMI (fgov.be)) entre l’INAMI et des psychologues cliniciens conventionnés, via les 12 réseaux en santé mentale situés en Wallonie (les modalités étant différentes selon les 3 régions), se veut complémentaire et très proche de la première ligne d’aide et de soins. Elle entre en vigueur dès le mois de mars 2022.

    L’accueil et la prise en charge qui sont prévus, selon différentes modalités en fonction de l’état psychologique de la personne, viendraient en complément ou en renforcement de celle qu’assurent souvent les médecins généralistes, et d’autres prestataires situés à différents niveaux de la pyramide des soins telle qu’établie par l’OMS. Nous pouvons espérer que cela réduira l’usage abusif des psychotropes, de manière générale, mais surtout pour les patients plus jeunes qui doivent bénéficier d’une prise en charge plus globale et plus douce.

    En ce qui concerne la question relative au renforcement potentiel de l’accueil résidentiel pour les enfants et adolescents (qu’on vise par le terme de programmation), elle dépend entièrement du fédéral. Des recommandations, dont celles émises par un des Groupes de travail du Comité pour la Santé mentale des Enfants et des Adolescents (COMSMEA), vont dans le sens d’une révision des normes, tenant compte également de la transition vers l’âge adulte de façon plus réaliste que par le passé (En rapport avec les normes de programmation hospitalières et l’accès aux lits K et A, déterminés par l’âge du patient et sa représentation socio-démographique.), et avec un focus sur la répartition provinciale et démographique, pondérée par des déterminants socio-économiques. Un travail est actuellement en cours pour renforcer ces unités.

    En Wallonie, le Gouvernement a pris des mesures urgentes en santé mentale, qui sont dorénavant prolongées jusque fin 2022. Les acteurs qui en disposent montrent tous les jours leur capacité à se mobiliser et à adapter leurs pratiques pour répondre le plus adéquatement aux difficultés psychiques parfois extrêmes que rencontrent les jeunes.

    Bien entendu, je reste attentive aux recommandations du Conseil supérieur de la Santé, comme d’ailleurs à celles dépassant le cadre de la crise sanitaire, délivrées par les Académies royales de médecine de Belgique, qui nous enjoignent à chercher de façon plus volontariste à répondre aux défis de santé et en particulier de santé mentale chez les jeunes adultes en âge de transition. Ceci nécessite de toute évidence des actions conjointes, fortes, et qui nécessitent un rapprochement et un renforcement des points de convergence entre les différentes entités responsables de leur bien-être. Un chantier important est d’ailleurs en cours qui réunit l’Aide à la Jeunesse, le secteur du handicap et celui de la santé mentale, avec pour objectif de ne pas laisser au bord du chemin les jeunes qui se trouvent à la croisée de ces différents secteurs.