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La restriction du droit de propriété par décret

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 208 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 11/02/2022
    • de ANTOINE André
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    À plusieurs reprises, j’ai déjà interrogé Monsieur le Ministre sur la flambée des prix de l'immobilier, notamment dans ma région et sur la nécessité pour le Gouvernement wallon d'organiser en urgence une riposte à la hauteur de la crise du logement rencontrée par certains de nos concitoyens.

    Des réponses législatives et financières sont toujours attendues de son Gouvernement.

    En Flandre, manifestement, le débat fait rage et ses homologues socialistes flamands viennent de déposer une initiative décrétale qui pour le moins bouleverse le droit traditionnel de la propriété. Leur raisonnement est le suivant :

    Les comptes d'épargne ne rapportant plus rien, nombre d'investisseurs se tournent vers l'immobilier engendrant ainsi un « buy-to-let » qui, tirant les prix vers le haut, empêche de plus en plus souvent les jeunes ainsi que la classe moyenne d'accéder à la propriété. D'où l'introduction d'une « opkoopbescherming » (littéralement « protection contre la surenchère ») qui autorise depuis ce 1er janvier les villes et communes des Pays-Bas à refuser toute licence de location pour les logements d'une valeur fiscale de moins de 350 000 euros achetés dans des zones qu'elles déterminent librement.

    La proposition prévoit une exigence d'occupation personnelle durant quatre ans au moins ou la mise en location durant neuf ans « à un prix abordable ».

    Monsieur le Ministre compte-t-il suivre l'exemple de l'initiation socialiste flamande ? Si oui, comment ?

    N'est-elle pas contraire à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et à l'article 16 de notre Constitution ?

    Comment compte-t-il contenir la spéculation immobilière dans notre région ?

    Faut-il la réguler ou, au contraire, rester confiant dans la loi du marché ?

    À défaut, est-il prêt à refinancer le Fonds Brunfaut pour équiper certains terrains à bâtir afin de les vendre moins cher ?
  • Réponse du 18/03/2022
    • de COLLIGNON Christophe
    Le mécanisme dit « opkoopbescherming », mis en œuvre par les Pays-Bas, vise à garantir que certains logements bon marché ou à prix moyen, acquis dans un périmètre territorial défini préalablement par la commune, seront seulement destinés à l’occupation à titre personnel et non à la mise en location. Le dispositif prévoit néanmoins certaines exceptions, à savoir la mise en location à destination de la famille, la mise en location temporaire ou l’intégration du logement dans un immeuble de vente, de bureaux ou à destination commerciale.

    La situation des Pays-Bas n’est cependant pas identique à la nôtre. La pénurie de logements y est systémique et les estimations parlent d’un besoin d’un million de logements supplémentaires d’ici à 2030. Certaines communes, comme Utrecht ou Amsterdam, souhaitent ainsi pousser encore plus loin le mécanisme, en l’étendant aux biens d’une valeur plus élevée.

    De même, la situation en Flandre n’est pas non plus similaire à la nôtre. En témoigne le Baromètre des notaires (https://www.notaire.be/nouveautes/detail/barometre-immobilier-premiers-signes-de-refroidissement-au-second-semestre-2021) portant sur le second semestre de 2021. Concernant le prix médian des maisons, il note qu’« au niveau régional, le prix des maisons a le plus augmenté en Flandre. Les acheteurs d’une maison l’ont payé en moyenne 329 747 euros (+ 4,7 % hors inflation). En Wallonie, le prix moyen y était bien plus bas avec une moyenne de 222 634 euros (+ 3,7 % hors inflation). Les maisons bruxelloises restent les plus chères avec une moyenne de 528 057 euros (+ 3,1 % hors inflation). » Concernant le prix médian des appartements, le Baromètre précise qu’« au niveau régional, il n'y a pas eu une augmentation importante des prix des appartements en Wallonie. Les acheteurs y ont payé en moyenne 194 821 euros pour un appartement en 2021 (évolution hors inflation de + 0,6 %, soit + 1 000 euros de plus qu'en 2020). En Flandre, le prix moyen d’un appartement s’élève à 262 414 euros. À Bruxelles, le prix est passé à 284 488 euros. »

    Nous pouvons imaginer un système « à la carte », comme aux Pays-Bas, où les communes (normalement, là où les prix sont les plus élevés) pourraient activer un mécanisme similaire au mécanisme néerlandais. Néanmoins, si on laisse le choix à toutes les communes, certaines d’entre elles risquent d’utiliser l’outil en dépit du fait qu’elles connaissent des prix abordables par rapport au prix moyen, pour « faire la chasse » aux logements locatifs, dont on sait qu’ils accueillent une population généralement moins nantie que celle des propriétaires occupants.

    S’agissant de la constitutionnalité du système évoqué, seule la Cour constitutionnelle pourrait se prononcer à ce sujet. On notera juste que celle-ci offre une jurisprudence constante en ce qui concerne le respect de l’article 16 de la Constitution, combiné avec l’article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme, rappelant que l’article 16 de la Constitution protège le citoyen contre la privation stricto sensu de la propriété, autrement dit contre l’expropriation. L’interrogation soulevée par monsieur le député renvoie donc à une interprétation littérale ou extensive du texte constitutionnel.

    De nombreux indicateurs montrent, effectivement, qu’une compétition existe entre les acheteurs sur le marché de l’immobilier. Outre les taux d’intérêt actuellement bas, la surenchère que se livrent les candidats acquéreurs et les investisseurs locatifs est vraisemblablement l’une des causes de la hausse des prix, en particulier au cours des deux dernières années. Le fait que l’accès au logement et à la propriété en soit directement affecté confirme la pertinence et l’importance de notre politique d’élargissement du crédit hypothécaire social, couplé aux multiples mesures prises, sous cette législature, pour concrétiser toujours plus largement le droit de chacun à disposer d’un logement décent.