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Le développement de la filière du biochar en Wallonie

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 365 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 25/02/2022
    • de FLORENT Jean-Philippe
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    Il y a un an, j'interrogeais Monsieur le Ministre sur la filière du biochar en Wallonie. Ce charbon végétal semble être une technique innovante et intéressante pour répondre aux problématiques de perte de fertilité et de conservation des sols. Il en avait reconnu l'intérêt lors de notre échange.

    Issu de tout matériau végétal ayant subi un traitement de carbonisation, la pyrolyse, le charbon végétal est utilisé depuis plusieurs années en Autriche, dans la région de Kaindorf, et donne même droit aux agriculteurs à des certificats verts pour le CO2 ainsi stocké dans les sols.

    L'intérêt du biochar ne se limite pas à stocker le carbone dans le sol. Il soutient, effectivement, l'effort d'augmentation du taux d'humus dans le sol en agriculture. Y compris pour les élevages et même dans les potagers des citoyens, le biochar peut stocker de grandes quantités d'eau et de nutriments qui seront alors disponibles pour les racines des plantes. Il permet d'être colonisé par de grandes quantités de micro-organismes, ce qui est évidemment important dans la biologie du sol et cette propriété rend le biochar intéressant en période de sécheresse.

    Ce charbon végétal est également utile pour faire face aux émanations de méthane générées par le bétail. Associé à l'alimentation des bêtes, il permet de capter ce gaz à effet de serre directement dans l'organisme des animaux, et d'en empêcher la libération dans l'atmosphère.

    Le biochar, issu de déchets végétaux, permettrait donc de valoriser de nombreux résidus agricoles et forestiers, tout en réduisant activement les émissions de gaz à effet de serre de l'agriculture wallonne. Il y a donc là l'opportunité de développer une production locale, circulaire, et innovante.

    Cependant, malgré ces nombreuses vertus, le biochar reste très peu utilisé et produit en Wallonie. Seuls deux distributeurs sont aujourd'hui agréés pour commercialiser du biochar en Belgique.

    Quelles mesures ont été mises en place par le Gouvernement pour développer une véritable filière wallonne du biochar ? Soutiens à l'investissement, appels à projets… ?

    Y a-t-il des projets pilotes à l'étude pour l'instant en Wallonie ?

    Monsieur le Ministre a-t-il prévu de développer en Wallonie de la sensibilisation et du conseil à destination des agriculteurs en vue de développer une utilisation agricole pertinente ?
  • Réponse du 21/03/2022
    • de BORSUS Willy
    Afin de comprendre les enjeux agronomiques liés à l’introduction de biochar dans les sols agricoles, il est utile de bien comprendre l’impact que cet amendement va exercer sur les sols.

    L’action du biochar sur la fertilité du sol et le stockage de carbone va varier dans une large mesure en fonction de deux facteurs principaux : la qualité de la biomasse de départ et les conditions de transformation. Les bénéfices agronomiques retirés d’une application de biochar vont donc dépendre de la qualité du biochar (valeur neutralisante, contenu en nutriments, …), mais aussi de son interaction avec les conditions du sol où il est appliqué et des besoins de la culture. Les biochars contiennent des cendres, produites au cours de la combustion partielle de la biomasse de départ (pyrolyse). Le contenu en cendres varie généralement entre 2 et 10 % pour un biochar produit à partir de biomasse ligneuse, mais peut atteindre > 50 % lorsque le biochar est issu de la transformation de résidus non ligneux. La cendre a généralement un effet chaulant, car elle contient des carbonates et des oxydes basiques, agents neutralisant l’acidité du sol. Le pH du biochar est donc généralement neutre à basique, mais il peut être légèrement acide en présence de résidus soufrés ou azotés. La cendre contient des quantités variables de nutriments (Ca, Mg, K, P, …) sous une forme directement disponible pour la plante, ce qui explique l’action fertilisante des biochars. Cependant, le biochar peut également être une source d’éléments contaminants (métaux lourds, solvants, pesticides) si la biomasse de départ est un bois traité ou contaminé. Il faut donc être extrêmement vigilant quant à la qualité des produits parents.

    D’autres types contaminants, liés cette fois au procédé de fabrication du biochar, sont à craindre. En effet, durant les processus de carbonisation, la température élevée combinée à une atmosphère limitante en oxygène peut générer des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) à la surface du biochar. Certes, leur réelle biodisponibilité reste toujours débattue par la communauté scientifique. Lors d’un procédé de pyrolyse lente, il semble que la production de ce type de molécules soit plus faible qu’en pyrolyse rapide nécessitant une plus haute température. Il n’empêche que ce risque de production d’HAP nocifs tant pour l’environnement que pour la santé humaine existe bel et bien, et nous rappelle la crise de la dioxine. La littérature rapporte d’ailleurs la présence de ces dernières, ainsi que de furanes dans le biochar dont la matière première est riche en chlore.

    Il existe un certificat européen EBC (European Biochar Certificate ; http://www.european-biochar.org) qui garantit des biochars de qualité et d’un faible niveau de risques pour les systèmes agronomiques. Il se base sur les quatre critères suivants :

    - Une production durable de la biomasse de départ ;
    - Une pyrolyse efficiente et faible en émissions atmosphériques ;
    - Un biochar de qualité et de contenu faible en éléments contaminants ;
    - Une dangerosité minimale lors de l’application au champ.

    Les bienfaits des amendements biochar sur la qualité des sols que nous avons l’habitude d’entendre sont à nuancer quelque peu. Concernant la rétention d’eau, le biochar consiste effectivement en une structure poreuse capable de retenir de l’eau par capillarité. Néanmoins, les bénéfices en termes de rétention d’eau ne sont significatifs que pour les sols à texture sableuse, dont la capacité de rétention d’eau est intrinsèquement limitante. Un tel effet ne s’observe pas sur les sols limoneux, possédant un potentiel de rétention d’eau élevé.

    En raison de sa décomposition extrêmement lente, le biochar ne doit pas être considéré comme un engrais organique classique, et ne fait pas partie intégrante du pool d’humus du sol. L’introduction de biochar au sol entraîne effectivement un apport direct en nutriments, rendus disponibles sous forme de cendre par la carbonisation de la biomasse. Par la suite, il n’y aura par contre, plus ou pratiquement plus de libération de nutriments puisque le biochar ne se décompose pas (ou très peu). A contrario, l’application au champ d’un engrais de ferme (fumier, lisier, compo, et cetera) ou l’enfouissement d’un résidu de culture implique un recyclage biologique progressif des nutriments générés par leur décomposition et l’activité microbienne. En conclusion, on ne peut donc pas attendre d’un biochar qu’il stimule l’activité biologique dont les vertus sur la fertilité des sols sont bien connues (fourniture de nutriments pour la plante via la minéralisation, amélioration de la structure du sol, etc.).

    La porosité du charbon de bois pourrait offrir des niches écologiques utiles à certains groupes de microorganismes. Néanmoins, dans un contexte wallon, peu d’effets ont été observés sur l’abondance, l’activité et la diversité des microorganismes de sols agricoles enrichis en biochar du bois par rapport à des sols témoins exempts de biochar.

    Le biochar est pourvu d’une surface d’échange importante en raison de sa porosité élevée et va ainsi exercer un impact sur la rétention des nutriments. En effet, la surface porale du biochar va s’oxyder au cours du temps et développer une charge électrique négative importante et ainsi favoriser la rétention de certains éléments nutritifs, avec une affinité variable (Ca2+ > Mg2+ > K+). Alors que les effets liés à l’application de cendres vont s’amenuiser au fil du temps (comme l’action d’un chaulage ou d’un apport d’engrais minéral), la matrice carbonée va perdurer au sein du sol durant de nombreuses années. Son potentiel de séquestration du carbone à long terme au sein des sols est donc bien réel, et pourrait constituer un levier efficace afin de contrebalancer une partie des émissions anthropiques de gaz à effet de serre.

    Certains auteurs ont observé un effet de réduction des émissions d’oxyde nitreux par les sols. Les plus optimistes d’entre eux voient une double contribution positive du biochar sur le changement climatique : une séquestration à long terme du carbone, et une réduction d’émission de gaz à effet de serre.

    D’autres effets bénéfiques sur l’agriculture tels que l’amélioration des rendements de production, l’augmentation de la disponibilité du phosphore ou la diminution des contaminations par les métaux lourds restent à valider dans les conditions pédoclimatiques de la Wallonie.

    Dans un passé récent, de nombreuses entreprises de valorisation de la biomasse se sont intéressées quant à la possibilité de valoriser certains sous-produits de la pyrolyse de biomasse sous l’appellation « biochar », afin de pouvoir en faire commerce. À ce jour, l’administration wallonne considère le biochar comme un déchet afin d’assurer une traçabilité et un suivi adéquat de leur utilisation sur des terres agricoles, comme pour les autres matières comme les composts ou les digestats. Le peu de dérogations accordées à ce jour pour la vente de biochar aux acteurs agricoles ou de l’horticulture vivrière wallonne se justifie par :
    1) une forme de respect du principe de précaution, l’appellation « biochar » rassemblant une large gamme de produits de composition et de propriétés extrêmement variables ;
    2) l’absence de préconisations techniques claires quant à l’épandage ;
    3) un manque de recul sur les effets à long terme de ce type de produit sur la fertilité des sols, sachant que le temps de résidence du biochar dans le sol est de plusieurs siècles, voire de milliers d’années.

    Néanmoins, le biochar a été récemment reconnu comme matière constitutive des fertilisants dans le nouveau règlement européen (CE) n°1009/2019 sur les fertilisants qui sera d’application à partir de juillet 2022. Cela signifie que le biochar sera alors en vente libre sur les marchés européens, sous réserve d’obtenir au préalable une certification garantissant sa qualité.

    L’utilisation de biochar en agriculture biologique est approuvée en Amérique du Nord pour autant que la matière première soit du bois et non un co-produit de l’élevage.

    Le prix du biochar limite pour le moment son utilisation à des cultures à haut rendement dans des conditions hors sols et sous couverts en production horticole (fruits, légumes, viticulture ou arboriculture) ainsi que pour les plantations d’arbres en milieux urbains. Néanmoins, l’ascension des « soil carbon farming markets » pourraient rapidement changer la donne, puisque l’application de biochar dans les sols possède un haut potentiel de séquestration du carbone dans les sols. Les biochars ont aussi d’autres utilisations possibles comme, par exemple, être ajouté dans la ration distribuée au bétail en tant que régulateur du métabolisme. C’est d’ailleurs la principale utilisation du biochar en agriculture. Ils peuvent également être utilisés dans les traitements des eaux usées et autres rejets industriels.

    Un système de traçabilité à mettre en place, incluant une couteuse surveillance des teneurs en polluants organiques tels que les HAP, aura sans nul doute un impact négatif sur cette filière. D’un autre côté, produit en Wallonie, avec des matières premières locales, le biochar s’inscrirait parfaitement dans la politique de circuits courts.

    Plusieurs projets de recherche sur les biochars sont actuellement en cours impliquant des acteurs régionaux. Notamment, les travaux de thèse de Brieuc Hardy, Martin Zanutel, Victor Burgeon et Darian Dehkordi qui se sont intéressés de l’impact à long terme du biochar sur la fertilité physique et chimique des sols agricoles de Wallonie et le stockage de carbone (Burgeon et al., 2021, 2022; Dehkordi et al., 2020; Hardy et al., 2017, 2019; Pollet et al., 2022; Zanutel et al., 2021).

    Le CRAW est actuellement impliqué dans le projet européen EJP-SOIL Towards climate-smart sustainable management of agricultural soils (https://projects.au.dk/ejpsoil/ ) dont le principal objectif est de créer un environnement propice à l’amélioration de la contribution des sols agricoles aux principaux défis sociétaux tels que l’adaptation et l’atténuation du changement climatique, la production agricole durable, la prestation de services écosystémiques et la prévention de la dégradation des sols, voire leur restauration. Le consortium réunit un groupe de 26 instituts de recherche et universités européens dans 24 pays.

    Un volet de l’étude est l’identification et la caractérisation de pratiques agricoles vertueuses qui permettraient de stocker/séquestrer du carbone dans les sols. Le biochar est une des pratiques parmi d’autres qui est envisagée et qui est en cours d’étude dans le cadre de EJP-SOIL, notamment via le développement des projets CARBOSEQ (objectif : estimer le potentiel de séquestration additionnel de Carbone dans les sols via des modifications de pratiques agricoles, en prenant en compte les contraintes techniques et socio-économiques) et EOM4SOIL (Objectif : proposer les meilleurs pratiques de gestion des matières organiques exogènes en termes de processing et d’application au sol pour contribuer à l’atténuation du changement climatique et à la gestion durable des sols) auxquels le CRA-W participe. In fine, le projet fournira une feuille de route aux décideurs politiques pour favoriser l’adoption de ces pratiques innovantes et vertueuses.

    Par rapport à l’affirmation que « ce charbon végétal est également utile pour faire face aux émanations de méthane générées par le bétail et associé à l'alimentation des bêtes, il permet de capter ce gaz à effet de serre directement dans l'organisme des animaux, et d'en empêcher la libération dans l'atmosphère », la prudence s’impose. En effet, dans le cadre de ses recherches bibliographiques sur les facteurs permettant de réduire les émissions de GES, le CRAW a notamment référencé une revue de synthèse récente (Black et al. 2021) publiée dans ANIMALS qui reprend des résultats contradictoires :
    - des essais in vitro et une étude sur bétail (in vivo) nourris avec des fourrages de qualité médiocre (essais réalisés en 2012) suggèrent que le biochar peut réduire les émissions de méthane par les ruminants (22 % réduction) ;
    - mais, des essais in vivo récents n’ont pas montré d’effet significatif du biochar comme supplément alimentaire pour diminuer les émissions de méthane chez les ruminants.

    En matière de projets pilotes à l’étude pour l’instant en Wallonie, le CRA-W réalise, effectivement, un essai exploratoire sur porcelets en post-sevrage (in vivo) nourris avec un aliment de qualité dans lequel du biochar, d’un producteur wallon certifié, a été introduit. L’hypothèse étant que le biochar va améliorer la santé intestinale et les performances technico-économiques (réduction de la mortalité, amélioration de l’indice de conversion alimentaire et de la vitesse de croissance). Si les résultats sont concluants, la réduction des émissions d’ammoniac et d’odeurs émanant des effluents provenant de porcs nourris avec du biochar ainsi que l'augmentation de la matière organique dans le sol à la suite d’un épandage de ces effluents, pourront être investiguées.