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Les technologies d’élimination du carbone

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 731 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 04/05/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à HENRY Philippe, Ministre du Climat, de l'Energie, de la Mobilité et des Infrastructures
    Le dernier rapport du GIEC a, pour la première fois, affirmé clairement que l'élimination du CO2 était nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques !

    Bien qu'en 2021, moins de 10 000 tonnes de CO2 aient été retirées de l'atmosphère sur les 40 milliards de tonnes émises par an, Monsieur le Ministre peut-il faire le point sur les technologies d'élimination de dioxyde de carbone qui font désormais partie du panel des solutions ?

    Certaines de ces technologies sont-elles en usage sur le territoire wallon ? Lesquelles ? Sont-elles subventionnées et soutenues par les pouvoirs publics ? De quelle manière ? 

    Quelles sont ses ambitions relatives à la captation du CO2 sur la durée de la législature ? Où en est-il à mi-mandat ?

    L'annonce et la prise de position du GIEC n'ont-elles pas pour effet de booster le marché et le secteur du financement ? Perçoit-il des signes porteurs ? Lesquels ?
  • Réponse du 31/05/2022
    • de HENRY Philippe
    Face à l’urgence climatique, il devient clair que la fenêtre d'opportunité se rétrécit pour atteindre en 2100 une augmentation limitée à 1,5°C des températures mondiales, comme encore mis en évidence par le tout récent sixième rapport du GIEC. Une étape vitale pour lutter contre les dérèglements climatiques est d’atteindre dès que possible la neutralité carbone, objectif fixé à 2050 pour l’Union européenne.

    Ce constat amène certain à promouvoir à terme le déploiement massif de technologies de capture de CO2 dans l’air ambiant (Direct Air Capture = DAC) en plus d’autres technologies, telles que la capture conventionnelle (dite pré- / post-/ oxy-combustion) qui consiste à capter le CO2 industriel à son point d'émission (centrale électrique, cimenteries, aciérie …). En effet, il y aura toujours, d’une part, des émissions inévitables (~20-40 % des gaz à effet de serre, pas seulement le CO2), par exemple le méthane et le protoxyde d’azoteprovenant de l'agriculture et le CO2 « fatal » tel que celui du ciment ou de la chaux, d’autre part, environ 10 % de CO2 résiduel après la capture du carbone aux sources concentrées. C'est la raison pour laquelle nous avons aussi besoin de solutions à émissions négatives (on entend par émissions négatives le fait d’aller rechercher à l’aide de pratiques ou de technologies le CO2 qui se trouve dans l’atmosphère à une concentration de l’ordre de 415 ppm (0.04 %) pour le stocker durablement), tel que le DAC, le BECCS (Bioenergy Carbon Capture Séquestration), le reboisement massif (afforestation et reforestation), la fertilisation des océans afin d'en augmenter les populations de phytoplanctons, et cetera.

    Cependant, les technologies de capture de CO2 dans l’air ambiant (DAC- Direct Air Capture) auxquelles l’honorable membre fait référence dans sa question sont des technologies très coûteuses en phase de pré-commercialisation qui présentent des impacts environnementaux non négligeables. Dès lors, il est quasiment impossible de prédire aujourd’hui la place qu’elles prendront à terme dans le gigantesque défi de la lutte contre les changements climatiques. Dans son dernier rapport « Net Zero by 2050 Roadmap », l’Agence internationale de l’Énergie encourage la capture atmosphérique à hauteur de 90 millions de tonnes de CO2 en 2030 et presque un milliard de tonnes (soit 2 % des émissions actuelles) en 2050. Le GIEC estime quant à lui qu’entre 2020 et 2100, le potentiel de ces technologies DAC pourraient être entre 0 et 310 Gt de CO2. Pour la tranche haute de ces estimations extrêmement incertaines, cela voudrait dire que le marché de capture atmosphérique connaîtrait une croissance exponentielle.

    Actuellement, ces technologies sont principalement freinées par leur coût très élevé (besoin d’équipements incluant de grands ventilateurs, consommation de chaleur et d’électricité, gestion des flux d’eau, produits chimiques ...). Retirer une tonne de dioxyde de carbone de l'atmosphère peut coûter entre 100 et 600 euros, voire jusqu'à 1 000 euros. En particulier, ce coût important en comparaison avec la capture dans les fumées industrielles est dû à la nécessité de brasser d’importants volumes d’air dans lequel le CO2 est très dilué. En effet, les machines de DAC utilisent une série d'énormes ventilateurs pour aspirer l'air ambiant et le soumettre à des processus chimiques afin d’en extraire le CO2, tandis que les autres composants de l'air passent au travers. La chaleur, la pression ou d'autres produits chimiques permettent de collecter ce dioxyde de carbone concentré. Il devient alors possible de mettre ce CO2 sous terre, en le mélangeant à de l'eau avant de l'injecter dans le sol où il se minéralise et se transforme en pierre. Mais, étant donné que le dioxyde de carbone ne représente qu'une infime partie de l'air ambiant, les installations doivent en absorber une grande quantité. Cela nécessite de l’ordre de 5 et 10 gigajoules (GJ) d’énergie pour concentrer de la sorte une tonne de CO2. Si ce besoin énergétique énorme est fourni par des énergies fossiles, c’est le serpent qui se mord la queue. Pour que le DAC soit réellement neutre en carbone, il faut donc également avoir accès à des sources d'énergies renouvelables pour alimenter les installations. Or, non seulement l'accès aux énergies renouvelables n'est pas aisé partout dans le monde, mais on peut légitimement se poser la question si l'argent investi dans le captage direct du CO2 ne serait pas mieux employé s'il était directement affecté à des projets renouvelables, de réduction de consommation et d’efficacité énergétique afin d'éviter que le dioxyde de carbone n'entre dans l'atmosphère. De plus, il ne faut pas perdre de vue que les usages des énergies renouvelables pourraient à terme entrer en compétition les uns avec les autres si cette énergie n’était pas assez abondante pour couvrir tous les besoins qui s’annoncent gigantesques.

    Selon l'Agence internationale de l'énergie, 19 installations de captage direct de l'air sont en service dans le monde. Quinze d'entre elles sont exploitées par la société suisse Climeworks. Son installation DAC phare, baptisée Orca, est la plus grande machine de DAC au monde.

    Elle est située en Islande, endroit on ne peut plus idéal, car se trouvant au sommet d'une ligne de faille entre deux plaques tectoniques, ce qui rapproche la chaleur et le magma de la surface. Cela signifie qu'il y a une abondance d'énergie renouvelable d’origine géothermique. Cet environnement volcanique signifie également qu'il y a de la roche basaltique en profondeur. Une fois qu'Orca a extrait le CO2 de l'air, une installation voisine l'injecte dans cette couche de basalte. En deux ans, le CO2 se transforme en pierre. Orca est entrée en service en septembre 2021 et devrait capter environ 4000 tonnes de dioxyde de carbone par an. Cela représente une quantité de CO2 équivalente au retrait de 870 voitures de la circulation. Climeworks prévoit avec le soutien d’investisseurs privés, tel que Microsoft qui lui achète les réductions d’émissions, de faire évoluer l'usine d'Orca d'ici 2024 et vise un déploiement mondial en 2027, ce qui, selon elle, permettrait d’atteindre un demi-million de tonnes de CO2 retiré annuellement à l’atmosphère. Des installations de DAC à grande échelle sont prévues aux États-Unis et en Écosse. Par exemple, l’entreprise Carbon Engineering espère à terme aspirer 1 million de tonnes de CO2 dans son installation située dans le bassin permien entre le Texas et le Nouveau-Mexique. Cela équivaudrait à retirer environ 200.000 véhicules de la circulation. Ces quantités demeurent malgré tout infimes au regard des 50 milliards de tonnes d’équivalent CO2 émises annuellement dans l’atmosphère par les activités humaines.

    Choisie par Climeworks, la technologie DAC fait appel à de l’adsorption : le CO2 est capté par des amines qui recouvrent un filtre poreux à travers lequel l’air circule. Lors d’une deuxième étape, de la vapeur d’eau à 100°C est passée sur le filtre pour en extraire le CO2. Développé par Carbon Engineering, le deuxième procédé utilise des cycles chimiques en phase aqueuse. L’air - et le CO2 qu’il contient - est mis en contact avec une solution de potasse (KOH) pour former un carbonate de potassium. Le CO2 ainsi capté est ensuite transféré dans du carbonate de calcium (CaCO3) lors d’une deuxième étape. Chauffé à plus de 800°C, le CaCO3 se transforme alors en CO2 et en oxyde de calcium (CaO). Pour évaluer si un projet impliquant du DAC est acceptable d’un point de vue environnemental, il est important d’effectuer une analyse complète de son cycle de vie. Or, aujourd’hui les publications sur ces cycles de vie sont très contradictoires. Non réalisable à grande échelle pour certains, bénéfique pour l’environnement pour d’autres. Avant de devenir une réalité à grande échelle, le DAC devra clarifier ses impacts globaux sur l’environnement, tant sur ses consommations d’énergie, que d’eau ou de produits chimiques.

    Bien que les technologies d'élimination du carbone bénéficient parfois d'un soutien de certains gouvernements (par exemple, les USA ont débloqué 14,5 millions de dollars pour soutenir un projet) et du secteur privé, la plupart des scientifiques reconnaissent que le captage direct dans l’air ne peut remplacer la nécessité de décarboner à court terme. Les scénarios et les projections qui suggèrent que la contribution future des DAC à l'élimination du CO2 permettrait de répondre aux objectifs de Paris semblent optimistes sur la base des connaissances actuelles et ne devraient pas servir de base pour développer, analyser et comparer des scénarios de trajectoires énergétiques à long terme. Nous ne devrions pas compter sur ce type de technologies pour compenser les manques de réduction des émissions. Plus globalement, certains craignent que le développement des DAC ne se fasse au détriment de la réflexion à mener en vue de changer de modèle sociétal. La géo-ingénierie pourrait ainsi détourner l'attention de la nécessité de réduire les émissions et donner l'illusion que nous pouvons continuer à utiliser les énergies fossiles indéfiniment ce qui permettrait d’éviter ou de retarder les efforts pour réduire les émissions ici et maintenant en plaçant l’économie mondiale sur une trajectoire plus durable.