/

Le taux d’inactivité des personnes non européennes en Wallonie

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 546 (2021-2022) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 03/06/2022
    • de MAUEL Christine
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    Dans une récente étude, les chercheurs de l'UGent avaient montré que 44,2 % des 25-64 ans (ils ne prennent pas en compte les 18-25 ans dont une bonne part est encore étudiant) ayant une nationalité hors UE-27 sont inactifs, contre 11,5 % de travailleurs et 44,3 % de chômeurs.

    Ce score de 44,2 % est pire que celui de tous les autres pays européens inclus dans Eurostat.

    L'équipe de l'UGent a été incitée à pousser plus loin son analyse. Ils ont notamment ventilé les données par région. On voit qu'en Wallonie, plus de la moitié (51,3 %) des étrangers non européens âgés de 25 à 64 ans ne sont ni à l'emploi ni à la recherche d'un emploi.

    L'inactivité est également particulièrement importante chez les femmes non européennes, pointe l'étude. En Belgique, près de six femmes sur dix (59,3 %) âgées de 25 à 64 ans et n'appartenant pas à l'UE-27 sont inactives.

    Madame la Ministre peut-elle nous dire comment ont été perçues les conclusions de cette étude par le FOREm ?

    Le FOREm va-t-il prendre en compte les recommandations de cette étude ?

    Un focus spécifique sur l'intégration sur le marché de l'emploi, des hommes et des femmes non européens a-t-il déjà été réalisé ?
  • Réponse du 30/06/2022
    • de MORREALE Christie
    La question porte sur une double problématique qui caractérise le marché de l’emploi tant au niveau wallon que belge : celle de l’inactivité et celle de la stratification du marché du travail (groupes vulnérables).

    Outre la création d’emploi de qualité, l’enjeu est de faire croître davantage le taux d’activité de la population en mobilisant la réserve « activable » parmi la population inactive, comme le rappelle justement l’étude de l’UGent de mai 2022.

    Plus largement que dans la population inactive, les « gisements » potentiels de main-d’œuvre couvrent à la fois :
    - les personnes à l’emploi qui souhaiteraient travailler davantage (il est utile de rappeler ici qu’un changement du régime de travail ne fait cependant pas augmenter le taux d’emploi) ;
    - les demandeurs d’emploi en recherche active et employable immédiatement ;
    - les demandeurs d’emploi éprouvant des difficultés à s’insérer sur le marché du travail du fait d’obstacles réels (comme la combinaison difficile d’un emploi et d’une charge de famille), ressentis (comme s’estimer trop âgés pour travailler) ou subis (discrimination à l’embauche). Dans la plupart des cas, non seulement un renfort de compétences s’impose, mais également une politique forte de non-discrimination sur le marché du travail.
    - les inactifs « susceptibles de travailler ». En théorie, la population inactive rassemble des personnes qui ne travaillent pas et ne cherchent pas d'emploi. Il s’agit des étudiants (population en croissance vu l’allongement des cycles d’études), des personnes au foyer, des malades de longue durée, des chômeurs qui ne perçoivent plus d’allocations de chômage et des chômeurs avec complément d’entreprise.

    Ainsi, la deuxième problématique concerne ces sous-groupes qui sont loin d’être homogènes : des disparités frappant le marché du travail qui est ainsi fortement stratifié.

    Plusieurs catégories de personnes sont dites vulnérables sur le marché de l’emploi. Il s’agit des jeunes en général (et plus spécifiquement ceux qui quittent prématurément les études et les NEETS), des personnes âgées d’au moins 50 ans, des personnes peu qualifiées, des personnes issues de l’immigration, des personnes malades ou encore des personnes souffrant de handicap. Selon certaines sources on y recense aussi les femmes, dont la position sur le marché du travail est plus fragile, statistiquement parlant, du point de vue horizontal (secteurs et/ou métiers moins qualifiés, valorisés, moins rémunérés, à haute proportion de temps partiel) et vertical (plafond de verre qui limite l’accession aux plus hautes fonctions).

    Notons que ces caractéristiques correspondent aux critères sur lesquels se fondent les lois anti-discrimination. Mais bien que les pratiques discriminatoires soient entravées par une législation solide, elles peuvent toutefois subsister, de manière indirecte, sans qu’un critère protégé par la loi ne soit directement mis en cause.

    La segmentation verticale du marché de l’emploi concerne en réalité les femmes comme les populations d’origine étrangère, avec un effet cumulatif bien documenté (discriminations croisées). Le marché est aussi dit « ethnostratifié », ce qui fait référence à la répartition inégale des professions et salaires entre différents groupes ethniques.

    L’importance de l’ethnostratification du marché de l’emploi est régulièrement mesurée par un outil issu de la collaboration d’Unia, du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale, du Registre national, de la Banque Carrefour de la Sécurité sociale, de la Commission pour la protection de la vie privée et d’experts. Le « Monitoring socio-économique » a notamment pour but de donner une image de la situation des personnes sur le marché de l’emploi en Belgique, en fonction de deux variables: leur origine et leur historique migratoire.

    Dès 2015, le monitoring mettait en avant les inégalités et la hiérarchisation des positions socio-économiques sur base des origines, et ceci au-delà des différences de genre, d’âge ou de région de résidence. La position défavorable de la Belgique au sein de l’UE était déjà mise en évidence, particulièrement pour les personnes d’origine étrangère sur le marché du travail belge, et plus encore pour ceux nés en dehors de l’UE.

    D’après le monitoring, cette position défavorable s’explique d’une part par des caractéristiques structurelles de notre marché du travail impliquant des difficultés pour tous les groupes « à risque », notamment les personnes d’origine étrangère telles que :
    - l’accès difficile au marché du travail belge, en lien avec les exigences élevées des employeurs ;
    - la faible mobilité professionnelle qui laisse peu d’opportunités aux nouveaux entrants, ce qui pourrait grever la croissance de la productivité et freiner l’innovation ;
    - la dualité ou segmentation que présente globalement le marché du travail : d’un côté, le marché primaire, fait d’emplois stables, offrant des conditions de travail favorables et des salaires élevés ; de l’autre le marché secondaire, aux contrats de travail et aux conditions plus précaires, aux salaires moins élevés ;
    - s’y ajoute l’inégalité des chances dans l’enseignement qui porte un préjudice plus notable aux personnes d’origine étrangère, surreprésentées dans les populations infraqualifiées.

    D’autre part, certains facteurs spécifiques compliquent encore la situation de ces personnes, et se présentent souvent sous forme de cercles vicieux :
    - les discriminations (in)directes, (in)conscientes à leur encontre, et leurs effets corollaires tels que le risque de précarité, qui peuvent rejaillir encore négativement sur l’intégration sur le marché du travail ;
    - la reproduction du capital social et culturel, qui implique un manque de modèles et de soutien pour les jeunes générations (face à l’enseignement, aux perspectives d’emploi) et le découragement qui peut s’ensuivre ;
    -l’héritage de la politique migratoire et d’intégration belge, qui a pu induire des immigrations pour des motifs autres que le marché du travail (regroupement familial par exemple), avec pour conséquence de plus faibles taux d’activité.

    L’intérêt de l’étude de l’UGent est d’attirer l’attention sur des indicateurs moins fréquemment utilisés du marché de l’emploi que les taux d’emploi et de chômage, en montrant l’ampleur des populations inactives.

    En affinant les critères, les constats vont dans le sens déjà établi sur base des positions socio-économiques des taux d’emploi et de chômage : moins bonne situation relative des femmes, moins bonne situation relative des personnes d’origine étrangère, cumul de ces caractéristiques « pénalisantes » sur le marché de l’emploi.


    Bien que l’étude de l’UGent ne donne pas de recommandation à proprement parler, elle remet en avant la nécessité d’affiner les positions économiques sur le marché du travail, classiquement utilisées, pour détecter les groupes potentiellement activables (parmi les inactifs). Les statistiques gagneraient à être ventilées par genre, tranches d’âge, niveaux d’études, origine… et de manière combinée, pour éviter l’attribution d’une causalité à la seule variable analysée.

    En 2016, le Gouvernement wallon, en complément du parcours d’intégration confié aux Centres régionaux d’intégration (« CRI »), a chargé le FOREm de coordonner le trajet d’insertion vers l’emploi du public primo-arrivant en renforçant l’offre existante.

    En réponse, le FOREm a entre autres :
    - renforcé son offre de services aux primo-arrivants par la création de « cellules migrants », dotées de conseillers spécifiques ; des cellules qui collaborent étroitement depuis avec les CRI ainsi que les centres d’accueil (Fedasil, Croix-Rouge) et qui pilotent des projets et/ou des modules de formation dédiés, en fonction des priorités territoriales (4 cellules en tout) ;
    - développé une offre « FLE » (français langue étrangère) axée compétences clés-métier pour développer la langue du travail de façon complémentaire avec l’offre portée par d’autres opérateurs : quel que soit le métier visé, la langue française est étudiée au travers de 3 compétences clés (l’organisation, la communication et les aptitudes techniques) ;
    - développé une offre FLE métier structurelle, selon le modèle d’ingénierie du projet MOVE-EU. Cette formation de +/- 200 heures comporte un stage en entreprise et articule l’apprentissage du français avec le développement d’autres compétences transversales/clés (compétences mathématiques, numériques…), selon les besoins des candidats et les objectifs de formation ;
    - facilité l’accès à la formation qualifiante pour le public francophone et allophone, par la mise en place de remédiation au niveau des compétences de base (français et mathématiques). Le FOREm a ainsi développé un outil d’identification des compétences de base que sont la lecture, l’écriture et le calcul et le repérage spatio-temporel;
    - participé au projet Interreg ‘AB refugies’ sur la région Wapi dans lequel une application linguistique, nommée FACT, a été développée visant à faciliter la communication sur le lieu de travail entre une personne ne maitrisant pas la langue du pays/région/entreprise d’accueil et son employeur, ses collègues ou lors d’une formation avec son formateur. Trois secteurs ont été développés, l’agriculture/horticulture, la métallurgie industrielle et le nettoyage, en 10 langues (Français, Néerlandais, Anglais, Arabe, Pachto, Dari, Roumain, Polonais, Espagnol, Somali ) avec des images et enregistrements sonores. Des développements pour les secteurs HORECA, Emballage et Construction sont en cours ;
    - collaboré avec Fedasil dans le projet AMIF pour la réalisation d’un guide de bonnes pratiques visant à promouvoir l’intégration rapide des ressortissants de pays tiers sur le marché du travail par le renforcement de la coopération et de la mobilisation des employeurs et des partenaires sociaux et économiques ;
    - participé également aux projets du FeBi plus spécifiquement le projet Integra et Soins qui vise la reprise des études d’infirmier·e ou d’aide-soignant·e en offrant un contrat de travail et le projet Jobs et Form qui propose divers postes dans le secteur non marchand au public extra 15-EU.

    Parallèlement, une convention de coopération publique a été conclue en 2017 avec le Setis wallon pour offrir au public cible des prestations d’interprétariat dans certaines langues, notamment lors de leur accompagnement auprès des conseillers spécialisés du FOREm. La convention étant arrivée à échéance le 30 juin 2019, ces prestations d’interprétariat sont maintenant confiées au Setis.

    Enfin, lorsque les personnes doivent disposer d’un diplôme spécifique pour exercer leur métier en Belgique (ex. infirmière), le FOREm les oriente vers le service de l’équivalence de diplôme de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

    Le FOREm n’a pas mis en place de mesures spécifiques pour les femmes primo-arrivantes. Elles sont accompagnées par les conseillers migrants et, au besoin, orientés vers des partenaires qui organisent des activités spécifiques pour les femmes comme : Vie Féminine, SOFFT, La Maison des femmes d’ici et d’ailleurs, Espace 28, Collectif femmes, Maison Plurielle, Génération Espoir ou encore vers les CRI.

    Le FOREm soutient donc l’ensemble des primo-arrivants dans leurs démarches pour s’intégrer dans le marché de l’emploi. Ces personnes sont, si cela s’avère indiqué et possible, orientées vers les métiers en pénurie, soit en leur proposant directement des offres d’emploi si elles disposent des compétences demandées, soit en les orientant vers des formations qualifiantes en lien avec ces métiers.

    Cela étant, suivant une analyse réalisée en 2017 sur le niveau de qualification attendu pour les offres concernant les métiers identifiés comme en pénurie, montre que 55 % des offres demandent une qualification du niveau de l’enseignement secondaire supérieur. 30 % concernent des postes destinés à des personnes disposant du baccalauréat et 15 % des offres sont destinées aux personnes disposant d’un master.

    Cependant, on constate que 30 % des primo-arrivants sont peu qualifiés (diplôme du niveau primaire obtenu dans leur pays d’origine), 37 % le sont moyennement (diplôme niveau secondaire), et 24 % possèdent un diplôme de l’enseignement supérieur obtenu à l’étranger. Ce dernier groupe comprend surtout des diplômés en sciences économiques, sciences politiques et relations internationales, originaires de l’Afrique subsaharienne. Toutefois, la grande majorité de ces titres ne sont pas reconnus en Fédération Wallonie-Bruxelles. Par exemple, à peine 3 % des personnes disposant d’un diplôme d’études supérieures bénéficient de l’équivalence de leur titre.

    Entre le 1er janvier 2016 et la fin mai 2022, 19 219 migrants (demandeurs de la protection internationale, réfugiés et les personnes qui bénéficient d’une protection subsidiaire ou temporaire et qui résident depuis moins de 3 ans en Wallonie) ont été enregistrés. Parmi eux, 9 165 personnes sont entrées en accompagnement. Parmi celles-ci, 3 724 sont entrées en formation, et 6 174 ont connu au moins 1 jour dans l’emploi salarié belge (soit 67,3 %). Les personnes sont accompagnées sur base volontaire, certaines ne demandent donc pas un accompagnement spécifique, d’autres déménagent vers les autres régions ou trouvent un emploi par eux-mêmes.

    Ces 14 et 15 juin 2022 s’est tenue la deuxième conférence interfédérale sur l'emploi, avec pour thème l'intégration des personnes d'origine étrangère sur le marché du travail. Les conclusions de cette rencontre seront publiées à l’automne. Le FOREm reste disponible pour intervenir auprès de ses usagers, en fonction des recommandations politiques qui auront été retenues à l’issue des débats.