Information manifestement électorale diffusée par la ville de Thuin pendant la campagne élec torale et sponsorisée par une entreprise par ailleurs soumissionnaire de la ville.
Session : 2006-2007
Année : 2006
N° : 18 (2006-2007) 1
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Question écrite du 09/10/2006
de CHERON Marcel
à COURARD Philippe, Ministre des Affaires intérieures et de la Fonction publique
Il me revient que, durant la semaine du 25 septembre 2006, les habitants de la ville de Thuin ont pu recevoir dans leur boîte aux lettres un folder portant la mention « La sécurité routière aux abords de nos écoles : une priorité … ».
Ce folder, que je me permets de joindre à la présente question, contient un message du député-bourgmestre de la ville, un message de l'échevin de l'enseignement, ainsi que la photo de ces deux mandataires.
Cette pratique m'interpelle à plus d'un titre, d'autant plus qu'elle intervient moins de deux semaines avant le scrutin local. Elle rejoint plusieurs des questions que j'ai déjà adressées à Monsieur le Ministre, mais les dépasse également.
Une fois de plus, cette documentation distribuée à la population n'est pas signée par le secrétaire communal, comme le prescrit la législation quant à la correspondance communale.
Cela pourrait laisser penser que ce sont en réalité des candidats aux élections communales qui s'expriment. Dans cette hypothèse, pourquoi les candidats utilisent-ils leurs titres, ou l'emblème de la ville par exemple, la publication prenant ainsi les apparents d'une communication officielle ?
Plus fondamentalement, pourquoi la diffusion de cette information a-t-elle alors fait l'objet d'une discussion et d'une décision du collège des bourgmestre et échevins ?
Les comptes-rendus des séances du collège des bourgmestre et échevins du 17 mai 2006 et du 31 août 2006, que Monsieur le Ministre trouvera également en annexe à la présente, m'ont en effet été transmis et font clairement état de discussions portant notamment sur les photos des mandataires, sur la période de distribution ou sur l'imputation des dépenses dans les dépenses électorales ( !).
Les délibérations du collège précisent que l'impression et l'envoi de ce folder sont financés par la Société Wolters, dont la référence apparaît du reste sur le document. Or la loi du 7 juillet 1994 interdit formellement tout don d'entreprise, en particulier pendant toute campagne électorale.
Monsieur le Ministre a d'ailleurs eu l'occasion de me préciser, à l'occasion d'une question écrite précédente, que le sponsoring d'activités politiques était également interdit. L'infraction m'apparaît dès lors tout à fait certaine, également à cet égard.
Ce sponsoring s'avère d'autant plus problématique que la Société Wolters est l'entreprise qui a fourni le mobilier urbain aux abords des écoles, marché dont les conditions ont été définies en juillet 2005 et modifiées en décembre 2005, pour un montant d'un peu moins de 140.000 euros.
Je n'ai pas l'habitude d'agir par rumeur ou soupçon infondé. Il reste que la situation décrite aboutit à voir le soumissionnaire d'un marché public financer la campagne électorale déguisée de membres de l'organe qui lui a attribué le marché.
Je souhaite dès lors interroger Monsieur le Ministre à ce sujet, afin d'établir avec lui la légalité d'une pareille pratique.
Une autorité communale peut-elle transmettre pareille correspondance avec photo du bourgmestre et de son échevin pendant la campagne électorale, du reste sans signature du secrétaire communal ?
Des candidats peuvent-ils utiliser leurs titres et l'emblème de la commune dans le cadre de leur campagne électorale ?
Un collège des bourgmestre et échevins peut-il délibérer de la campagne électorale de certains de ses membres ?
Monsieur le Ministre peut-il confirmer que le sponsoring mis en œuvre en l'espèce est interdit ? Peut-il m'indiquer si l'attribution, à l'entreprise en cause, d'un marché public de fournitures du mobilier urbain pour les abords des écoles est de nature à constituer une circonstance aggravante de cette opération de communication ?
Monsieur le Ministre peut-il préciser si les candidats en cause peuvent mentionner cette publication dans leurs dépenses alors que l'intégralité de son coût (1.400 euros) a été payée par l'entreprise susvisée ? Peut-il confirmer que, le cas échéant, une telle mention n'enlèverait rien aux illégalités susvisées ?
Je sais que certains candidats comptent introduire une réclamation auprès de la Commission de contrôle régional. Compte tenu de la diversité d'illégalités et de la gravité de la problématique, quel suivi Monsieur le Ministre a-t-il assuré, pour sa part, face à cette confusion à multiples dimensions ?
Réponse du 06/11/2006
de COURARD Philippe
La question posée par l'honorable Membre a retenu ma meilleure attention. Je me permets toutefois de manifester immédiatement le trouble que m'inspirent, d'une part, un titre qui me paraît tout particulièrement péremptoire et fermé au moindre débat et, d'autre part, un développement fondé sur les notions de dépenses et de contenu des communications électorales, thématiques qui relèvent, sur pied de la législation applicable, des compétences de la Commission de contrôle du Parlement wallon, laquelle organise souverainement ses travaux et n'appelle en aucune manière la moindre indication de la part d'un membre de l'Exécutif. Aussi, les lignes qui suivent entendent-elles se limiter au commentaire prudent des informations dont je puis disposer et, plus particulièrement, d'un arrêt du Conseil d'Etat.
L'envoi de lettres officielles imprimées sur les feuilles à entête d'une ville aux habitants du lieu par un échevin des travaux, par ailleurs candidat aux élections de 1994, et les informant de travaux réalisés, a fait l'objet d'un arrêt du Conseil d'Etat (arrêt n° 51.970 du 3 mars 1995).
Dans cet arrêt, la plus haute juridiction administrative a notamment jugé que :
(…) « Le débat électoral porte naturellement, entre autres, sur l'appréciation de la gestion de la majorité sortante ; qu'on ne peut donc dénier aux candidats de celle-ci le droit de défendre la politique qu'elle menée et de faire état de ses réalisations, notamment, comme en l'espèce, en matière de travaux ;
Considérant qu'une telle propagande ne peut être admise lorsque le procédé utilisé crée une confusion entre le mandataire et le candidat, qui implique une tentative illicite de pressions sur les élections et porte atteinte à leur libre choix au moment du vote ;
Considérant que l'envoi de lettres officielles à des électeurs n'est pas illicite lorsque ces lettres ont un contenu purement informatif et ne contiennent aucune incitation à voter pour leur signataire ou pour la liste sur laquelle il est candidat ;
Considérant que les lettres dont font état les requérants ne contiennent que des informations ; que si elles mettent en évidence les réalisations de l'échevin, elles ne comportent aucune mention partisane ; que, par ailleurs, il n'est pas interdit, au cours d'une campagne électorale, de faire état d'un titre ou d'une fonction » (…)
En l'espèce, le folder querellé par les soins de l'honorable Membre et divisé en trois parties (sécurité, sensibilisation, prévention), semble être de nature purement informative. Il fait, en effet, état des différentes mesures mises en place en matière de sécurité routière (aménagement de zone 30, placement de radars préventifs, etc.). Ces mesures ont, par ailleurs, été prises dans le cadre du Plan communal de mobilité et du Plan de déplacements scolaires. Le document incriminé ne me paraît comporter aucune mention partisane, ni référence au groupe politique du bourgmestre et de l'échevin de l'enseignement.
Comme l'a précisé le Conseil d'Etat dans son arrêt, il n'est nullement interdit à des mandataires de faire état, au cours de la campagne électorale, de leurs réalisations, comme c'est le cas en matière de sécurité routière.
Toutefois, ce folder comprend certaines mentions qui semblent l'assimiler à une correspondance de la commune (je relève notamment les emblèmes de la ville, ou encore la mention du collège). Il aurait donc dû, en principe, être signé par le bourgmestre et contresigné par le secrétaire communal, comme le prescrit l'article L1132-3 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation. La présence du contreseing du secrétaire communal sur le document permet, en effet, de certifier l'authenticité de celui-ci.
En ce qui concerne l'utilisation des emblèmes d'une commune, il n'existe actuellement aucune législation concernant l'usage des armoiries communales par les mandataires, candidats et partis politiques. La prudence est donc de rigueur en la matière, et ce, afin d'éviter une confusion entre une communication officielle et une propagande électorale. Par contre, il n'est nullement interdit aux candidats de faire état de leur titre au cours de leur campagne électorale.
Ce folder, envoyé à quelques semaines des élections communales, semble s'inscrire dans le cadre de la campagne électorale de ces deux mandataires (photos des deux mandataires).
Au niveau des dépenses électorales et du financement des campagnes électorales par des sociétés, en l'espèce par la Société Wolters SA, il y a lieu de se référer à la loi du 7 juillet 1994 relative à la limitation et au contrôle des dépenses électorales engagées pour les élections des conseils provinciaux, communaux et de districts et pour l'élection directe des conseils de l'aide sociale.
Comme cela a déjà été rappelé à plusieurs reprises, cette législation a fait l'objet d'une interprétation par la Commission fédérale de contrôle des dépenses électorales et de la comptabilité des partis politiques en vue des élections communales et provinciales du 8 octobre 2000.
Il y a lieu de souligner à cet égard que, dans un souci d'interprétation uniforme des règles applicables, les présidents des différentes Commissions de contrôle (fédérale et régionales), avaient conclu un protocole d'accord par lequel ceux-ci s'engageaient à appliquer l'interprétation de la loi du 4 juillet 1989 telle qu'elle était exposée dans le vade mecum du 9 avril 2003 (concernant les élections législatives).
Toujours dans un souci d'interprétation uniforme, et bien qu'un tel protocole d'accord ne soit pas intervenu dans ce sens, il y a lieu, sauf décision contraire de la Commission spéciale de contrôle des dépenses électorales, d'interpréter la loi du 7 juillet 1994 à la lumière du commentaire précité de la Commission fédérale de contrôle.
Il semble, à la lecture des documents transmis par l'honorable Membre, que la Société Wolters SA ait octroyé à la ville une certaine somme d'argent pour l'organisation de cette campagne (le concours de dessins et le folder).
Or, aux termes de l'article 13 de la loi du 7 juillet 1994, seules les personnes physiques peuvent, en principe, faire des dons à des partis politiques et à leurs composantes, à des listes, à des candidats et à des mandataires politiques. Les dons d'entreprises aux partis politiques et à leurs composantes, aux listes, aux candidats et aux mandataires politiques sont donc interdits. L'article 13 vise tout donateur constitué en personne morale, qu'il s'agisse de sociétés commerciales ou d'asbl, ou même d'associations de fait. La notion d' « entreprises » vise donc à exclure tout autre donateur que les donateurs particuliers.
Selon la Commission fédérale de contrôle des dépenses, il doit être entendu que les dépenses qui seraient faites à titre gratuit ou pour un montant manifestement sous facturé par des entreprises, sont également interdites.
Je rappelle à l'honorable Membre que le Code de la démocratie locale et de la décentralisation a confié le contrôle du respect de la loi du 7 juillet 1994 à la Commission régionale de contrôle des dépenses électorales. Seule cette dernière est donc habilitée à se prononcer sur le fond du dossier.