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La portée de l’article 10 du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 847 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 20/07/2022
    • de SCHYNS Marie-Martine
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    L'article 10 du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale traite des « voies conventionnelles » en ces termes :
    « Les communes et les propriétaires de parcelles libres de charges et servitudes peuvent convenir d'affecter celles-ci à la circulation du public. Ces conventions sont conclues pour une durée de vingt-neuf ans au plus, renouvelables uniquement par une nouvelle convention expresse. Ces conventions sont transcrites sur les registres du conservateur des hypothèques dans l'arrondissement où la voirie est située.
     
    La voirie communale est créée, modifiée ou supprimée sur les assiettes ainsi constituées conformément aux dispositions du présent chapitre pour une durée qui ne peut excéder le terme de la convention.
     
    Le Gouvernement arrête les mesures d'exécution du présent article ». 
     
    Il en résulte que les conventions susceptibles d'être conclues ont pour objet d'affecter un terrain privé « à la circulation du public » et que, d'autre part, « la voirie communale est créée, modifiée ou supprimée sur les assiettes ainsi constituées conformément aux dispositions du présent chapitre ». Il en ressort donc explicitement qu'il s'agit bien de « créer une voirie communale » et que, par voie de conséquence, il est prévu de suivre la procédure prévue par le Titre 3, chapitre 1er du décret en vue de cette création soit les articles 7 à 26, avec toute la procédure d'enquête publique, la publication de celle-ci dans un quotidien, etc..).
     
    Effectivement l'article 2, 1°, du décret dispose que l'on entend par « voirie communale », une « voie de communication par terre affectée à la circulation du public, indépendamment de la propriété de son assiette, y compris ses dépendances qui sont nécessaires à sa conservation, et dont la gestion incombe à l'autorité communale ». Or les conventions visées à l'article 10 du décret ont précisément pour objet d'affecter un terrain privé « à la circulation du public » et elles ont donc ainsi pour objet de créer une « voirie communale » au sens de l'article 2, 1°, précité, même si c'est à durée déterminée.
     
    Par ailleurs, l'article 7, alinéa 1er, dispose que, « sans préjudice de l'article 27, nul ne peut créer, modifier ou supprimer une voirie communale sans l'accord préalable du conseil communal ou, le cas échéant, du Gouvernement statuant sur recours ». Il en ressort donc qu'à l'exception de la possibilité de créer une voirie communale par prescription suite à un usage du public, une voirie communale ne peut être créée que selon la procédure prévue aux articles 8 et suivants du décret. Il n'est pas fait exception à l'application de cette procédure lors de la création d'une voirie communale par l'intermédiaire de la convention préalable prévue à l'article 10 du décret, lequel rappelle qu'il y a également lieu de suivre cette procédure dans cette hypothèse.
     
    Tel que cela ressort notamment des travaux préparatoires, la possibilité pour les communes et les propriétaires de terrains de conclure la convention visée à l'article 10 du décret a été principalement prévue afin d'offrir la garantie auxdits propriétaires que la voirie communale établie temporairement sur une assiette déterminée conventionnellement sur leurs terrains n'emportera pas, à terme, la perte de la propriété de cette assiette ou l'établissement d'un quelconque droit sur cette propriété (voir à ce propos Projet de décret relatif à la voirie communale, Doc. parl. wal., session 2013-2014, n° 902/8, Rapport présenté au nom de la Commission des travaux publics, de l'agriculture, de la ruralité et du patrimoine, p. 4). 
     
    En réalité, cette convention basée sur l'article 10 du décret ne peut être appréhendée que comme étant un préalable nécessaire à la création d'une voirie communale sur un terrain privé, tout en permettant aux communes et aux propriétaires de convenir librement du passage et de la circulation du public. 
     
    En ce sens, il ressort ainsi des travaux préparatoires que, « sur l'assiette ainsi constituée, une voirie peut ensuite être créée, modifiée ou supprimée, dans les conditions ordinaires que prévoit le chapitre Ier » et qu'« il s'agira d'une voirie communale à part entière, si ce n'est qu'elle se trouvera sur une assiette déterminée conventionnellement et pour un terme déterminé, quoique renouvelable » (Projet de décret relatif à la voirie communale, Doc. parl. wal., session 2013-2014, n° 902/1, Commentaire des articles, p. 7).
     
    Cependant, comme l'indique un auteur de référence, Madame Vassart dans son ouvrage « Le nouveau régime juridique des voiries communales, UVCW 2016, p. 63, « le commentaire des articles sème le doute à cet égard puisqu'il précise que sur l'assiette ainsi constituée, une voirie peut ensuite être créée, modifiée ou supprimée, dans les conditions ordinaires que prévoit le chapitre Ier » ». Celle-ci évoque ensuite l'hypothèse que (par l'utilisation du verbe « peut ») « la création de voiries conformément au décret et selon les procédures qu'il prévoit sur les assiettes «  conventionnées » ne serait donc plus qu'une faculté ». Selon l'exposé des motifs (PW 26.11.2012, N° 902,/1, p7) : « il s'agira d'une voirie communale à part entière, si ce n'est qu'elle se trouvera sur une assiette déterminée conventionnellement et pour un terme déterminé quoique renouvelable ».

    Il est incontestable que les travaux préparatoires sont susceptibles de semer le doute. Ainsi, à la suite d'une question d'un parlementaire afin précisément de savoir si la convention visée à l'article 10 du décret pouvait avoir une existence autonome, Monsieur le Ministre compétent a répondu expressément ce qui suit :
     
    « […]. Une convention peut être passée de manière à autoriser pendant une durée déterminée et convenue le passage, avec éventuellement des conditions supplémentaires. C'est une négociation entre la commune et le propriétaire, et cela peut se limiter à cela, c'est un simple usage du public, une servitude de passage. Ou alors, on peut aller plus loin et entamer, sur base de la convention, la procédure de création d'un chemin avec la durée reprise dans la convention.
     
    Ce sont deux niveaux différents. Si l'on va plus loin et que l'on crée la voirie pendant la durée déterminée de la convention, la commune prend aussi la charge d'entretien puisque l'on est dans une vraie création de voiries, même si son sort au bout d'un certain nombre d'années a été convenu » (Projet de décret relatif à la voirie communale, Doc. parl. wal., session 2013-2014, n° 902/8, Rapport présenté au nom de la Commission des travaux publics, de l'agriculture, de la ruralité et du patrimoine, p. 22).
     
    Cependant, si telle était la volonté de Monsieur le Ministre,(sur base des travaux parlementaires) la lecture combinée des dispositions du décret proprement dit ne semble pas permettre légalement une telle application. À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, « un texte clair ne s'interprète pas, même s'il ne paraît pas correspondre à la volonté de son auteur » (voy. C.E., n° 252.999, 16 février 2022, ASBL LES VERSANTS DE LA DYLE et consorts; n° 238.117, 8 mai 2017, COMMUNE DE FAIMES). Les travaux préparatoires d'un texte légal clair n'ont pas de priorité par rapport audit texte, indépendamment de la volonté de son auteur. 
     
    Cette lecture des dispositions du décret est confirmée par Monsieur D. LAGASSE, Professeur de droit public à la faculté de droit de l'ULB et éminent auteur de doctrine en la matière, qui expose qu'« une fois conclue cette convention en vue d'organiser la circulation du public sur un chemin privé, la procédure prévue aux sections suivantes doit ensuite, en un second temps, être suivie pour créer, modifier ou supprimer la voirie communale « sur les assiettes ainsi constituées à titre temporaire » (art. 10, al. 2) ». 
     
    Monsieur LAGASSE précise encore, en note de bas de page, que « c'est donc à notre sens inexactement qu'au cours des travaux préparatoires, le ministre a fait la distinction entre une servitude de passage et une « vraie création de voiries » […], alors que l'article 10, alinéa 2, ne contient pas une telle distinction, ce qui est normal compte tenu, d'une part, du caractère temporaire de toute voirie conventionnelle de sorte qu'elle constitue bien une « vrai voirie » communale pendant la durée convenue et, d'autre part, de ce qu'une servitude publique de passage, contrairement à ce que pense le ministre, a toujours constitué une « vraie voirie » communale (cfr. du reste l'article 28, alinéa 1er, qui consacre ce principe jurisprudentiel classique) » (D. LAGASSE, « La nouvelle voirie communale en Région wallonne - Analyse du décret wallon du 6 février 2014 relatif à la voirie communale », Revue Aménagement-Environnement, Liège, Kluwers, 2015/1, p. 9 ; D. LAGASSE, « Sentiers et chemins publics : questions de prescription - La prescription extinctive et acquisitive des voiries publiques communales », in La prescription en droit immobilier - Principes généraux et aspects pratiques, sous la direction de L. BARNICH et M. VAN MOLLE, Limal, Anthemis, 2017, p. 109).
     
    Il ne s'agit pas du seul auteur à avoir cette lecture. Il est en effet encore cité et suivi par Madame Ariane SALVE, assistance et maître de conférence à l'ULg, selon laquelle, « en effet, l'on peut s'étonner de la résurgence de cette question lors des travaux préparatoires alors que l'article 2 précité du décret précise qu'une voirie communale est une « voie de communication par terre affectée à la circulation du public, indépendamment de la propriété de son assiette [surligné en italique par l'auteur], y compris ses dépendances qui sont nécessaires à sa conservation, et dont la gestion incombe à l'autorité communale » » (A. SALVE, « Chemins vicinaux 2.0 à l'épreuve du droit privé des biens - Impact du décret wallon du 6 février 2014 relatif à la voirie communale », Revue de droit communal, Liège, Kluwers, 2018/4, p. 6). 
     
    En conclusion, force est de constater au vu des développements doctrinaux qui précèdent que la convention visée à l'article 10 du décret relatif à la voirie communale ne pourrait légalement avoir une existence autonome. La procédure prévue par les articles 8 et suivants du décret doit ainsi ensuite être appliquée afin de valablement créer la voirie convenue, laquelle est une voirie communale au sens dudit décret pendant la durée de validité de la convention.

    Il est évident que si toute la procédure des articles 7 à 26 du décret doit être poursuivie en plus de la rédaction et de l'adoption de la convention entre les parties (la commune et les propriétaires) pour créer une voie conventionnelle, rarissimes seront les cas où la voie conventionnelle tirée de l'article 10 du décret sera réalisée, en raison de la lourdeur de la procédure pour une simple voie conventionnelle à durée déterminée.

    Qu'en est-il alors des effets juridiques d'une convention prise sur base de l'article 10, mais dont la procédure visée aux articles 7 à 9, et 11 à 26 du décret n'a pas encore été menée à son terme ?

    Cette convention signée entre les parties avec les conditions qu'elles ont fixées peut-elle être appliquée sur le terrain en attendant la finalisation de la procédure visée aux articles 7 à 9 et 11 à 26 du décret ?

    Si les clauses de la convention peuvent être appliquées sur le terrain en attendant la finalisation de la procédure des articles 7à 9 et 11 à 26 du décret, qui de la commune ou du propriétaire est juridiquement responsable de la gestion et de la police de l'assiette déterminée dans la convention tant que la procédure des articles 7 à 9 et 11 à 26 n'a pas été finalisée ?

    Si les clauses de la convention basée sur l'article 10 du décret ne peuvent pas être appliquées sur le terrain en attendant la finalisation de la procédure des articles 7 à 9 et 11 à 26 du décret, une commune et des propriétaires qui ne souhaiteraient pas réaliser cette lourde procédure pour une simple voie conventionnelle, peuvent-ils encore établir entre eux (comme cela s'est fait fréquemment avant l'entrée en vigueur du décret) des conventions pour créer un droit de passage accessible à certaines catégories de personnes telles que les piétons, les cyclistes ou les cavaliers, pour une durée déterminée de par exemple 29 ans sur une assiette appartenant à un propriétaire consentant et sans faire référence à l'article 10 du décret ?

    Si la possibilité d'établir conventionnellement un droit de passage pour certaines catégories de personnes tel qu'envisagé sous c), existe toujours, ladite convention peut-elle prévoir, au nom de l'utilité publique de ce passage, des clauses par lesquelles la commune assumerait l'entretien de l'assiette où s'exerce ce droit de passage pour certaines catégories de personnes, son balisage et la police de cette assiette mise à disposition par un propriétaire consentant pour une durée déterminée de moins de 30 ans  renouvelable ?

    Si la possibilité évoquée en c) et d) n'est plus envisageable au vu des dispositions de l'article 10 du décret qui serait ainsi « contourné », Monsieur le Ministre n'estime-t-il pas opportun de soumettre au Parlement une disposition décrétale qui soustrairait l'article 10 du titre 3, chapitre 1er et créerait pour l'article 10, toujours dans le titre 3 du décret, un chapitre 1er bis afin d'éviter que les voies conventionnelles soient soumises aux lourdes dispositions des articles 7 à 9 et 11 à 26 du dit chapitre 1er ?
  • Réponse du 18/08/2022
    • de BORSUS Willy
    Le décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale repose sur deux principaux fondamentaux, rappelés dès les premières lignes de l’exposé de ses motifs (Parl. wal., 902(20132014), n°1, p. 4.).

    D’une part, il établit une seule catégorie de voirie communale : « pour des raisons d’adaptation aux exigences de la vie moderne et de simplification administrative, » le décret « fusionne la voirie vicinale et la voirie innomée. Seule subsistera donc la catégorie de « voirie communale ». La voirie communale est vouée à être régie par ce seul avant-projet de décret, véhicule juridique autonome ». « Les mêmes motifs imposent que la voirie communale ne se décline pas non plus en différentes catégories. De telles catégories figeraient par ailleurs la vie en entravant la mobilité sous toutes ses formes et en rendant plus complexe le régime juridique dont les objectifs sont rappelés dès le premier article du décret ».

    D’autre part, deux voies existent désormais pour créer une voirie communale : « Les communes sont gestionnaires de leurs voiries. Cela représente une responsabilité et une charge financière fort importante. Il se justifie donc que la création, la modification et la suppression de telles voiries obéissent à des règles strictes et impératives, et uniquement à ces règles. » Les voiries ne peuvent donc pas être créées autrement que par une décision préalable du conseil communal ou, le cas échéant, du Gouvernement statuant sur recours (article 7 du décret) ou « par l'usage du public par prescription de trente ans, ou par prescription de dix ans si elle est reprise dans un plan d'alignement » (article 27).

    L’article 60, §1er, 3°, du décret érige en infraction pénale la création d’une voirie sans l’accord préalable du conseil communal ou du Gouvernement, sans préjudice bien sûr de la possible création par l’usage du public dans les conditions légales.

    L’article 10 du décret ne s’écarte pas de ces principes. Il les module pour favoriser :
    - la mise à disposition conventionnelle d’une assiette ;
    - pour qu’une voirie puisse y être créée conformément à l’article 7 du décret ;
    - pour une durée déterminée.

    Ceci fait, le mécanisme de la création de voiries par l’usage du public est inhibé (article 31 du décret).

    La doctrine que l’honorable membre cite décrit parfaitement le mécanisme, sauf que je ne partage pas cette appréciation selon laquelle les travaux préparatoires sèmeraient le doute sur ce sujet.

    En effet, ce n’est pas la convention qui crée la voirie, mais la décision de l’autorité compétente.

    Or, il peut advenir que la décision du conseil communal soit négative ou qu’elle soit réformée en degré de recours ou que la décision favorable en degré de recours soit annulée par le Conseil d’État. C’est tout le sens de la procédure administrative qui inclut l’évaluation préalable des incidences, la participation du public, la prise d’avis, et cetera, bref, toutes les garanties pour qu’une décision soit prise conformément aux objectifs du décret.

    Cette éventualité devra être prise en considération dans la rédaction de la convention, mais l’exercice est connu, qui consiste à articuler une convention avec les exigences légales auxquelles son exécution est assujettie. La circonstance que la commune soit partie à cette convention la rendra d’ailleurs attentive à ne pas s’engager sur l’exercice des pouvoirs que le décret attribue à son conseil communal pour délibérer sur les questions de voirie.

    Les travaux préparatoires indiquent donc judicieusement qu’« il s’agira d’une voirie communale à part entière, si ce n’est qu’elle se trouvera sur une assiette déterminée conventionnellement et pour un terme déterminé quoique renouvelable » (Parl. wal., 902(20132014), n°1, p. 7. La doctrine autorisée qu’elle cite souligne bien que l’opération se réalise en deux temps : « une fois conclue cette convention en vue d’organiser la circulation du public sur un chemin privé, la procédure prévue aux sections suivantes doit ensuite, en un second temps, être suivie pour créer, modifier ou supprimer la voirie communale « sur les assiettes constituées à titre temporaire » (art. 10 al. 2) » (Lagasse, D., « Droit de la voirie. Droit de la domanialité publique », RPDB, Bruxelles, Larcier, 2019, n°359).

    Vu ce qui précède, les questions qu’elle pose appellent les réponses suivantes :
    1. La convention conclue sur pied de l’article 10 du décret produira sans doute les effets qui s’attachent à toute convention valablement conclue. Elle ne pourra néanmoins pas avoir pour effet de créer ou modifier une voirie sans la délibération requise par l’article 7 du décret et sanctionnée par l’article 60, §1er, 3°, du décret ;
    2. La question concernant les conventions créant des droits de passage pour certaines catégories d’usagers appelle une réponse négative si ces conventions ont pour effet de créer une voirie au sens du décret (voy. l’article 2, spécialement les 1° et 8°) sans la délibération requise par son article 7 et sanctionnée par son article 60, §1er, 3° ;
    3. Il n’y a pas lieu de modifier le décret dans le sens suggéré, car cela reviendrait à en modifier les principes fondamentaux que j’ai d’emblée rappelés, à savoir une seule catégorie de voiries communales et deux voies seulement pour les créer.