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La portée de l'article 30 du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 848 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 20/07/2022
    • de SCHYNS Marie-Martine
    • à BORSUS Willy, Ministre de l'Economie, du Commerce extérieur, de la Recherche et de l'Innovation, du Numérique, de l'Aménagement du territoire, de l'Agriculture, de l'IFAPME et des Centres de compétences
    L'article 30 du décret du 6 février 2014 relatif à la voirie communale stipule : « Les voiries communales ne peuvent pas être supprimées par prescription »

    Cet article fait suite au décret 234 du 3 juin 2011 qui avait modifié l'article 12 de la loi du 10 avril 1841 relative aux chemins vicinaux, lequel article stipulait « Les chemins vicinaux tels qu'ils sont reconnus et maintenus par les plans généraux d'alignement sont imprescriptibles aussi longtemps qu'ils servent à l'usage public (…) en supprimant les mots « aussi longtemps que les chemins vicinaux servent à l'usage public ».

    Cette modification décrétale a cependant eu une application limitée dans la mesure où l'avis du Conseil d'État sur cette proposition de décret (signée par tous les partis démocratiques du Parlement wallon en 2011) précisait que cette adoption ne préjuge pas des droits acquis antérieurement à l'entrée en application du décret.

    Ce décret est entré en application le 1er septembre 2012 et, depuis lors, des requérants se sont pourvus devant les tribunaux en faisant valoir une prescription trentenaire échue au 1er septembre 2012 de chemins ou sentiers vicinaux figurant à l'atlas (plan général d'alignement ou de délimitation).

    Pour ce faire, il leur incombe de citer la commune concernée devant le juge de paix. Celle-ci désigne alors soit un avocat soit l'un de ses membres pour faire valoir devant le juge le point de vue de l'autorité compétente en matière de suppression de voirie (quelle qu'en soit la raison), à savoir le conseil communal, mais sans délibération préalable de celui-ci puisque juridiquement il s'agit d'une action ou la commune est théoriquement défenderesse et où donc le collège communal est théoriquement seul compétent.

    Dans un certain nombre de cas, notamment quand le requérant est proche d'autorités locales peu intéressées par la défense de leur petite voirie menacée d'accaparement, la citation de la commune fait en réalité l'objet d'une discrète entrevue préalable entre le requérant et les autorités communales concernées et il résulte de cette concertation que certains collèges communaux se laissent séduire par le caractère expéditif de cette procédure qui évite l'enquête publique en vue de la suppression de ladite voirie et ses inévitables levées de boucliers et permet une fermeture discrète du chemin ou sentier à l'initiative du requérant après jugement.

    Dans ce cas il est généralement simplement demandé par le requérant à la commune de ne pas désigner d'avocat, de se faire représenter à l'audience par un échevin ou un employé communal chargé d'acquiescer à la demande du requérant visant à faire constater par le juge, au terme de débats succincts, la prescription trentenaire échue au 1er septembre 2012 du chemin ou sentier de l'atlas.
    Lorsque cette procédure antidémocratique arrive aux oreilles des défenseurs de la petite voirie avant la date de l'audience fixée dans la citation (par des indiscrétions au sein de l'administration communale), ceux-ci peuvent alors introduire in extremis une requête en intervention volontaire (qui ne coute rien) et faire valoir devant le juge les exigences de la jurisprudence de la Cour de cassation, à savoir que de simples faits sporadiques de passage effectués sur la voie vicinale pendant les 30 ans précédant le 1er septembre 2012 suffisent à pérenniser ladite voie (Cassation 13 janvier 1994) et qu'il incombe au requérant de faire la preuve que nul n'a pu passer sur le tracé de l'atlas pendant 30 ans (preuve considérée comme quasi diabolique par la doctrine).

    Mais dans la plupart des cas, les défenseurs de la petite voirie apprennent la tenue de cette audience de tribunal après le jugement quand le requérant exhibe le jugement sur le tracé du sentier ou chemin concerné pour empêcher le passage.

    Ils sont alors obligés d'introduire par citation une action en tierce opposition pour obtenir gain de cause. Même en gagnant la cause à l'issue de cette procédure, celle-ci leur occasionne des débours que le fait d'obtenir gain de cause ne compense pas, car les frais judiciaires sont plafonnés.

    Dans un arrêt du 27 mai 2021, la Cour de cassation a considéré qu'un juge ne peut pas considérer qu'il n'est plus compétent pour statuer après l'entrée en vigueur du décret 234 au 1er septembre 2012 sur les prescriptions extinctives de voiries vicinales échues avant le 1er septembre 2012 sur base de l'ancienne mouture de l'article 12 de la loi du 10 avril 1841 relative aux chemins vicinaux.(mouture antérieurement au 1er septembre 2012).

    Cependant dans cet arrêt la Cour de cassation n'a pas envisagé la problématique de l'abrogation, au 1er avril 2014, non seulement de l'ancienne loi du 10 avril 1841 relative aux chemins vicinaux, mais aussi du décret 234 du 3 juin 2011, par suite de l'adoption du décret du 6 février 2014 qui a fusionné l'ancienne voirie vicinale et l'ancienne voirie innomée dans une nouvelle appellation de « voirie communale » sans plus aucun égard pour les particularités de chacune des anciennes composantes de cette voirie communale, mais en intégrant dans la voirie communale les plans d'alignement et de délimitation adoptés antérieurement au 1er avril 2014 (date d'entrée en vigueur du décret du 6 février 2014).

    Si l'article 30 du décret du 6 février 2014 figure bien dans le chapitre visant la création, la modification et la suppression des voiries communales quelle que soit leur origine vicinale ou innomée en interdisant la suppression de ces voiries par prescription, l'article 60, § 1er, 3°, du même décret prévoit dans ses dispositions pénales que la suppression de voirie (pour quelque motif que ce soit, y compris la prescription) est punissable sans l'accord préalable du conseil communal.

    L'article 30 du décret du 6 février 2014 n'a pas fait l'objet d'une restriction d'application comparable à celle qu'a émise le Conseil d'État en 2011 à propos du décret 234 quant aux prescriptions extinctives de voiries vicinales échues au 1er septembre 2012. C'est évidemment normal puisque le décret du 66 février 2014 met sur le même pied, quant à l'imprescriptibilité, toutes les voiries antérieures, quelle que soit leur origine.
    La question se pose dès lors de savoir si, après l'entrée en vigueur du décret du 6 février 2014 (le 1er avril 2014) un juge peut encore, dans ses jugements, se baser sur la formulation de la loi du 10 avril 1841 antérieure au 1er septembre 2012 alors même que cette loi et le décret qui l'avait amendée au 1er septembre 2012 sont abrogés par le décret du 6 février 2014 entré en application le 1er avril 2014 ?

    Il ne fait aucun doute qu'entre le 1er septembre 2012 et le 1er avril 2014 l'avis de la section de législation du Conseil d'État émis au sujet du décret 234 trouvait pleinement à s'appliquer puisque la voirie « vicinale » existait toujours avec ses particularités, mais le décret du 6 février 2014 a par contre supprimé la notion même de voirie vicinale ainsi que tous les attributs particuliers (dont cette possibilité de suppression par prescription après absence complète d'utilisation trentenaire échue au 1er septembre 2012) et versé les plans d'alignement et de délimitation de cette ancienne voirie vicinale (l'atlas) dans la « voirie communale » soumise aux exigences de l'article 2226 du Code civil et aux exigences de l'article 30 du décret (interdiction de prescrire).

    Le juge qui constate après le 1er avril 2014 une prescription de voirie échue au 1er septembre 2012 constate en réalité la prescription d'une voirie devenue « communale » alors qu'il n'avait compétence que pour constater la prescription d'une voirie vicinale. (Les plans d'alignement versés dans la voirie communale ne comportent plus de distinction entre « voirie ex vicinales » et « voiries ex innommées ». Le fait pour un juge de constater la suppression par prescription d'une voirie ex-vicinale après le 1er avril 2014 revient en fait à toucher après le 1er avril 2014 au maillage de la voirie communale figurant aux plans d'alignement et de délimitation de celle-ci alors qu'il n'a aucune compétence pour toucher à cette voirie communale non soumise à la possibilité de prescrire qui lui était attribuée par l'ancien article 12 de la loi du 10 avril 1841 abrogée.

    Dans ce contexte, les demandes de constat de suppression par prescription de voiries communales ex-vicinales après le 1er avril 2014 ne portent-elles pas atteinte à la règle de l'interdiction de prescrire une voirie communale (quelle que soit son origine) visée à l'article 30 du décret du 6 février 2014 ?

    Si des demandes de constat de suppression par prescription de voiries communales ex-vicinales après le 1er avril 2014 sont toujours possibles en vertu d'une interprétation large de l'article 2 du Code civil (la loi ne disposant que pour l'avenir et ne produisant pas d'effets rétroactifs) cela signifie-t-il que des demandes de constat de non-utilisation trentenaire échue au 1er septembre 2012 pourront être introduites indéfiniment par des riverains de voiries communales ex-vicinales alors que la voirie vicinale n'existe plus depuis le 1er avril 2014 ?

    Au cas où la réponse à la question précédente est positive, un collège communal ne commet-il pas d'infraction en ne défendant pas sa voirie communale devant le juge où la commune est attraite, alors que la compétence en matière de voirie est une compétence du conseil, même si la défense des intérêts de la commune est une compétence du collège ?

    Monsieur le Ministre partage-t-il à ce sujet les propos tenus par un auteur de référence, M Charles Havard dans le Manuel pratique de droit communal en Wallonie, où il écrit « le collège ne peut, sans l'autorisation du conseil communal, plier volontairement devant l'adversaire, car il renoncerait alors aux droits de la commune ; ce qui ne peut être consenti que par le conseil ».

    Si Monsieur le Ministre partage l'avis de cet auteur de doctrine, quelle est alors la valeur d'un jugement prononcé suite à l'acquiescement du représentant communal devant les prétentions du requérant visant à faire constater la suppression par prescription d'un chemin ou sentier ex-vicinal. Cette faute peut-elle dans ce cas relever de l'article 60 du décret ?

    En cas de réponse positive aux questions précédentes et vu la compétence exclusive du conseil communal en matière de création, modification ou suppression de voirie, une information systématique des membres du conseil n'est-elle pas souhaitable de la part du Collège lorsque la commune est attraite devant le juge au sujet d'une demande de suppression par prescription d'une voirie anciennement vicinale afin que ceux-ci puissent faire part le cas échéant au Collège d'actes de passages sporadiques attestés, mais non évoqués dans la citation ?

    Si oui, une circulaire ne devrait-elle pas être rédigée par les Ministres en charge du régime juridique de la voirie communale et le ministre en charge des pouvoirs locaux pour enrayer le phénomène des suppressions occultes organisées devant les juges par certains demandeurs avec la connivence de certains collèges communaux dont ils sont proches et sans information de la seule autorité habilitée en matière de suppression de voirie, à savoir le conseil communal ?
  • Réponse du 19/08/2022 | Annexe [PDF]
    • de BORSUS Willy
    L'honorable membre trouvera réponse à ses questions en annexe.