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L’augmentation des cas d’urgences psychiatriques liées aux crises actuelles

  • Session : 2021-2022
  • Année : 2022
  • N° : 722 (2021-2022) 1

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  • Question écrite du 25/08/2022
    • de GALANT Jacqueline
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    La fréquentation des urgences psychiatriques en hausse.

    Après avoir recueilli les personnes fragilisées par la Covid-19, les urgences psychiatriques s'ouvrent peu à peu aux patients impactés psychologiquement par la crise actuelle. L'unité de crise de Saint-Luc, ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 et au sein de laquelle se relaient vingt personnes, a vu le nombre de patients augmenter assez nettement depuis la vague de Covid signée Omicron au mois de février dernier.

    Les professionnels du secteur indiquent qu'ils assistent à une augmentation de la fréquentation de leur unité : « Depuis le mois de mars, on se retrouve très régulièrement avec une quantité de patients en urgence psychologique très importante. En termes de fréquentation, on se retrouve à un niveau égal voire supérieur à celui qui était en vigueur avant la pandémie. On voit beaucoup de patients qui ont souffert des différents confinements et qui sont arrivés il y a deux ans, beaucoup de jeunes et aujourd'hui, on voit des angoisses liées aux crises, à la guerre en Ukraine et chez certains ados, la crise climatique revient également. »

    Ils craignent en outre que les publics précarisés qui diminuent les dépenses en matière de loisir et de nourriture décident également de couper dans les soins de santé.

    Madame la Ministre a-t-elle pris connaissance de la situation du secteur des urgences psychiatriques ? Qu'en pense-t-elle ?

    Que fait la Wallonie concernant la santé mentale des personnes touchées par la polycrise dans laquelle nous vivons ?

    Des politiques de sensibilisation sont-elles déployées concernant les personnes plus précarisées ?

    Comment la région les aide-t-elle spécifiquement ?
  • Réponse du 22/09/2022
    • de MORREALE Christie
    J’ai effectivement pris connaissance des publications par voie de presse faisant l’écho de la pression exercée sur les soins en santé mentale, quelle que soit leur nature. Diverses études publiées récemment mettent également en évidence l’impact des différentes crises sur la santé mentale.

    Certains de nos concitoyens sont touchés par des syndromes anxieux ou dépressifs, lesquels sont souvent associés, du fait de contextes de plus en plus lourds auxquels ils sont confrontés.

    La pandémie à l’échelle mondiale avec ses différentes répercussions sur nos vies quotidiennes, la situation socio-économique dont la presse et les experts annoncent l’aggravation pour les prochains mois et années, le contexte géopolitique, l’augmentation conséquente du coût de la vie et en particulier des énergies ou encore le dérèglement climatique et son impact sur notre environnement, sont autant de sujets de préoccupations relayés abondamment par les médias.

    Les informations à leur sujet sont de nature préoccupante pour tous, mais plus particulièrement pour les personnes plus à risque sur le plan de la santé mentale.

    Les troubles de la santé mentale constituent une préoccupation importante en Belgique. La prévalence des troubles anxieux et dépressifs rapportée dans la Health interview Survey (HIS 2018) était déjà assez élevée, avec environ une personne sur dix déclarants un trouble anxieux (stable depuis 2013 pour la Belgique, mais en augmentation pour la Wallonie), et une personne sur dix déclarant un trouble dépressif (en légère diminution par rapport à 2013). En Wallonie, parmi les impacts de la crise sanitaire déjà perceptibles en 2021 et 2022, on constate une forte présence des troubles anxieux et dépressifs (de même que des troubles alimentaires). Les jeunes adultes (18 à 29 ans) sont de loin les plus touchés par la symptomatologie anxieuse (34 %) et dépressive (38 %) ; les femmes sont plus nombreuses que les hommes à éprouver des troubles de l’anxiété (24,0 % pour les femmes, 18,5 % pour les hommes).

    D’après l’étude BeBOD (Sciensano), en Wallonie en 2018, la maladie était principalement causée par les troubles mentaux et liée à l’utilisation de substances (22,5 %), les cancers (18,2 %), les troubles musculosquelettiques (12,6 %), les maladies cardiovasculaires (12,1 %), et les maladies respiratoires chroniques (7,6 %) (Reginster et Ruyters, 2021). Ces chiffres montrent donc bien l’importance à accorder à la prise en charge des troubles et à la prévention en santé mentale.

    En ce qui concerne les déterminants des maladies chroniques, voici les évolutions dans ce contexte syndémique. Elles illustrent que les déterminants socio-économiques et structurels ont un impact majeur sur l’apparition de problèmes de santé chroniques, sur le plan somatique comme mental. J’y suis particulièrement attentive lors de la mise en place de mes priorités politiques. Je souhaite en effet que les publics les plus à risque puissent bénéficier de toutes les aides disponibles.

    De nombreux facteurs de risque peuvent être identifiés. Dans les recherches récentes, il a ainsi pu être identifié que :
    - les hommes, les personnes de moins de 65 ans, les parents isolés et les personnes présentant des symptômes de troubles anxieux ou dépressifs sont plus susceptibles de rapporter une augmentation de leur consommation d'alcool ;
    - la consommation de sédatifs a surtout augmenté parmi les jeunes adultes de 18 à 29 ans, les personnes ayant un emploi rémunéré, les étudiants, et les personnes présentant des symptômes de troubles anxieux ou dépressifs ;
    - la consommation de tabac a surtout augmenté parmi les 18-29 ans, les parents isolés, les personnes vivant seules, les demandeurs d’emploi et les personnes présentant des symptômes de troubles anxieux ou dépressifs ;
    - les différences les plus frappantes en matière d'insécurité alimentaire ont été observées au niveau de la composition du ménage : par rapport aux personnes vivant en couple sans enfants, celles vivant seules (avec ou sans enfants) et celles vivant en couple avec enfants étaient plus nombreuses à souffrir d’insécurité alimentaire durant les trois derniers mois ; les personnes seules avec des enfants étaient les cas les plus extrêmes ;
    - le télétravail a pris sa place dans l’organisation de nombreux services et entreprises : 53 % des personnes faisant ou ayant fait du télétravail trouvent qu’il est (très) difficile d’être aussi actives physiquement pendant un jour de télétravail que durant un jour normal sans télétravail. Pour 27 %, il est (très) facile de l’être. Des différences se manifestent selon l’âge. Les personnes de 18-29 ans rapportent moins souvent qu’il est (très) facile (16 %) pour elles d’être aussi actives physiquement pendant un jour de télétravail que durant un jour normal sans télétravail que les personnes de 30-49 ans (27 %) et que les personnes de 50-64 ans (29 %).

    Un autre élément important concerne la santé sociale, qui entretient des liens très étroits avec la santé mentale. Plusieurs indicateurs en reflètent la dégradation au sortir de deux ans de crises. On constate une baisse significative de la satisfaction de vie des Belges : sur une échelle allant jusqu’à 10, ceux-ci donnent un score moyen de 6,1 en mars 2021 contre 7,4 en 2018. D’après les auteurs, jouent un rôle prépondérant dans cette baisse : le manque d’autonomie, la réduction sévère des contacts, la solitude et l’anxiété.

    Deux ans de pandémie de Covid-19 ont également eu un impact sur la participation sociale de la population : 52% des personnes de 18 ans et plus déclarent rendre visite à leur famille, leurs amis ou leurs connaissances moins souvent qu'avant la pandémie et 58% déclarent aller moins souvent à des concerts, à des fêtes, des représentations théâtrales, des événements sportifs ; fréquenter moins souvent les pubs, cafés et restaurants, etc.

    La dixième enquête de santé Covid-19 (Sciensano) relève plus spécifiquement les évolutions suivantes, en mars 2022 :
    - 24 % des personnes de 18 ans et plus ont indiqué qu'elles étaient insatisfaites de leurs contacts sociaux (contre 9 % en 2018). Le pourcentage de personnes qui ont indiqué souffrir d’un sentiment de grande solitude est passé de 28 % en décembre 2021 à 21 % en mars 2022 (à la suite du relâchement des règles de limitation des contacts sociaux). Les 18-29 ans sont plus nombreux à se sentir très seuls (30 %) que les 50-64 ans (21 %) ou les 65 ans et plus (17 %) ;
    - 35 % des personnes de 18 ans et plus se sentent peu soutenues par leur entourage. À des fins de comparaison, avant la crise liée au Covid-19 (HIS 2018), seulement 16 % de la population de 18 ans et plus indiquait se sentir peu soutenue par son entourage.

    Deux principaux groupes à risque sont identifiés concernant l'insatisfaction par rapport aux contacts sociaux, le faible soutien social et la solitude : les familles monoparentales et les personnes vivant seules (parmi lesquelles sont pointées les personnes de 50 à 64 ans) ainsi que les personnes ayant un faible niveau d'éducation (diplôme d’enseignement secondaire ou inférieur).

    Enfin la sécurité financière impacte fortement les conditions de vie, mais aussi le sentiment de sécurité, la santé physique, mentale et sociale ; elle est l’un des déterminants majeurs de la santé.

    En mars 2022, 29 % des répondants à l’enquête de Sciensano indiquent que leur situation financière s'est détériorée par rapport à ce qu’elle était 3 mois plus tôt, notamment les personnes vivant seules avec des enfants, ainsi que les personnes qui sont en situation de précarité financière. 35 % pensent que leur situation financière se détériorera dans les trois prochains mois.

    De plus, 10 % des personnes sont actuellement confrontées à des arriérés de paiement. Ici aussi, cela concerne principalement les personnes vivant seules avec des enfants et les personnes en situation de précarité financière. Les arriérés de paiement sont principalement liés aux factures de gaz, d'électricité, d'eau et de téléphone, mais aussi aux soins de santé.

    Les personnes ayant fait des études supérieures sont plus nombreuses à indiquer un impact négatif de la crise sur leur travail ou leurs études, leur vie sociale, leurs activités de loisirs et leurs voyages ou vacances. Les personnes moins instruites rapportent plus souvent un impact négatif de la crise au niveau de leurs revenus, de la santé ou des soins.

    Tous les groupes d'âge inférieurs à 65 ans sont significativement plus susceptibles, en mars 2022, d'indiquer que la crise a eu un impact négatif sur leur santé ou leurs soins : cela concerne en effet 36 % des 18-29 ans, 39 % des 30-49 ans et 34 % des 50-64 ans contre 24 % des 65 ans et plus.

    Les personnes vivant seules avec enfant(s) sont significativement plus nombreuses à indiquer que la crise a eu un impact négatif sur leur santé ou leurs soins (44 %) que les personnes vivant en couple sans enfant (30 %). Les personnes moins éduquées (35 %) sont également plus susceptibles de rapporter un impact négatif de la crise sur leur santé ou leurs soins que les personnes plus éduquées (32 %).

    Les inégalités sociales de santé ont été exacerbées par les deux ans de crise sanitaire : on constate une baisse significative de contacts avec les médecins généralistes pour les affiliés ayant un profil socioéconomiquement fragilisé. Les changements provoqués par la crise ont fragilisé les familles déjà précarisées : rupture de lien social, rupture des prises en charge psychologiques ou médicales, renforcement de la fracture numérique due à la digitalisation dans différents domaines de vie. En résulte une augmentation du risque de distanciation de ces familles avec le système d’aide sociale et de non-recours aux droits.

    Les difficultés ont été renforcées pour certaines catégories de la population qui n’ont pu bénéficier ni d’une protection d’emploi, ni d’une protection de la santé et de la sécurité au travail : certains indépendants vulnérables, artistes, flexi-jobistes, étudiants jobistes, travailleurs du secteur de la construction et du nettoyage, personnes en séjour irrégulier, sans abri, personnes en situation de handicap, prostituées, ainés, et cetera. Les personnes migrantes non-UE ont vu leur situation se dégrader : occupation d’emplois plus précaires et moins rémunérateurs dans les secteurs les plus impactés par le confinement et augmentation des discriminations pour critères sociaux.

    Dans un tel contexte, je voudrais rappeler ce que la Wallonie fait pour faire face à cette problématique de santé mentale. Des stratégies ont été mises en œuvre dès le début de la crise sanitaire et se sont poursuivies depuis, notamment à la suite des inondations de juillet 2021.

    Je mentionnerai parmi celles-ci :
    - les sites www.trouverdusoutien.be et la campagne de communication en santé mentale qui a été menée début 2022 www.jemelibere.be. Cette campagne visait deux objectifs. Elle visait tout d’abord à sensibiliser le public sur le fait que la santé mentale concerne tout le monde. Elle visait également à renvoyer toutes les personnes vers des informations les encourageant et leur permettant de prendre soin de leur santé mentale, dans tous les sens du terme. Les évaluations chiffrées sont plutôt positives sur l’impact de la campagne ;
    - l’octroi de subventions supplémentaires, dans le cadre du Plan de relance de la Wallonie, au bénéfice des services de santé mentale, des services psychiatriques pour personnes séjournant à domicile (SPAD), des plateformes en soins palliatifs, des services spécialisés en assuétude, des cellules mobiles d’intervention, la prévention du suicide. L’objectif de ces renforcements est de permettre à ces opérateurs de prendre en charge la demande supplémentaire due à l’impact des différentes crises sur la santé mentale des citoyens. Ces renforts supplémentaires ont été pensés en fonction des groupes de la population fortement à risque, mais aussi face à un constat d’un manque de renforcement effectif durant les années précédentes. La santé mentale n’étant pas une priorité pour certains préalablement aux crises que nous connaissons ;
    - pour les populations les plus précarisées, dès la fin de l’été 2021, j’ai lancé les stratégies concertées Covid-19 sous la forme de deux appels à projets. 34 organismes ont été retenus, et les projets répartis sur le territoire wallon sont en cours. Ces projets ciblaient les publics les plus à risques que j’ai pu détailler plus haut.

    Le premier appel vise à renforcer la prévention de la Covid-19 et la gestion des risques psychosociaux liés au déconfinement. Le deuxième appel, quant à lui, soutient le développement d’actions pour prévenir les conséquences à plus long terme de la Covid sur les déterminants sociaux de la santé.

    La collaboration et le travail en intersectorialité sont fortement encouragés. La crise du coronavirus a en effet mis en lumière la nécessité pour les associations de la santé et du social de travailler ensemble.

    Par ailleurs, la moitié des 2 millions d’euros consacrés à ces stratégies concertées a été dédiée à une coordination locale et régionale avec l’appui scientifique de l’Université de Liège (ESPRIst-Uliège) et de l’Observatoire du sida et des sexualités. Cette coordination doit remettre, fin septembre 2022, un rapport analysant les expériences de terrain et faisant des propositions pour une stratégie à long terme sur la santé des citoyens wallons.

    Je voudrais également rappeler que nous finançons des services de santé mentale. Ces services prennent en charge les citoyens faisant face à des difficultés de santé mentale. La composition de ces services leur permet de prendre en charge les aspects tant sociaux que psychologiques, grâce à des équipes pluridisciplinaires. Ces services permettent à un public précarisé d’avoir accès à des soins psychologiques multidisciplinaires de qualité.

    Ensuite, le 1er septembre dernier, le Gouvernement wallon a validé la programmation relative à la mise en œuvre du Plan WAPPS dédié à la promotion de la santé et à la prévention. Cette validation ainsi que la publication de l’arrêté du 19 juillet 2022 exécutant le décret du 3 février 2022 relatif à la promotion de la santé donneront le départ aux procédures d’agrément des acteurs de la promotion de la santé, avec l’ambition qu’elles aboutissent au début de l’année 2023. Trois mois plus tard, les programmes d’actions coordonnées devront être déposés et analysés en vue de veiller à leur conformité à la programmation. Un nouveau délai de trois mois est prévu pour leur validation.

    Parmi les actions prioritaires, l’axe 2 concerne la promotion du bien-être et d’une bonne santé mentale et la prévention des usages addictifs et la réduction des risques : les propositions des acteurs de la promotion de la santé sont donc attendues en vue d’une concrétisation dès 2023, en tenant compte des différents constats énoncés ci-avant.

    Enfin, je voudrais rappeler que le 2 décembre 2020, un Protocole d'accord a été conclu entre le Gouvernement fédéral et les Régions et Communautés sur une approche coordonnée visant le renforcement de l'offre de soins psychiques, en particulier pour les groupes cibles vulnérables les plus touchés par la pandémie de Covid-19.

    Il s'agit d'une nouvelle étape dans la réforme des soins de santé mentale, à savoir la poursuite du développement de l'offre de soins de santé mentale à proximité du milieu de vie du citoyen et en coopération avec les acteurs de la première ligne.

    Sur la base des connaissances scientifiques, de la faisabilité pratique et de l'indication de la prise en charge du bénéficiaire et de son environnement, des efforts sont faits pour développer davantage une offre de groupe et une offre d'intervention et de détection précoces.

    Le 26 juillet dernier, une nouvelle convention concernant le financement et l’organisation des soins psychologiques de première ligne a été approuvée par le Comité de l'assurance soins de santé de l’INAMI. Cette « convention de base », appelée à remplacer, de facto, la précédente convention concernant les soins psychologiques de première ligne, a depuis lors été communiquée aux réseaux qui ont été invités à la signer.

    Concernant le Protocole d’accord entre le Fédéral et les entités fédérées sur le renforcement de l’offre de soins psychologiques, ce dispositif doit en principe amener la santé mentale en première ligne. L’honorable membre sait que nous travaillons à la structuration de la première ligne en Wallonie. La situation est différente dans les autres régions. En attendant les résultats des assises et l’agencement le plus constructif possible de ce dispositif en première ligne, ce sont les réseaux en santé mentale qui sont chargés de la mise en œuvre à la fois des conventions passées avec l’INAMI et des sélections et répartitions des psychologues et orthopédagogues cliniciens ‘conventionnés’. Tout cela se construit avec notamment comme perspective l’importance de l’accessibilité aux soins pour les personnes qui en sont le plus éloignées (bas seuil) et aussi particulièrement pour les personnes vulnérables, comme les personnes âgées.

    Quant aux financements des lits psychiatriques et pédopsychiatriques, il s’agit de compétences propres au Fédéral.