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La fuite des cerveaux.

  • Session : 2006-2007
  • Année : 2006
  • N° : 5 (2006-2007) 1

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  • Question écrite du 18/10/2006
    • de STOFFELS Edmund
    • à SIMONET Marie-Dominique, Ministre de la Recherche, des Technologies nouvelles et des Relations extérieures

    Les économistes de l'UCL publient une étude consacrée au flux des cerveaux, d'une part, vers les Etats Unis, le Canada ou l'Australie et, d'autre part, vers les pays européens membres de l'OCDE. Ils posent la question - légitime à mes yeux - de savoir si cette fuite de cerveaux entrave la croissance européenne - et, j'ajouterai, si elle freine d'une façon ou d'une autre le redémarrage économique de notre Région.

    Il apparaîtrait que la fuite de cerveaux serait importante tandis que l'immigration - fondée sur le regroupement familial et la politique d'asile - serait caractérisée par une proportion plus importante de personnes non ou peu qualifiées. Certains pays gagneraient plus qu'ils ne perdent tandis que, pour d'autres, on observe le contraire. Pour l'UE des Quinze, le bilan serait négatif notamment en faveur des USA et le Canada, soit une perte de +/- 150.000 diplômés supérieurs après déduction des immigrations. Et encore, les immigrés ne viennent pas en majorité des pays vers où nos diplômés s'en vont.

    Terre d'accueil pour les diplômés d'origine africaine, nous contribuerions à entretenir les difficultés économiques de ce continent tandis que l'Amérique du nord est la grande gagnante, l'exode n'étant pas compensé par des rentrées.

    La réponse à cette question me semble importante puisqu'elle est directement liée à notre capacité d'innovation et de création technologique. Ceux qui s'en vont après avoir été formés dans nos établissements scolaires exportent leur savoir faire et leur productivité, tandis que l'immigration de personnes moins qualifiées ne contribue pas de la même façon à l'amélioration de notre capacité d'innovation et de progrès technologique.

    Entendons-nous bien, je ne suis pas de ceux qui veulent soumettre les flux de migration uniquement à ce critère de productivité des hommes et des femmes. Mais la connaissance de ce phénomène nous aidera à mieux définir notre politique de conditions salariales, de carrière professionnelle, d'infrastructures, de moyens budgétaires, etc., pour que le travail des chercheurs et des scientifiques soit aussi attractif chez nous qu'aux USA. Cela concerne la biotechnologie, la recherche médicale, la chimie, la nanotechnologie, les technologies de l'information et bien d'autres où la position européenne est en perte de vitesse sur l'échiquier mondial.

    Encore faut-il faire la différence entre recherche fondamentale dont les résultats seront tangibles à plus long terme et diplômés technologiques qui peuvent traduire immédiatement leur savoir-faire en brevets et en projets.

    Le Plan Marshall consacre une partie de ses efforts sur le phénomène que je viens de décrire en quelques mots. Une politique qu'il va falloir coordonner avec les Communautés, d'une part, et avec l'autorité fédérale, de l'autre.

    Madame la Ministre dispose-t-elle de données chiffrées pour ce qui concerne les flux migratoires de cerveaux pour la Région wallonne ? Quelles sont les tendances observables ? Quelle en est son analyse et quelles solutions peuvent-elles être privilégiées, à quelle échéance ?
  • Réponse du 08/11/2006
    • de SIMONET Marie-Dominique

    J'ai lu comme l'honorable Membre, avec beaucoup d'intérêt, l'étude des chercheurs de l'IRES sur la fuite des cerveaux, dont il résume fort bien les conclusions dans son intervention.

    Au niveau global, il est intéressant de noter que dans six pays de l'Europe des 15, le flux entrant d'immigrants dotés d'un diplôme supérieur au secondaire est plus élevé que le flux sortant. En 2000, les gains nets les plus élevés sont observés comme suit :

    - 302.100 pour la France ;
    - 147.600 pour l'Allemagne ;
    - 143.000 pour la Suède ;
    - 84.000 pour la Belgique ;
    - 70.300 pour l'Espagne ;
    - 22.000 pour le Luxembourg.

    Toutefois, dans ces mêmes pays, les émigrants vers les USA, le Canada et l'Australie totalisent respectivement :

    - 122.700 pour la France, ;
    - 451.200 pour l'Allemagne ;
    - 30.500 pour la Suède ;
    - 28.700 pour la Belgique ;
    - 40.300 pour l'Espagne ;
    - 1.500 pour le Luxembourg.

    On en conclut que ces pays compensent le départ de leurs diplômés vers les pays les plus industrialisés par une arrivée d'immigrants venus d'ailleurs.

    Au total, l'étude de l'IRES note que l'Europe des 15 se caractérise par un solde net proche de zéro, en compensant ses pertes de diplômés vers les autres nations industrialisées par une entrée de main d'œuvre qualifiée en provenance des pays en développement. Certains de ces pays en développement sont en définitive parmi les plus sévèrement touchés par la fuite des cerveaux.

    Si, en nombre absolu, le solde des échanges de diplômes supérieurs entre l'Union européenne et le reste du monde est très faiblement déficitaire, cette neutralité observée au niveau des diplômes supérieurs n'est pas vérifiée au niveau des qualifications très élevées, et tout particulièrement dans les disciplines génératrices d'innovation et de croissance. C'est le cas en particulier pour les diplômés en sciences et technologies. La Commission européenne estime que le nombre de chercheurs européens en sciences et technologies résidant aux Etats-Unis avoisine les 400.000.

    L'étude note en outre que, parmi les quelque 1.500 étudiants européens qui obtiennent un doctorat aux Etats-Unis chaque année, environ 75% trouvent une possibilité de rester sur le marché américain.

    L'honorable Membre me demande si je dispose de données chiffrées pour ce qui concerne les flux migratoires de cerveaux pour la Région wallonne. Je n'en dispose pas. Il est heureux déjà que les chercheurs de l'IRES aient pu se procurer l'ensemble des données qu'ils utilisent pour leur rapport. Je doute qu'il soit possible d'isoler, dans les chiffres globaux disponibles pour la Belgique, les données qui correspondent à la Région wallonne, mais je ne serais pas étonnée qu'elles se répartissent de manière proportionnelle entre nos communautés.

    Mon analyse rejoint tout à fait celle des chercheurs de l'IRES : l'exode des élites est due aux meilleures possibilités d'embauche, aux perspectives de salaire plus élevées, à l'environnement scientifique meilleur, aux moyens plus importants accordés aux chercheurs, etc. C'est aussi l'analyse de la Commission européenne qui, en l'an 2000, a décidé de faire entrer l'Europe dans l'économie de la connaissance et de la rendre compétitive par rapport aux autres continents. Cet objectif a été chiffré en 2002 à Barcelone et est à l'origine des 3% du PIB qui devraient être consacrés à la R&D, en dépit des autres priorités sociales, non moins évidentes. En attendant, l'écart d'investissement en R&D entre l'Europe et les USA ne cesse de s'amplifier.

    La seule mesure que nous puissions prendre pour faire revenir nos diplômés qui vont se spécialiser à l'étranger est d'accroître nos efforts de recherche. Sur la base de nombreux témoignages, il est clair que les jeunes chercheurs reviendraient volontiers dans leur pays et leur région d'origine, pour autant qu'ils y trouvent les moyens de poursuivre leur passion, c'est-à-dire la recherche. Le rapport de l'IRES note fort justement que les pays européens doivent pour cela offrir un environnement, des salaires et des perspectives de carrière intéressantes aux chercheurs et réduire les clivages entre le monde des affaires, le monde politique et le monde académique.

    La politique que mène le Gouvernement wallon va précisément dans ce sens. Comme le sait l'honorable Membre, notre Plan Marshall consacre une grande part de ses moyens à la recherche : pôles de compétitivité, programmes d'excellence, programmes mobilisateurs, accroissement budgétaire du FRIA sont les meilleurs outils pour amplifier notre effort de R&D. Par ailleurs, j'ai veillé à accroître en 2006 le budget du FNRS en Communauté française pour donner un élan nouveau à la recherche fondamentale.

    J'ai par ailleurs insisté tout récemment auprès du Gouvernement fédéral, à l'occasion de l'élaboration du budget 2007, pour qu'il accroisse son investissement, en particulier dans le cadre des pôles d'attraction interuniversitaires.

    Pour conclure, je plaide pour que l'effort de R&D soit soutenu durant de nombreuses années, sans quoi nous risquons de voir partir à l'étranger de nombreux jeunes bien formés grâce à l'excellence de nos instituions d'enseignement supérieur, excellence encore confirmée tout récemment par le classement des universités réalisé par le "Times Higher Education Supplement" et où la Belgique occupe une place de choix, avec une part égale entre nos Communautés.