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La conformité du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation avec le droit des successions

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 4 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 19/09/2022
    • de MATHIEUX Françoise
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    Il ressort d'une lecture combinée du décret wallon relatif au bail d'habitation avec le Code civil en matière de succession qu'en cas de décès du locataire, différentes contradictions apparaissaient entre ces deux législations.

    En effet, et afin de permettre un droit de reprise du bail au cohabitant survivant, le décret wallon impose trois éléments de fait : 
    - l'exigence de domiciliation dans le bien loué pour être éligible à la reprise du bail ;
    - l'ouverture de cette dernière à toute personne domiciliée dans le logement (même dépourvue d'un quelconque lien familial avec le défunt) ;
    - le droit du bailleur de s'opposer à la reprise (pour de justes motifs). 

    Alors que le Code civil dispose que : « le conjoint survivant recueille seul, à l'exclusion de tous les autres héritiers, le droit au bail relatif à l'immeuble affecté à la résidence commune au moment de l'ouverture de la succession du défunt ».

    Ainsi, le conjoint survivant (et le cohabitant légal survivant) ont un droit automatique au bail, sans condition, et à titre exclusif dans le cadre du Code civil, mais ce droit est limité et soumis à des limitations strictes dans le cadre du texte wallon.

    Qu'est-ce qui motive l'aspect plus strict du décret wallon, en contradiction avec le Code civil ?

    Pourquoi limiter ainsi les droits du conjoint survivant ?

    Quelle est la position de Monsieur le Ministre sur le sujet ?
  • Réponse du 14/12/2022
    • de COLLIGNON Christophe
    Tout d’abord, je me permettrai de rappeler les différentes dispositions concernées.

    L’ancien article 745 bis §3 du Code civil a été abrogé par l’article 58, 3° de la loi 19 janvier 2022 portant le livre 2, titre 3, "Les relations patrimoniales des couples" et le livre 4 "Les successions, donations et testaments" du Code civil.

    L’article 4.20 du nouveau Code civil dispose que :

    « Le conjoint survivant recueille seul, à l'exclusion de tous les autres héritiers, le droit au bail relatif à l'immeuble affecté au logement principal de la famille au jour de l'ouverture de la succession du défunt. »

    L’article 4.23 §3 du nouveau Code civil dispose que :

    « (…)

    § 3. Le cohabitant légal survivant recueille seul, à l'exclusion de tous les autres héritiers, le droit au bail relatif à l'immeuble affecté au jour de l'ouverture de la succession du cohabitant légal prédécédé au logement principal de la famille et recueille l'usufruit des meubles qui le garnissent.

    (…) »

    L’article 46 §2 du décret du 15 mars 2018 dispose que :

    « (…)

    2. Toute personne domiciliée dans les lieux loués depuis plus de six mois à la date du décès du preneur dispose d'un délai d'un mois prenant cours le jour du décès du preneur pour notifier au bailleur sa volonté de reprendre le bail.

    Le bailleur dispose d'un délai d'un mois prenant cours le lendemain de la notification visée à l'alinéa 1er, pour notifier à son auteur son opposition à la reprise du bail pour de justes motifs.

    À défaut d'opposition du bailleur dans le délai visé à l'alinéa 2, le bail est repris par la personne visée à l'alinéa 1er dans les mêmes conditions que celles qui préexistaient au décès du preneur.

    (…) »

    Sur la question de la priorité, suivant la doctrine : « tant que le cohabitant légal survivant que le conjoint survivant ont la faculté, sur la base de cette même disposition, de notifier au bailleur leur volonté de reprendre le bail dans un délai d’un mois prenant cours le jour du décès, mais cette faculté :
    (i) peut être exercée par toute autre personne domiciliée dans les lieux depuis plus de six mois, le décret n’accordant aucune préférence au conjoint au cohabitant légal ;
    (ii) doit, contrairement à l’option héréditaire être exercée dans un délai très court ;
    (iii) peut-être exercée en vain, lorsque le bailleur fait valoir des justes motifs pour s’opposer à la reprise du bail ;
    (iv) ne peut être exercée par le conjoint ou le cohabitant légal survivant s’il n’est pas domicilié dans les lieux depuis plus de six mois à la date du décès.

    Il existe donc une antinomie entre l’article 46 du décret du 15 mars 2018 et les dispositions du Code civil afférentes au droit successoral au bail du conjoint ou du cohabitant légal survivant. Comme il s’agit de normes de même niveau hiérarchique, sans doute faut-il résoudre l’antinomie en faveur de l’article 46 du décret sur la base du principe ‘lex posterior derogat priori’.

    Dans les travaux préparatoires du décret, on peut certes lire que l’article 46, §2 ‘(…) ne vise pas le cas du marié survivant ou cohabitant légal survivant qui sont considérés, en application de l’article 215, §1er du Code civil, comme cocontractant(s) et pour lesquels le bail continue à produire pleinement ses effets’. Toutefois, l’article 215 du Code civil « est voué à s’appliquer tant que dure le mariage. Sa protection cesse (…) lors de la rupture du lien conjugal, par divorce ou par décès’. C’est précisément pour cette raison que le législateur fédéral a décidé d’adopter les articles 745 bis, §3, et 745 octies, §1er, alinéa 2, du Code civil et de compléter l’article 915bis, §2, du même code. Pour que ces dispositions s’appliquent, il convient cependant que le bail ne cesse pas au décès du preneur. Si, en Région wallonne, comme dans les autres Régions, le cohabitant légal survivant ou le conjoint survivant pouvaient auparavant recueillir le bail de l’immeuble affecté à la résidence commune de la famille, c’était parce qu’en vertu de l’article 1742 du Code civil, ce bail ne prenait, en principe, pas fin en raison du décès du preneur. En déclarant que le bail d’habitation prend fin trois mois après le décès du preneur, l’article 46 du décret wallon du 15 mars 2018 porte donc atteinte aux droits successoraux du conjoint survivant et du cohabitant survivant. Il semblerait donc opportun d’ajouter, dans le décret, une disposition spécifique afin de régler le sort du bail afférent à l’immeuble affecté à la résidence commune de la famille, lorsque le preneur décède en laissant son conjoint ou son cohabitant légal ». (nous soulignons) (Voy. KOHL B., La réforme du bail en Région wallonne, Larcier, 2019, pp. 40 – 41)

    D’autres sources précisent que : « Si l’on ne veut pas traiter différemment le cohabitant de fait de l’époux ou du cohabitant légal, il y aurait lieu de ne pas exclure ces deux derniers du champ d’application de l’article 46 – ils ne le sont du reste pas par le texte légal – et de leur laisser la possibilité de reprendre le bail.

    (…)

    En revenir, par la voie contractuelle, à la situation antérieure protègerait le conjoint survivant ; au décès du preneur, la protection de l’article 215 disparaitrait certes, mais le bail ne disparaitrait pas pour autant : il tomberait dans la masse héréditaire. » (DURANT, I. et BEGUIN, B., La régionalisation du bail, Larcier, 2019, pp. 82 à 83).

    Concernant ce qui précède, il convient de relever que l’interprétation qui était faite de l’article 46 du décret du 15 mars 2018 comme norme dérogeant à la disposition plus ancienne qu’était l’article 745 bis du Code civil pose aujourd’hui question.

    En effet, à la suite de l’entrée en vigueur le 1er juillet 2022 des articles 4.20 et 4.23 §3 du nouveau Code civil, il apparait que ces dispositions sont dorénavant plus récentes que celles reprises au sein du décret du 15 mars 2018.

    La question semble donc s’inverser : ces nouvelles dispositions ne dérogeraient-elles pas à l’article 46 du décret ?

    Cette situation pourrait effectivement s’avérer vectrice d’insécurité juridique. Mon cabinet ne manquera pas d’apporter une attention particulière à cette thématique dans le cadre d’une éventuelle modification du décret du 15 mars 2018 relatif au bail d’habitation afin d’y expliciter de manière claire le sort réservé au conjoint survivant et au cohabitant survivant quant à leurs droits vis-à-vis du bail en cours.