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La responsabilité pénale des bourgmestres

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 53 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 18/10/2022
    • de EVRARD Yves
    • à COLLIGNON Christophe, Ministre du Logement, des Pouvoirs locaux et de la Ville
    De nombreuses communes envisagent de couper l'éclairage public en vue de réaliser des économies. Cette décision n'est pas sans poser des questions quant à l'aspect sécuritaire y afférent. Selon la taille et/ou la configuration de la commune, la question sécuritaire est effectivement posée.

    Sollicité pour procéder à une coupure, il semble qu'ORES signale aux communes que dans ce cas de figure, la responsabilité pénale du bourgmestre serait engagée si des incidents devaient se produire alors que l'éclairage disponible est éteint.

    Interrogé sur la question lors de la dernière séance plénière, Monsieur le Ministre a indiqué avoir sollicité de son cabinet une analyse juridique affinée afin de pouvoir déterminer dans quelle mesure la responsabilité pénale du bourgmestre peut être engagée si un incident se produit alors que la commune a décidé de couper l'éclairage public.

    Quels sont les résultats de son investigation plus poussée et peut-il aujourd'hui donner quelques apaisements aux bourgmestres qui voudraient dans un souci bien compréhensible d'économie réduire la facture d'électricité ?
  • Réponse du 08/11/2022
    • de COLLIGNON Christophe
    J’ai pris connaissance de l’étude juridique qu'évoque l'honorable membre et dont l’objectif était d’évaluer la responsabilité civile et pénale des communes en cas de réduction de l’éclairage public durant la nuit.
     
    Aucun texte législatif ou réglementaire ne traite de l’éclairage public et dès lors, celui-ci relève de la compétence des communes en matière de police administrative communale dans la mesure où il leur permet de garantir la sureté et la tranquillité publique. Les communes sont incontestablement compétentes pour déterminer la manière dont elles éclairent leurs rues, quais, places, voies publiques communes sur leur territoire. Elles sont dès lors compétentes pour réduire ou supprimer partiellement ou temporairement l’éclairage public. Mais ce faisant, elles doivent s’assurer que cette réduction ne va pas créer une atteinte à la sureté et à la commodité du passage. Elles doivent agir comme une autorité normalement prudente et diligente et un rapport de proportionnalité doit exister entre, d’une part, la réduction de l’éclairage et ses conséquences, et d’autre part, l’impact des dépenses d’énergie sur le budget communal.
     
    Il résulte de l’étude que le risque de voir la responsabilité d’une commune engagée au niveau pénal est extrêmement faible, voire inexistant. La seule infraction pénale qui pourrait être retenue serait un défaut de prévoyance et de précaution et l’auteur de l’analyse reste dubitatif quant au fait qu’un juge puisse retenir la complicité ou la corréité d’une commune, tant le cas de figure s’éloigne des conditions à remplir.
     
    Au niveau civil, les choses sont lues différemment, mais ne sont pour autant pas alarmantes. Pour qu’une commune voit sa responsabilité engagée sur le plan civil, il faut la réunion d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité. La faute consiste à méconnaître une norme spécifique, mais aussi à manquer à un devoir général de prudence. Cependant, toute décision administrative qui s’avère être, à l’épreuve du temps, une mauvaise décision, n’est pas nécessairement fautive. Dans l’analyse d’un usage disproportionné ou non de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation dans la mesure prise, un juge analysera la motivation qui sous-tend à la décision. L’analyse retient que le contrôle du juge sur cette question est nécessairement marginal. Il est celui de l’inopportunité évidente de la décision, révélée par une contradiction apparente et inexpliquée entre les faits et pièces du dossier et la décision attaquée. La sanction ne pourrait porter que sur ce qui est déraisonnable et inopportun. 

    En conclusion, pour autant qu’elles prennent une décision proportionnée à l’objectif d’économie qu’elles poursuivent et que cette décision leur permette encore, selon une estimation de la situation, de répondre à leur obligation de moyen de garantir la sureté et la commodité du passage dans les rues, les communes peuvent décider d’une réduction de l’éclairage sur certaines parties de leur territoire. Lors de la prise de ce type de décision, les communes doivent nécessairement prendre en compte les conséquences raisonnablement prévisibles de leurs décisions. Ce qui importe c’est que les communes puissent démontrer avoir pris leur décision de manière raisonnable, au terme d’une réflexion ayant pris en compte les spécificités du territoire communal et l’ampleur du coût de l’éclairage sur leur budget. Si une commune ne peut plus ou risque de ne plus pouvoir faire face à certaines de ses autres missions essentielles en raison de l’augmentation du coût de l’éclairage public et l’expose dans sa décision, le juge, qui ne peut pas substituer son appréciation à celle de l’autorité administrative, mais uniquement sanctionner une erreur manifeste d’appréciation, pourra difficilement conclure au caractère disproportionné ou fautif de la décision prise, quelles que soient les conséquences qui en découleraient.
     
    Le seul bémol à cette analyse reste l’impossibilité pour les communes de décider de réduire l’éclairage sur certaines portions du territoire, puisque comme on l’a vu, la décision doit être modulée en fonction de particularités de certaines parties de la commune. Il s’agit là d’une contrainte, si elle ne peut être réglée différemment, qui doit être prise en compte par les communes. Cependant, l’expression de la difficulté et des motifs du choix opéré viennent diminuer le risque qu’un juge retienne le caractère fautif d’une décision en ce sens, parce que la commune pourra prouver qu’elle n’a pas décidé à la légère, de manière irresponsable, et n’a donc pas commis d’erreur manifeste en faisant le choix qui est le sien.
     
    Enfin, l’analyse insiste sur la communication autour des décisions prises, qui est également de nature à limiter le risque que la décision prise soit considérée comme déraisonnable ou disproportionnée. La commune doit se montrer prudente en doublant sa décision d’une communication.