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Le bien-être mental des indépendants et la politique "un pass dans l’impasse"

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 78 (2022-2023) 1

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  • Question écrite du 20/10/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à MORREALE Christie, Ministre de l'Emploi, de la Formation, de la Santé, de l'Action sociale et de l'Economie sociale, de l'Egalité des chances et des Droits des femmes
    Récemment, des enveloppes fédérales ont été confiées à trois caisses d'assurances sociales pour saisir l'ampleur du phénomène du mal-être mental des indépendants, que ce soit par des burn-out ou le stress prolongé.

    C'est évidemment une situation inquiétante qui ne doit pas laisser la Région wallonne indifférente, et ce, d'autant plus que nos indépendants sont en première ligne de mire avec la crise énergétique qui s'aggrave de jour en jour.

    Qu'en est-il au niveau wallon ?

    Avons-nous une réflexion sur des appels à projets de ce type ?

    Y a-t-il un travail de concertation avec le niveau fédéral ?

    L'on sait que le Centre de prévention du suicide et d'accompagnement fait déjà un travail pertinent sur cet aspect-là dans le cadre « Un pass dans l'impasse », avec une aide particulière apportée aux indépendants, que ce soit avec une ligne d'assistance téléphonique, des séances de soins psychologiques gratuites, ou encore un réseau spécifique de sentinelles.

    Depuis le lancement de cette politique spécifique vis-à-vis de la détresse mentale des indépendants, quels en sont les premiers résultats ?

    Y a-t-il un progrès dans l'assistance que l'on porte à nos chers indépendants ?

    Y a-t-il une évaluation de cette politique publique ?

    Quelles sont les conclusions que l'on peut tirer entre 2021 et 2022 ?

    Quel est d'ailleurs l'impact de la crise énergétique sur leur sort ?

    Est-ce que les moyens sont suffisants ?

    Y a-t-il une marge de progrès à faire quant à cette politique publique spécifique ?
  • Réponse du 28/11/2022
    • de MORREALE Christie
    Comme l’honorable membre le soulève dans sa question, la crise de la Covid-19 a secoué la structure économique et sociale existante et a durement impacté les travailleurs indépendants, qui sont parfois contraints de fermer leur établissement, leur magasin ou leur entreprise et ont malheureusement vu leur source de revenus se réduire. Il est clair que tout cela a entraîné des effets préjudiciables sur leur santé mentale.

    Avec l’ASBL « Un pass dans l’impasse », j’ai décidé d’agir de manière proactive en mettant en place un dispositif de soutien psychologique pour les indépendants en détresse afin d’apporter des réponses à leurs besoins et de leur faciliter l’accès aux soins. Depuis l’été 2020, je soutiens cette initiative. Ce dispositif se compose d’une ligne d’assistance téléphonique gratuite (0800/300.25), d’un réseau de sentinelles et de maximum 4 séances par téléphone ou en visioconférence avec un psychologue de l’ASBL.

    En réponse à ce constat, le Ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des PME et de l’Agriculture, des Réformes institutionnelles et du Renouveau démocratique, David Clarinval, et le Vice-Premier ministre et Ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, ont créé une offre de soutien psychologique supplémentaire et dédiée aux travailleurs indépendants, via un projet d’un an coordonné au niveau national par l’ASBL « Un pass dans l’impasse », en collaboration avec des partenaires flamands, wallons et bruxellois. Suite à ce déploiement en avril 2021, la ligne d’assistance est devenue bilingue. Le réseau de sentinelles s’est élargi à l’ensemble du pays. Jusqu’à 8 séances de soins psychologiques gratuites avec un psychologue ou un orthopédagogue conventionné avec l’ASBL ont été proposées aux indépendants en détresse.

    Au 1er mars 2022, le dispositif a repris sa forme initiale. Autrement dit, le projet est soutenu par une institution privée (Fondation Pulse) et moi-même. Cela permet aux indépendants wallons de continuer à bénéficier de 4 appels gratuits avec un psychologue de l’ASBL.

    Au total, depuis sa création en juillet 2020, le dispositif de soutien psychologique pour indépendants en détresse a permis de soutenir 2 393 indépendants et d’offrir 11 492 consultations avec un psychologue de l’ASBL (4 séances du projet wallon-bruxellois) ou un psychologue conventionné avec « Un pass dans l’impasse » (8 séances du projet fédéral).

    Parmi les indépendants soutenus, une large majorité appartient aux domaines du commerce (32 %), de l’hôtellerie et de la restauration (11 %), de l’artisanat (10 %) ou encore de la santé (13 %).

    Sur le plan clinique, de nombreux indépendants arrivent chez Un pass dans l’impasse en état de crise, sont perdus face à leurs difficultés et ne connaissent pas les aides existantes. Ils n’ont parfois personne à qui parler, sont isolés et peuvent ressentir de la honte et de la culpabilité. Une fois les 4 séances terminées, les indépendants se sentent, dans la majorité des cas, apaisés. Ils voient leur estime d’eux-mêmes revalorisée et reprennent confiance en l’avenir.

    Pour les indépendants qui éprouvent des difficultés à demander de l’aide, le soutien psychologique proposé par Un pass dans l’impasse leur permet d’être une première étape vers un suivi externe sur le long terme.

    Rappelons qu’avant la crise de la Covid-19, 1 indépendant se suicidait tous les deux jours, ce nombre a augmenté entre 2018 et 2019 de 160 à 176. Les chiffres officiels pour l’année 2020 ne seront connus que courant 2023, mais au vu de la détresse perçue lors de nos consultations, nous pouvons imaginer une nouvelle augmentation suite aux conséquences de la pandémie.

    J’aimerais aussi rappeler l’existence de la ligne d’assistance téléphonique. Au total, depuis sa création, la ligne d’assistance téléphonique gratuite et anonyme a reçu 1 691 appels d’indépendants.

    Aussi, il me semble indispensable de revenir sur la mise en place du réseau de sentinelles. Pour rappel, une sentinelle peut être toute personne qui se trouve en contact avec un public d’indépendants. Elle va servir à détecter, en amont, les indépendants en détresse sans que ces derniers ne doivent entamer une démarche de prise en charge psychologique. Démarche d’aide, qui, bien souvent n’est jamais réalisée tant elle représente de profondes difficultés. En déclenchant une alerte, la sentinelle joue le rôle de relayeur entre l’indépendant en détresse et les ressources qui peuvent intervenir auprès de lui. Il est évident que l’idée derrière les sentinelles n’est pas d’alourdir la charge mentale des travailleurs au contact des indépendants, mais plutôt de leur offrir un relais rassurant via l’outil que représente la fiche alerte et la connaissance du dispositif de soutien.

    Depuis le lancement du dispositif en juillet 2020, l’ASBL recense 725 sentinelles. 330 sont actives en Wallonie, 176 sur Bruxelles et 219 en Flandre (depuis le basculement du dispositif au niveau régional, les sensibilisations pour devenir sentinelle ne sont plus dispensées en néerlandais).

    573 alertes ont, en outre, été émises par des sentinelles formées par « Un pass dans l’impasse » à détecter la détresse et à déclencher une alerte.

    Actif depuis juillet 2020 sur le territoire wallon, le dispositif a su tisser des liens solides et construire des collaborations efficientes pour répondre le plus adéquatement possible à la détresse des indépendants.

    L’idée est de rassembler les structures principales autour d’un projet commun pour :
    - améliorer la prise en charge de l’indépendant en Wallonie de la manière la plus complète possible ;
    - centraliser l’information quant à l’émergence de nouveaux projets à destination de l’indépendant ;
    - aider les acteurs de terrain à promouvoir et à améliorer la visibilité de chacune des structures/associations qui travaillent et apportent une aide aux indépendants en Wallonie ;
    - être à l’écoute de la réalité du terrain.

    En Wallonie, un comité de concertation a vu le jour dès décembre 2020. Il se réunit une fois par mois. Il rassemble actuellement 10 structures :
    - Cellule Indépendants de la Province de Liège ;
    - le FOREm ;
    - l’Observatoire du Crédit et de l’Endettement ;
    - Ré-Action ;
    - ReLOAD ;
    - Réseau wallon de Lutte contre la pauvreté ;
    - SOGEPA ;
    - Sowalfin (1890) ;
    - UCM ;
    - Fédération des CPAS.

    En région bruxelloise, le comité rassemble les 10 structures partenaires suivantes :
    - Re-Load yourself ;
    - Pulse Foundation ;
    - Hub 1819 Brussels ;
    - BECI ; reSTART ;
    - Partena ;
    - les guichets d’économies locales (GEL) ;
    - les CPAS ;
    - les services d’assistance policière aux victimes de Bruxelles ;
    - MicroStart ;
    - bMediation.

    Si nécessaire, les psychologues d' « Un pass dans l'impasse » peuvent également réorienter les indépendants et entrepreneurs vers le réseau de partenaires en cas de problèmes financiers, administratifs, judiciaires, et cetera.

    L’honorable membre aimerait également connaître quelles sont les conclusions que l'on peut tirer entre 2021 et 2022. Il est difficile de répondre à cette question puisque les chiffres officiels pour l’année 2020 ne seront connus que courant 2023, mais au vu de la détresse perçue lors des consultations, l’ASBL a des craintes suite aux conséquences de la pandémie.

    Les psychologues d’« Un pass dans l’impasse » ont observé une diminution du nombre d’appels émis sur la ligne gratuite et de consultations (4 séances gratuites) durant l’été 2022, suite à la fin des mesures liées à la crise sanitaire. Le nombre d’appels a réaugmenté depuis le mois de septembre en raison de la fin du moratoire sur les faillites.

    En effet, une faillite est toujours à l’origine d’une grande détresse chez les entrepreneurs et indépendants. Pourtant, ces travailleurs ont plus de difficultés à demander de l’aide, car ils ont souvent l’impression qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes quand ils rencontrent des problèmes. Cette démarche peut aussi induire des sentiments ou émotions négatives tels que la peur d’être jugé, la honte ou la culpabilité. C’est pourquoi « Un pass dans l’impasse » fonctionne avec une ligne d’assistance téléphonique gratuite et anonyme, celle-ci permet aux indépendants de faire plus facilement le premier pas vers un service d’aide.

    Nous notons également une hausse des demandes (appels et consultations) depuis le début de la crise énergétique.

    Pour répondre à son interrogation au sujet de l'impact de la crise énergétique sur leur sort, je dirais qu’avant cette crise, les indépendants et entrepreneurs faisaient déjà face à une instabilité financière liée à la pandémie de la Covid-19. Ils doivent aujourd’hui affronter les conséquences de la hausse des prix des matières premières liées à la guerre en Ukraine et les impacts de la crise énergétique sur leur entreprise. Bon nombre ne savent plus aujourd’hui payer leurs factures de gaz et d’électricité, les obligeant à fermer temporairement ou fermer définitivement leur entreprise. Dettes, incertitude quant à l’avenir... sont souvent mentionnés par les entrepreneurs durant les séances auprès des psychologues de l’ASBL. Fort heureusement, face à la flambée des prix de l'énergie, le Gouvernement wallon vient d’adopter une nouvelle série de mesures dans le cadre des compétences régionales. Il continuera à examiner toutes les autres pistes possibles pour aider davantage encore les ménages et les entreprises.