/

La protection de l’écosystème par l’attribution de la personnalité juridique

  • Session : 2022-2023
  • Année : 2022
  • N° : 115 (2022-2023) 1

2 élément(s) trouvé(s).

  • Question écrite du 26/10/2022
    • de CRUCKE Jean-Luc
    • à TELLIER Céline, Ministre de l'Environnement, de la Nature, de la Forêt, de la Ruralité et du Bien-être animal
    Pour la première fois en Europe, un écosystème naturel obtient le statut de personnalité juridique !

    Le 21 septembre 2022, le Sénat espagnol, faisant droit à une initiative populaire, a attribué une personnalité juridique à une lagune du sud-est de l'Espagne, la Mar Menor, lui permettant dorénavant d'être représentée devant une juridiction, au même titre qu'une personne ou une entreprise.

    La reconnaissance de la personnalité juridique de la Mar Menor entraîne le droit à la protection, à la conservation, à l'entretien et, le cas échéant, à la restauration d'une zone très maltraitée.

    Cette première en Europe, à savoir l'attribution d'un statut de personnalité juridique à un espace du territoire, permet de placer les droits de la nature à égalité avec les droits de l'homme ! Cela permet aussi un meilleur équilibre lorsque la justice est saisie entre intérêts humains et non humains.

    Cette action législative place la démocratie espagnole à l'avant-garde de ce type de protection dans le monde et cristallise un processus soutenu par les Nations unies, qui est destiné à étendre le champ d'application de la loi dans le monde entier, dans le sillage notamment de la Constitution de l'Équateur.

    Pour l'Espagne, c'est surtout l'occasion de servir d'inspiration contagieuse pour les autres pays qui l'entourent et où des situations similaires se présentent, et il n'y a aucune raison de croire qu'elles ne continueront pas à se présenter.

    Cette décision du Sénat espagnol est d'ailleurs en avance sur des processus similaires en cours dans la Loire en France ou dans la mer du Nord aux Pays-Bas.

    Quelle est la perception de ce phénomène par Madame la Ministre et quelle approche nourrit sa sensibilité ?

    Cette problématique est-elle étudiée par son cabinet et/ou par son administration ?
    De quelle manière, avec quels objectifs et sous quel calendrier ?

    Selon elle, certains espaces du territoire wallon mériteraient-ils cette protection ? Lesquels ?
  • Réponse du 05/01/2023
    • de TELLIER Céline
    Le mouvement des droits de la nature est mondial, et je m’en réjouis. Ces initiatives sont très diversifiées, soit en fonction du type d’instrument juridique (consécration constitutionnelle, législative, locale ou jurisprudentielle) soit en fonction du champ d’application (tout ou partie de la Nature ou encore de l’écosystème).

    L’octroi de la personnalité juridique signifie l’octroi d’un droit d’action, de droits et de devoirs, et l’attribution d’un patrimoine. Ces éléments peuvent être très variables en fonction du contexte ou de la nature du sujet.

    La question de l’effectivité et de l’efficacité d’une telle reconnaissance doit être analysée. En effet, si la percée des droits de la nature tient notamment de la déception face à l’ineffectivité du droit de l’environnement « classique » et du constat de l’urgence écologique actuelle, il est intéressant d’étudier les opportunités offertes par ce nouveau mouvement, et sa capacité réelle à avoir des impacts concrets.

    De nombreuses questions passionnantes, liées tant à la Nature, au droit qu’aux modalités de gouvernance, doivent être analysées : quel but cet octroi de la personnalité juridique poursuit-il ? Cela permet-il réellement de mieux protéger la nature ? Qui décide / parle au nom de la nature ? Qui contrôle que ce qui se fait au nom de la nature se fait correctement, et sur base de quels critères ?

    Dans tous les cas, les initiatives concrètes de terrain sont, comme toujours, très inspirantes. Ainsi, au niveau wallon, un projet intéressant est en train de se développer. “SAMBRE” a en effet été lancé lors du Festival des Idées à Charleroi le 20 octobre dernier, s’inspirant entre autres du projet « Loire » en France.

    Plusieurs textes nourrissent également la réflexion de mon administration à ce propos, dont « La personnalisation de la nature et ses alternatives » par le professeur émérite François Ost (2020) et le rapport du Comité européen économique et social sur le sujet (2020).

    En conclusion, cette thématique est bien prise au sérieux, tant par mon Administration que par mon Cabinet. Nous réalisons une veille attentive autour de ce sujet. À ce stade, notre priorité, exprimée au travers de la stratégie Biodiversité 360°, privilégie des pistes concrètes et directement mobilisables comme la protection légale de certains habitats dans le cadre de la Loi sur la Conservation de la Nature. Une telle mesure ne nécessite pas l’attribution d’une personnalité juridique, mais permet l’élargissement à certains types d’habitats naturels et semi-naturels sensibles des dispositions déjà en vigueur pour les espèces protégées.

    Je continue donc à poursuivre mon objectif de préserver au mieux la nature, en restant attentive aux initiatives innovantes, sur le territoire wallon et ailleurs.